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Association Arrige

​Retrouvez le compte-rendu de la journée de lancement qui s'est tenue le 23 mars 2018 à Paris.

National
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Le 23 mars 2018, le comité d’éthique de l’Inserm, en association avec plusieurs partenaires européens et internationaux a réuni 160 experts de 35 pays pour le lancement d’ARRIGE (Association for Responsible Research and Innovation in Genome Editing). L’objectif d’ARRIGE est de fournir un cadre de réflexions et de propositions pour toutes les parties prenantes (universités, organismes de recherche, entreprises privées, associations de patients, citoyens, décideurs) sur le développement des technologies d’édition du génome.
Pour la recherche, le système CRISPR-Cas9 est un outil révolutionnaire. Contrairement aux technologies précédentes qui impliquaient des systèmes très complexes à mettre en œuvre, CRISPR-Cas9 est facile à manier, adaptable, rapide, peu onéreux et d’une grande efficacité.

Cependant, les applications de CRISPR-Cas9 soulèvent de nombreux questionnements :

  1. chez l’Homme, les problématiques autour de la modification du génome et en particulier de l’ADN des ovules ou des spermatozoïdes (problème de transmission aux générations futures) ;
  2. chez l’animal, en particulier l’application de cette technologie aux espèces « nuisibles », comme le moustique, soulevant la question d’un éventuel transfert de gènes incontrôlé et de la biodiversité ;
  3. des risques d’atteinte de l’environnement.

Après l’accueil par Hervé Chneiweiss (président du comité d’éthique de l’Inserm, membre du comité intergouvernemental de bioéthique de l’Unesco), Francisco J.M. Mojica (université d’Alicante, Alicante), découvreur de ce mécanisme chez les bactéries a expliqué le système CRIPR-Cas9 et son application à l’édition du génome

En 2012, les chercheuses Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna ont mis au point des « ciseaux moléculaires » CRISPR-Cas9. Le système CRISPR-Cas9, est à l’origine un mécanisme de défense immunitaire développé par certaines bactéries pour lutter contre les virus. Lors de la première infection, les séquences virales sont reconnues par la bactérie puis découpées en petits fragments qui sont intégrés dans l’ADN du génome bactérien dans le locus CRISPR.

Fragments de virusLors d’une nouvelle infection, le locus CRISPR est activé et produit des « ARN guides » à partir des fragments d’ADN de virus. Ces ARN vont guider l’enzyme Cas9 pour couper les séquences d’ADN correspondantes du virus conduisant à sa destruction.

Ce système naturel a été adapté pour modifier le génome d’autres organismes. Lorsqu’une cassure de l’ADN est générée, elle est immédiatement réparée par la machinerie cellulaire, permettant de modifier, d’inactiver ou d’introduire des gènes (principe appelé édition du génome).
Francisco J.M. Mojica a également présenté les études récentes effectuées sur l’embryon humain et le lancement des premiers essais cliniques chez l’Homme. Cela concerne 20 études cliniques portant sur des maladies infectieuses, maladies sanguines et cancers. Il existe différents types de protéines Cas selon les organismes (plantes, bactéries, virus, animaux…). Désormais, la recherche dispose d’une « boite à outils » permettant de modifier le génome de n’importe quel organisme. D’autres complexes avec d’autres protéines Cas (comme CRISPR-Cas13), qui ont d’autres propriétés, sont en cours d’étude.
Ewa Bartnik (université de Varsovie, ancien rapporteur du comité intergouvernemental de bioéthique de l’Unesco) a ensuite présenté une revue des positions éthiques sur l’édition du génome au niveau international.
Les principes fondamentaux relatifs à l’utilisation des outils génétiques dans la pratique de la médecine quotidienne ou la recherche biomédicale sont définis par la convention d’Oviedo, signée puis ratifiée par de nombreux pays en avril 1997. L’article 13 stipule que l’intervention sur le génome humain n’est autorisée qu’à des fins préventives, diagnostiques et thérapeutiques, et seulement si elle ne touche pas les cellules germinales (ovules et spermatozoïdes), pour qu’il n’y ait pas de transmission aux enfants. L’article 18 stipule que la recherche sur l’embryon, pour les pays qui l’autorisent, doit être strictement encadrée.

En février 2016, le comité d’éthique de l’Inserm a rédigé une note établissant les recommandations suivantes :

  1. Encourager la recherche dont l’objectif est d’évaluer l’efficacité et l’innocuité de la technologie CRISPR-Cas9 dans des modèles expérimentaux pour déterminer la balance bénéfice/risque d’une application thérapeutique y compris éventuellement sur des cellules germinales et sur l’embryon.
  2. Évaluer les effets potentiellement indésirables avant toute utilisation hors d’un laboratoire.
  3. Interdire toute modification du génome des cellules germinales pour la reproduction humaine.
  4. Participer à toute initiative nationale ou internationale qui traiterait les questions de liberté de la recherche et d’éthique médicale, en concertation avec les multiples partenaires de la société civile.
  5. Construire un processus de réflexion au sein de l’Inserm animé par les membres du comité d’éthique volontaires et des scientifiques intéressés par les aspects sociétaux liés aux technologies de la génomique.

La position américaine de l’American Society of Human Genetics (ASHG) est d’interdire l’utilisation des techniques d’édition du génome au cours de la grossesse, de l’absence de raison probante pour interdire l’édition du génome pour faire de la recherche sur l’embryon ou les cellules de la reproduction et d’autoriser l’application en clinique uniquement pour une indication thérapeutique justifiée (y compris sur le plan éthique) et dont le bénéfice est scientifiquement prouvé.

L’European Society of Human Genetics (ESHG) et l’European Society of Human Reproduction and Embryology (ESHRE) ont publié des recommandations en janvier 2018 dans l’European Journal of Human Genetics, proches de celles de l’ASHG.

Ces sociétés savantes, comme de nombreux groupes de réflexion éthique au niveau européen, mettent en avant la nécessité d’avoir un débat dans la société civile sur l’édition du génome, en insistant sur les notions de dignité, de justice, d’équité et d’autonomie. De plus, l’exigence de disposer d’une réglementation au niveau international est évoquée.

Mylène Botbol-Baum (comité d’éthique de l’Inserm et université catholique de Louvain, Bruxelles) a repositionné l’édition du génome du point de vue anthropologique. Elle a insisté sur la distance entre la réalité de la recherche et les attentes de la société civile. L’impact sociétal est important et il est nécessaire d’informer ses membres pour éviter toute subjectivité pouvant conduire à des espoirs de guérison irréalistes à l’heure actuelle ou à des positions extrémistes.

Hervé Chneiweiss a ensuite souligné les questions éthiques fondamentales soulevées par l’édition du génome sur :

  1. l’application humaine/animale/chez les plantes ;
  2. la recherche médicale vs un usage commercial ;
  3. la dissémination.
  • L’utilisation de CRISPR-Cas9 chez l’Homme soulève essentiellement la question des modifications des cellules germinales et donc de la transmission aux futures générations.
  • L’utilisation chez l’animal, en particulier pour les espèces « nuisibles », soulève la question d’un éventuel transfert latéral de gènes et l’émergence de dommages irréversibles à la biodiversité.
  • L’utilisation chez les plantes soulève le problème de risque d’atteinte de l’environnement.

Malgré sa facilité de mise en œuvre, Hervé Chneiweiss a insisté sur le fait qu’il reste encore des risques techniques à maitriser, les principaux étant :

  1. d’induire l’inverse de ce que l’on souhaiterait par une mutation dite on-target (par exemple recopier le gène muté au lieu du gène corrigé) ;
  2. d’induire une coupure de l’ADN dans un site non souhaité, effet dit off-target, pouvant modifier un gène important ou insérer le gène souhaité à une mauvaise place où il ne sera pas ou mal exprimé ;
  3. d’induire la coupure d’un seul des deux brins d’ADN, l’effet étant alors incontrôlé ;
  4. de provoquer un déséquilibre aux effets inconnus ;
  5. d’induire une diffusion « transversale » c’est-à-dire de modifier d’autres organismes que celui ciblé ;
  6. d’induire des conséquences à long-terme non souhaitées (instabilité des gènes modifiés, effets non désirés liés à la coexistence de plusieurs modifications…) ;
  7. de détruire la biodiversité.
Hervé Chneiweiss a souligné
l’importance de former la société afin de pouvoir avoir un débat public
ouvert et « éclairé ». Le site internet d’ARRIGE https://​arrige​.org a
été mis en place avec un blog et un forum permanent permettant
d’échanger et de recueillir les différents avis et propositions.
L’objectif d’ARRIGE est aussi de constituer des
groupes de travail, de créer une « boite à outils » éthique et d’être
impliquée dans les organismes de gouvernance. Pour devenir membre
d’ARRIGE, il suffit d’envoyer un mail à join@​arrige.​org

Peter Mills (Nuffield Council on Bioethics, Grande-Bretagne) a présenté les différents niveaux de problématiques éthiques posés par l’utilisation de l’édition du génome chez l’Homme :

  • au niveau médical (respect de la personne et de ses droits ; consentement, bénéfices/risques, non malfaisance) ;
  • au niveau social (respect des normes ; justice sociale, solidarité, législation) ;
  • au niveau sociétal (respect de la dignité humaine).

Il a également rappelé la nécessité d’un consensus international pour encadrer l’utilisation des techniques d’édition du génome.

Andreas Kurtz (Charity Hospital de Berlin, Allemagne ; Groupe européen d’éthique – GEE) a présenté les risques environnementaux liés à l’utilisation de l’édition du génome et notamment celui d’éradication de certaines espèces, la possibilité de créer de nouveaux organismes en induisant de multiples mutations et la possibilité de transfert de gènes interespèces. Il a posé la question de l’évaluation de la balance bénéfice/risque et de la nécessité de créer un observatoire.

Maria-Filipa Ferraz-De-Oliveira (Secteur éthique, European Research Council, Bruxelles) a replacé l’édition du génome dans le cadre de la règle dite des 3R (réduire, raffiner, remplacer) qui constitue le fondement de la démarche éthique appliquée à l’expérimentation animale en Europe et en Amérique du Nord. La directive européenne date de 2010 (2010/69/EU). Cette règle consiste à réduire le nombre d’animaux utilisés pour l’expérimentation au strict minimum indispensable, raffiner la méthodologie et remplacer les modèles animaux dès que possible. L’utilisation de la technologie CRISPR-Cas9 est en augmentation dans les projets de recherche européens (ERC) entre 2015 et 2017. La majorité des projets portent sur les cellules animales et humaines.

Béatrice Holtz (LAVOIX, Paris, France) a abordé le volet de propriété intellectuelle et des retombées économiques de l’édition du génome. De nombreux brevets ont été déposés, principalement par Emmanuelle Charpentier, l’université de Berkeley (États-Unis), celle de Vienne (Autriche) et le Broad Institute (États-Unis). L’intrication de ces brevets est complexe et ils interfèrent entre eux, source de conflits potentiels entre les différents organismes. Aucune licence n’est nécessaire pour les organismes académiques avec une restriction pour des raisons éthiques (cellules germinales/embryons ou stérilisation de semences). Pour le champ thérapeutique, où le coût d’investissement et les risques sont élevés, les licences sont définies spécifiquement pour une application gène-maladie donnée.

Brevets CRISPR-Cas9

Lauren Roberts et Louise James (Genetic Alliance UK, Angleterre) ont discuté de l’implication des patients dans la discussion sur l’édition du génome. Lauren Roberts représente la Genetic Alliance UK qui regroupe 200 associations et Louise James, maman d’un enfant souffrant d’un syndrome rare non-diagnostiqué, représente la SWAN UK Parent Representative, regroupant des familles de patients en recherche de diagnostic. L’Alliance a demandé aux patients atteints de maladies génétiques leur position par rapport à l’édition du génome. Ces patients sont favorables à son utilisation en recherche et en clinique, mais ils voudraient être mieux informés. Ils considèrent que l’édition du génome doit être limitée au traitement médical. Pour eux, les bénéfices espérés sont plus importants que les risques potentiels. Ils souhaitent que toutes les personnes concernées, dont les associations de patients, soient consultées afin de définir la réglementation sur l’utilisation de l’édition du génome.
Pour informer les patients et leurs familles, l’Alliance a créé, avec le Wellcome Trust et le Progress Educational Trust (dont l’objectif d’informer et de débattre sur les technologies), des groupes de travail pour réfléchir sur la meilleure façon d’informer sur l’édition du génome et ont publié des documents et des recommandations accessibles sur le site geneticalliance​.org​.uk. Les principales recommandations sont de bien expliquer aux patients les notions de génétique et de génome avant de parler de l’édition du génome et de bien différencier l’édition du génome du séquençage génomique. Les patients demandent aussi à être informés sur les autres outils d’édition du génome et sur les conséquences des modifications des cellules germinales.

Magnus Magnusson (Director of Outreach and Communication, SHSS, Unesco) a rappelé que l’Unesco avait mis en place un groupe de réflexion sur les implications éthiques des progrès en sciences de la santé. L’édition du génome promet de très grands bénéfices pour les populations humaines mais, en même temps, comprend de nombreux risques et « effets indésirables ». L’Unesco promeut une réflexion ouverte et internationale. Il conclut en mentionnant que l’UNESCO accepte de suivre les travaux que lancera ARRIGE et apportera son soutien si nécessaire.

Lluis Montoliu (National Centre for Biotechnology CNB-CSIC and CIBER of Rare Diseases CIBERER-ISCIII, Madrid, Espagne) a conclu la journée. Il existe de nombreux rapports et documents sur les problématiques éthiques sur l’utilisation de l’édition du génome. Il faut que les scientifiques, les éthiciens, les politiques, les associations de patients, les législateurs … s’associent, ce qui est promu par ARRIGE.
Deux options sont possibles :
– créer un groupe de discussion (via courriels et page internet), facile à construire mais qui, sans existence légale, s’avèrerait peu efficace ;
– créer une association pour disposer d’un statut et d’une existence légale, reconnue au niveau européen. Cela nécessite une organisation, la création de comités, d’un bureau, ce qui est plus difficile à construire mais probablement plus efficace.
C’est cette dernière option qui a été retenue.

Hervé Chneiweiss a conclu la journée en invitant les participants à rejoindre l’association : join@​arrige.​org

Pour aller plus loin

Un groupe de travail ScienSAs” (Scientifiques Seniors et Associations de malades) http://​sciensas​.fr sur l’édition du génome a été créé pour répondre aux questionnements des patients sur ce sujet.

Les interventions et présentations (en anglais) de la conférence sont disponibles sur le site d’ARRIGE : http://​arrige​.org/​m​e​e​t​i​n​g​s​.​php

Le séminaire d’Emmanuelle Charpentier à l’académie des sciences (mars 2016) est disponible sur YouTube : https://​www​.youtube​.com/​w​a​t​c​h​?​v​=​P​u​l​Y​E​-​y​E​rPU

Note du comité d’éthique de l’Inserm https://​www​.inserm​.fr/​s​i​t​e​s​/​d​e​f​a​u​l​t​/​f​i​l​e​s​/​2​017 – 10/Inserm_Saisine_ComiteEthique_Crispr-Cas9_Fevrier2016.pdf

Lexique

ADN Acide désoxyribonucléique : très grosse molécule, support de
l’hérédité. L’ADN contient toute l’information génétique pour constituer
l’organisme. Il repose sur deux brins complémentaires de nucléotides
organisés en double hélice. La forme la plus condensée de l’ADN est le
chromosome.
ARN Acide ribonucléique : grosse molécule constituée
de nucléotides, généralement organisée en simple brin. L’ARN est
transcrit à partir de l’ADN et joue des rôles très divers dans la
cellule (régulation de l’expression des gènes, fabrication des
protéines…).
Cellules germinales Appelées aussi gamètes. Ce sont les ovules (ou ovocytes) et les spermatozoïdes.
nome Ensemble des gènes d’un organisme ou ensemble de son ADN.
Nucléotide Elément constituant de l’ADN et de l’ARN formé d’un sucre
(désoxyribose pour l’ADN, ribose pour l’ARN), un groupement phosphate et
d’une base nucléique. Dans la double hélice d’ADN, les bases sont
associées par paires (A‑T et C‑G).
Protéine Molécule essentielle
dans la constitution et le fonctionnement de tous les êtres vivants.
Elles sont formées par l’enchainement d’acides aminés et codées par un
gène.
Séquence PAM Séquence de 3 nucléotides ciblée par le complexe CRISPR-Cas9 qui ouvre l’ADN complémentaire à la séquence guide
On-target consiste à induire la modification inverse de celle souhaitée 
Off-target coupure de l’ADN ou insertion d’un gène dans un autre site que le site souhaité