À quelles contraintes la communication de l’Inserm a‑t-elle dû s’adapter pour faire face à cette période extraordinaire ?
Carine Delrieu : L’Inserm et certains autres établissements publics de recherche ont concentré tous les espoirs dès le début de la crise sanitaire, ce qui a constitué une situation inédite. Ce coup de projecteur a eu des effets positifs dans la mesure où il a réaffirmé la position de l’Inserm en tant qu’organisme expert de référence en sciences pour la santé, et des effets négatifs puisque les attentes du public, quand elles étaient démesurées, ne pouvaient pas être contentées. Ni l’Inserm, ni l’écosystème de la recherche dans son ensemble ne pouvaient, à eux seuls, détenir la clé d’une telle crise par la mise au point rapide de traitements contre la Covid-19, ou la compréhension exhaustive de la dynamique de l’épidémie. Les citoyens ont attendu un rythme de production de connaissances bien supérieur à ce que nous pouvions collectivement livrer en conservant le haut niveau d’exigence méthodologique
et éthique auquel nous nous engageons.
La crise a aussi engendré un énorme brouhaha, du fait du nombre et de la diversité des émetteurs plus ou moins pertinents qui sont intervenus pour commenter les événements, et de la forte demande des médias pour diffuser en continu les propos de personnes
qui, selon eux, représentaient la parole médicale. Au milieu de cette jungle, l’Inserm a dû trouver sa voix, renforcer ses techniques et sa dynamique de communication pour convaincre.
Quelle a été la stratégie de communication déployée pour répondre à ces défis ?
C. D. : L’Inserm ne s’est pas retrouvé au centre de l’attention par hasard. Gagner notre place
de référence crédible et visible est le fruit d’un long effort de communication dirigé vers le grand public,
et non un effet mécanique de la crise sanitaire. L’information scientifique que nous délivrons est un
service rendu et fait partie de nos missions publiques ; pour prendre tout son sens, ce service doit être connu du plus grand nombre. Personne n’a manqué d’information au cours des derniers mois, du point de vue du volume disponible. En revanche, les citoyens étaient en quête de repères solides pour se l’approprier. Immédiatement, nous avons voulu distinguer « informer » et « faire comprendre » : la valeur ajoutée de l’Inserm, c’est bien de donner la prise de recul qui permet le décryptage pour contribuer à la compréhension. Ainsi, le département de l’Information scientifique et de la communication, en accord avec la direction générale, a mis en place un service de production d’information spécifique à la crise, orienté vers nos publics habituels : les citoyens, les médias et relais d’opinion, et les décideurs publics. Il était nécessaire de répondre de manière différenciée aux attentes de ces trois cibles de communication, plutôt que d’attendre passivement que ces publics consultent les contenus Inserm comme s’il s’agissait d’un phénomène allant de soi.
Comment décider des moments propices à une prise de parole Inserm, et sur quels supports ?
C. D. : Nous avons choisi de nous exprimer quand nous avions quelque chose de solide et d’utile à dire
sur le plan de la santé publique, pour ne pas ajouter au bruit ambiant. À cet effet, nous avons communiqué exclusivement sur des articles publiés dans des revues soumises à l’évaluation par les pairs (peer review) et sur des données consolidées, en laissant de côté les résultats incertains. De même,
nous avons valorisé l’information « froide » et synthétique, comme les dossiers d’information web qui permettent de prendre du recul avec les événements tout en actualisant régulièrement le consensus scientifique sur des thèmes clés – voies de transmission, immunité, vaccins… Le site web de l’Inserm n’est pas conçu comme une vitrine institutionnelle, mais bien comme un service rendu en matière d’information pour tous. Durant la crise, il a confirmé qu’il constituait un outil majeur, très consulté, avec plus de 13 millions de pages vues en 2020.
Parallèlement, nous sommes restés réactifs sur les réseaux sociaux pour répondre aux questions, et nous avons déployé plus avant la franchise Canal détox, qui s’est enrichie de nouveaux formats de décryptage de l’actualité – toujours dans cette perspective de valoriser le vrai et l’utile dans le cadre d’une communication parcimonieuse et réfléchie. Enfin, nous avons multiplié les propositions de contenu informatif fiable et actuel aux parlementaires, qui y ont répondu très favorablement.
A‑t-on mesuré l’influence de l’Inserm sur les décideurs publics au cours de l’année ?
C. D. : Nous avons doublé le nombre d’auditions parlementaires au cours desquelles le PDG ou des représentants Inserm se sont exprimés, par rapport à 2019. Par ailleurs, nous avons pu dénombrer 44 mentions de l’Inserm dans la production des députés et des sénateurs (interventions en séances publiques, rapports…) en 2020. Il est très satisfaisant de constater que l’Institut est considéré comme une référence dans le cheminement du travail parlementaire. Nous souhaitons étendre cet effort d’influence dans les mois à venir, notamment auprès de think tanks qui constituent des relais d’influence puissants pour animer le débat démocratique.
Gilles Bloch s’est fréquemment exprimé à la télévision et à la radio au cours de l’année. Pourquoi ce choix ?
C. D. : Le PDG s’est fait très présent dans les médias au rythme d’une grande émission par mois, ce qui était un fait nouveau. L’idée était de fédérer l’institution à travers une seule voix, afin de représenter l’Institut et de montrer le consensus scientifique de l’Inserm sur tous les sujets liés à la pandémie de manière claire et assumée. Ce fil rouge a permis aux citoyens de se figurer la position de l’Institut en tant que producteur de connaissances, ressource et appui à la décision – et non comme commentateur ou
prescripteur des mesures politiques, ce qu’il n’est pas.
Parallèlement, les chercheurs Inserm étaient bien entendu libres de s’exprimer comme ils le souhaitaient sur d’autres canaux, de manière autonome. Mais parce que cette liberté s’accompagne par définition de points de vue thématiques, d’expertises et d’opinions différents – une situation ordinaire liée à la vie des débats dans une communauté scientifique – leurs déclarations dans les médias ont pu, parfois, être perçues comme contradictoires par le grand public. Il était donc nécessaire d’exprimer publiquement, non pas une doctrine officielle, mais une synthèse de ce que la science était en mesure de dire ou de ne pas dire sur la Covid à tel ou tel moment de l’année. À travers ce choix, nous avons été des pionniers parmi les autres établissements publics à caractère scientifique et technologique.
Comment le collectif a‑t-il été valorisé par ailleurs ?
C. D. : Nous avons notamment réorganisé la traditionnelle cérémonie des prix Inserm. La plupart étaient cette année des prix collectifs plutôt que des prix valorisant les succès d’un seul individu, ceci pour mettre un lumière un principe important : une parole scientifique crédible est toujours le fruit d’un consensus. Cette idée a également été véhiculée à l’occasion de la première campagne de publicité télévisée de l’Institut, dont la mission est à la fois d’accroître la notoriété de l’Inserm et de fortifier son identité en tant que collectif. On pourrait se demander en quoi il est nécessaire de faire de la publicité pour un organisme de recherche. La réponse est simple : nous sommes persuadés que, pour avoir la confiance des citoyens, il est d’abord nécessaire de se présenter à eux et de leur expliquer notre utilité. Qui est l’Inserm ? À quoi sert-il ? Que font ces 13 000 personnes chaque jour dans plus de 300 laboratoires et dans les délégations régionales ? La pub travaille les fondements de notre crédibilité et nous fait connaître auprès d’un public le plus large possible. Nos études de mesure d’audience montrent
que chaque Français a été exposé plus de 100 fois à la marque Inserm au cours de l’année 2020. Cette marque, c’est la caractérisation de notre service rendu à la société
Des suspicions de liens troubles entre l’industrie et la recherche publique ont rythmé les contacts entre le public et les services de communication. D’où cela vient-il ?
C. D. : L’Inserm a en effet subi une sorte de double peine. D’une part, nous avons dû composer avec
un climat où règne la méfiance par rapport à la parole publique. Or, nous sommes un organisme public,
et fiers de l’être. Ce phénomène nous dépasse largement, existe depuis longtemps et a été renforcé
par la pandémie. D’autre part, nous avons été confrontés à une incrédulité vis-à-vis de la parole
scientifique, moins familière que la parole médicale à laquelle les citoyens sont naturellement exposés
au cours de leur vie. Elle est en grande partie liée à une méconnaissance du fonctionnement de la recherche en santé et de ses modes de financement. De fait, il était très difficile de faire prendre conscience de ce fonctionnement dans des délais aussi courts, d’expliquer pourquoi le développement de traitements était si long, pourquoi des pistes thérapeutiques étaient abandonnées, pourquoi la plupart des résultats de recherche étaient négatifs, et en quoi cela correspondait pourtant à un fonctionnement normal de la science.
Comment éviter la frustration des citoyens dans ce contexte ?
C. D. : Nous avons choisi de délivrer l’information quand elle était disponible et quand elle correspondait
à un haut niveau de preuve scientifique, même quand elle n’était pas associée à des résultats spectaculaires ou très tranchés. C’est la ligne de conduite que nous avons tenue pour communiquer sur l’essai clinique Discovery, par exemple. Nous nous sommes exprimés à intervalles réguliers sur cette étude majeure, correspondant à un énorme investissement de moyens publics, pour dire que les résultats préliminaires étaient encore incertains, que nous ne pouvions pas nous prononcer sur l’efficacité des traitements étudiés ou, à l’inverse, que nous étions certains qu’il était nécessaire d’arrêter un bras thérapeutique. Cette vérité peu sensationnelle est difficile à entendre, car elle ne permet pas de mieux discerner l’avenir ni d’apaiser un climat d’anxiété. Tout l’enjeu est d’être parfaitement transparent
sans être systématiquement décevant sur l’utilité à court terme des avancées de nos recherches.
Faire comprendre la science, ce n’est pas expliquer en détail son fonctionnement et montrer tout ce
qui amène à un résultat – d’autant plus en période de tension, où le citoyen est plus volontiers indifférent au « comment » des travaux scientifiques. Faire comprendre la science, c’est éclairer sa
signification et son utilité pour le quotidien de chacun.
Est-ce le rôle de l’Inserm de se défendre contre des hypothèses « conspirationnistes » concernant l’origine du virus SARS-CoV‑2 ? Faut-il systématiquement réagir quand l’Institut est accusé sur les réseaux sociaux ou dans les médias d’être impliqué dans des scénarios invraisemblables ?
C. D. : Résolument, oui. Cela fait partie de notre mission de partage de la science, de réagir lorsque
l’on se sent dépossédés de celle-ci. La mauvaise information en santé est un problème de santé publique à part entière, puisqu’elle peut conduire des citoyens à l’errance thérapeutique, à la cessation
de soins, à l’isolement, ou même à des accidents de santé. On ne peut pas non plus laisser une fausse
information se diffuser au point de faire du tort aux collaborateurs de l’Inserm, en entachant
leur réputation ou en compromettant leur sécurité.
Évidemment, nous faisons un travail de debunking à la hauteur de nos moyens, qui ne suffisent pas à
endiguer un si large phénomène de désinformation en santé, désormais très visible sur les réseaux
sociaux notamment. Récemment, nous avons créé une cellule « riposte » regroupant près de cent chercheurs Inserm volontaires afin de lutter au mieux contre les fake news en faisant intervenir des experts motivés pour commenter et redresser régulièrement les infos trompeuses diffusées sur le web.
Cette initiative ne pourra cependant rien contre les hypothèses trop fantaisistes ou les « poussées de fièvre » régulières des réseaux sociaux conspirationnistes. On ne pourra pas non plus s’assurer que toute l’information émise arrivera à bon port, car les publics les plus défiants se tiennent par définition très éloignés des sites institutionnels. Nous faisons des efforts en ce sens pour innover dans nos canaux de diffusion. In fine, notre but n’est pas que les citoyens évitent le doute, mais que la majorité ait le réflexe de se tourner vers l’Inserm quand ils en ressentent les effets. C’est notre façon, en communication, de faire vivre « la science pour la santé ».
Cet article est issu de la partie Communication, société et éthique du rapport d’activités 2020.