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Ouvrir la science tous azimuts

Publier les résultats de recherche en accès libre, c’est l’ambition du mouvement de la science ouverte. Comment l’Inserm pratique-t-il la science ouverte ? Et quels sont les défis à venir ? Éléments de réponse avec Michel Pohl, directeur du département de la Science ouverte de l'Inserm, et Anna Marenelly, chargée des systèmes d’information scientifique et documentaires.

National
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Comment la science ouverte a‑t-elle émergé ?

Michel Pohl : Tout est parti d’un constat : les résultats des travaux scientifiques financés par l’argent public sont accessibles sur abonnement payant auprès d’éditeurs de journaux scientifiques. Avec des tarifs de plus en plus exubérants qui commencent à poser souci même dans les pays développés.

Anna Marenelly : Ce frein financier se double d’un problème éthique car la science est un bien commun qui doit être accessible à tous !

M. P. : De là sont nés différents mouvements pour « ouvrir » la science, qui ont ensuite pris diverses formes, comme les plans nationaux pour la science ouverte en France, dont le deuxième court jusqu’en 2024, ou les recommandations de l’Unesco en faveur de cette nouvelle façon de penser la science et son partage…

Quelle est la position de l’Inserm en la matière ?

M. P. : L’Institut affiche une politique volontariste et s’inscrit avec force dans la dynamique nationale et internationale. Cette stratégie s’est concrétisée par la création en juillet 2023 d’un département de la Science ouverte. Il émane du service de l’Information scientifique et technique, historiquement rattaché à la Communication, mais il devenait essentiel de disposer d’une structure individualisée et visible dans le cadre de nos relations avec les instances nationales et par rapport aux chercheurs. S’il n’a pas été pionnier dans l’instauration d’une direction pleinement dédiée à la science ouverte, l’Inserm est désormais nettement au-dessus de la moyenne française en termes de taux de publications ouvertes.

A. M. : Notre baromètre interne de la science ouverte montre en effet que près de 81 % de nos publications sont ouvertes, contre 65 % au niveau national. Autre indicateur intéressant : en 2022, l’Institut affichait plus de 14 000 dépôts dans la plateforme nationale d’archives ouvertes HAL, où l’Inserm possède un portail institutionnel depuis 2006 et où il invite ses chercheurs à déposer.

Concrètement, comment pratiquer la science ouverte ?

A. M. : En juillet 2022, la France a mis en place une infrastructure nationale, le portail Recherche.data.gouv, sur lequel les organismes nationaux de recherche sont invités à ouvrir une partition institutionnelle. Celle de l’Inserm a été créée en mars 2023. Nos chercheurs y déposent leurs données structurées, nettoyées et interopérables, après classement selon nos instituts thématiques et vérification par mes soins. C’est le chercheur qui décide si tel lot de données est totalement partageable ou seulement identifiable, ce qui peut ouvrir la voie à des collaborations sous licence ouverte, très utilisée en science ouverte. La plus connue est Creative Commons (CC), et la plus ouverte, CC0.

Nous préconisons la licence CC-by-nc, qui exclut les utilisations commerciales incontrôlées. Ces entrepôts de données sont très importants car, outre l’ouverture, ils assurent l’archivage et la pérennité de la production scientifique de l’Institut. Ils donnent aussi de la visibilité au chercheur et à ses travaux, et donc la reconnaissance des pairs : le nombre de citations augmente ainsi de 30 à 40 % quand un article est publié en accès ouvert.

M. P. : Il reste que l’acte de publication se fait désormais à l’aune d’un choix : publier dans une archive ouverte (green open access) comme HAL, dans des revues en libre accès (gold open access), qui fonctionnent sur le principe de l’auteur-payeur, dans un journal classique, dont les éditeurs ne voient pas les abonnements s’effondrer et qui ont opportunément lancé des revues hybrides (publieur-payeur et accès payant), ou encore opter pour le modèle « diamant », qui promeut des revues gratuites pour les auteurs et les lecteurs mais financées par des organisations et associations non commerciales. Dans ce contexte de science ouverte, l’utilisation du numéro Orcid, identifiant unique et international pour chaque chercheur, prend toute son importance, d’autant qu’il sert aussi désormais à demander des financements.

Qu’en est-il du cas particulier des essais cliniques ?

M. P. : Il n’y a rien de pire que des études dont on ne sait pas comment elles se sont terminées ! C’est tant d’argent public et d’énergie dépensés. Et que dire de l’aspect éthique vis-à-vis des patients ? Un groupe de travail national réfléchit actuellement à l’amélioration de la transparence des données en santé, notamment issues d’essais cliniques.

A. M. : Sur les essais arrivés à terme entre 2013 et 2023, seuls 39 % ont donné lieu à des publications, le plus souvent sur les maladies infectieuses, l’immunologie et la gastro-entérologie. Très peu renseignent des résultats négatifs. Par contre, la plupart sont en accès ouvert.

Quels sont les freins à lever pour normaliser ce mouvement désormais bien ancré ?

M. P. : La première question préoccupante est financière : si la science bascule intégralement sur le principe auteur-payeur, personne ne pourra suivre. La création d’une plateforme fonctionnant sur le modèle diamant pourrait être une solution intéressante en veillant à ne pas multiplier les systèmes. Mais ce modèle n’est pas forcément adapté à toutes les disciplines scientifiques et d’autres systèmes pérennes et économiquement viables doivent être considérés.

A. M. : Un autre point concerne la sensibilisation des chercheurs. Le renouvellement de générations va faciliter leur prise de conscience de l’intérêt personnel et commun que revêt cette façon de faire de la recherche. Ce partage immédiat de la science a par exemple permis de séquencer le génome du SARS-CoV‑2 en quelques jours seulement, puis d’identifier rapidement les protéines virales et de produire les anticorps correspondants. Pour faciliter cette appropriation de la science ouverte, nous préparons la mise en place d’un « guichet unique » de proximité. Avec l’aide du département des Systèmes d’information de l’Inserm, qui bâtit un réseau de gestionnaires de données, nous identifions actuellement un vivier de personnes spécialisées à Paris et dans les délégations régionales pour répondre aux interrogations en matière de publication, de gestion du cycle de vie des données, de coût ou encore de propriété intellectuelle.M. P. : La réticence des chercheurs est cependant intrinsèquement liée à leur évaluation, fondée jusqu’à récemment sur des éléments obsolètes comme le facteur d’impact, qui estime la visibilité d’une revue, ou l’indice H, qui reflète le nombre de publications et de citations d’un scientifique. Il nous faut imaginer de nouveaux indicateurs intelligents, raisonnables et fonctionnels en lien avec les recommandations, au niveau européen, de la Coalition pour une réforme de l’évaluation de la recherche. La période est propice pour mener cette réflexion avec le département de l’Évaluation scientifique de l’Inserm car les nouvelles commissions d’évaluation de l’Institut seront mises en place dans deux ans. Le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur a de plus annoncé qu’il allait bientôt évaluer la production scientifique des structures de recherche à l’aune des dépôts de publications dans HAL. Tout ceci s’inscrit donc dans une tendance de fond, mais il ne faut pas oublier que la réflexion doit être menée de façon large et globale : les grandes nations scientifiques ne sont pas toutes orientées vers la science ouverte à ce jour !

Interview extraite du rapport d’activité 2023 de l’Inserm