Comment êtes-vous arrivé à faire de la vulgarisation scientifique ?
Michel Le Van Quyen : Tout au long de l’année, je m’investis dans la rencontre avec les publics à travers des conférences et des livres. Pour attirer le plus grand nombre, je m’efforce de replacer les neurosciences dans un contexte plus accessible sur les sujets du quotidien. Je tiens donc à préciser que je ne mène pas de recherches sur le silence dans le cadre de recherches Inserm. Mon domaine se concentre sur les technologies, les neurosciences et sur les conséquences des outils technologiques sur le cerveau. Ma réflexion sur le silence a débuté à la suite d’une expérience personnelle, lors d’une période de grand stress. Souffrant de paralysie faciale et d’aphasie, une perte de la capacité à m’exprimer, cet épisode m’a imposé de mettre entre parenthèses mon activité professionnelle. J’en ai profité pour démarrer un essai sur le silence*. Rapidement, je me suis rendu compte que beaucoup de personnes souffraient des nuisances sonores et du multitasking, syndrôme de l’hyperconnexion. J’ai alors cherché à savoir pourquoi et comment le cerveau s’épuise, en particulier à cause des usages numériques et des sollicitations permanentes.
* Michel le Van Quyen, 2019. Cerveau et silence. Flammarion
Pour commencer cette réflexion sur le silence, vous abordez d’abord la question des nuisances sonores ?
M. L.V.Q. : Pour mener à bien cette réflexion sur le silence, je me suis appuyé sur des études scientifiques et épidémiologiques en commençant par travailler sur les nuisances sonores. Il s’agit d’un problème auquel les français sont confrontés au quotidien. Paris est, par exemple, une des villes les plus bruyantes au monde. La pollution sonore, bien que provoquant la mort de 10 000 personnes par an en Europe, est encore trop sous-estimée en santé publique. Les bruits incessants, même à un niveau modéré, tendent à activer le système sympathique, nous plaçant en état d’alerte. Ces perturbations entraînent un stress, qui peut alors augmenter le risque de maladies cardiaques et d’infarctus. Enfin, la pollution sonore provoque une fatigue et des problèmes auditifs.
Comment lutter contre le bruit sur le lieu de travail ?
M. L.V.Q. : L’exposition au bruit est un risque professionnel très présent dans les bureaux ouverts, où il est difficile de s’isoler. L’avenir de ces lieux de travail partagés doit faire l’objet d’une véritable réflexion. La chercheuse américaine Gloria Mark a utilisé des capteurs pour analyser l’activité cardiaque des employés dans les open space. L’étude a montré que la concentration des salariés sur une tâche est en moyenne de 11 minutes avant qu’ils ne soient interrompus par une autre tâche. Par la suite, ils auront besoin d’environ 25 minutes pour de nouveau se concentrer sur la tâche initiale. Cette surcharge cognitive peut entraîner des erreurs professionnelles et de la fatigue. Lors de notre journée de travail nous avons également beaucoup de distractions auditives à cause de la démultiplication des objets connectés (tchat, mails, téléphone…). Il est aussi intéressant de souligner que les lieux de soin, en particulier l’hôpital, souffrent des nuisances sonores. Avec la montée en puissance du numérique dans les hôpitaux, nous avons vu apparaître des effets néfastes sur les soignants, en particulier lors des examens par électroencéphalographie (EEG). De plus, le niveau sonore élevé dans les services d’urgence et de réanimation ne sont pas propices à la guérison de certains patients.
Comment reposer son cerveau par des actions simples du quotidien ?
M. L.V.Q. : Le public mesure bien l’importance des cycles veille-sommeil mais il connaît moins les cycles de régénération, pourtant tout aussi importants pour le cerveau. Au cours de la journée de travail, il est nécessaire d’alterner des cycles d’activités et de repos. Cela peut se traduire par des pauses, des promenades courtes au grand air, le fait de se couper quelques minutes du numérique ou encore de mettre un casque antibruit. Regarder par la fenêtre quelques instants peut-être perçu comme un moment de rêverie mais c’est indispensable pour reposer son cerveau ! Il s’agit d’actions individuelles très simples mais régénératrices pour les fonctions cérébrales. Ces moments de silence restaurent l’attention et permettent de reprendre son travail dans de bonnes conditions.
Quels sont les effets bénéfiques du silence sur l’individu ?
M. L.V.Q. : Le silence est quelque chose de fondamental pour le bon fonctionnement cérébral. Lorsque nous favorisons le silence, le système parasympathique s’active et notre cerveau bascule alors dans un état de déconnexion qui l’aide à se régénérer. Dans les environnements peu bruyants, comme lors d’une balade en forêt par exemple, le système cardiovasculaire, moins sous pression, permet de réduire les effets négatifs du stress. De plus, le silence ou les lieux moins sonores sont propices à la créativité et à la mémoire.
Posez vos questions à Michel le Van Quyen
Catherine Duez dit :
13 juin 2022 à 8 h 14 min
Bonjour,
Cet article est très intéressant. Merci
Vous parlez de silence, et de régénération lors de balade en forêt par exemple. Mais de quel silence s’agit il ? Les sons de la nature font ils partie de ce silence où le perturbent-il ? Par exemple, les pépiements incessants des oiseaux en cette saison sont très agréables, mais fenêtre ouverte peuvent-ils perturber le sommeil ? Idem pour les cigales (en journée cette fois 😉 ) lorsqu’on a cette chance, peuvent être très bruyantes…
En clair y a t il un bon et un mauvais « son » pour notre cerveau ?
Merci beaucoup
Réponse de Michel le Van Quyen : Il est difficile de donner une définition précise d’un « bon » son car les sensations auditives sont très subjectives. Certaines personnes sont surtout irritées par les sons intermittents parce que ceux-ci sont imprévisibles. L’appréhension du moment où le son se produira à nouveau rend les gens nerveux. D’autres personnes sont surtout agacées par des sons continus, du fait même qu’ils ne s’arrêtent jamais. Mais, selon moi, le bruit est surtout toxique dans les villes. D’une manière générale, les bruits y sont souvent plus pernicieux que ceux de la nature car ils apparaissent constamment du fond sonore. Prenez, par exemple, le vrombissement soudain d’une voiture dans une rue. Ce type de bruit nous met immédiatement dans un état d’alerte. Bien sur, lorsqu’on est couché dans son lit et qu’un camion passe en trombe devant la maison, on ne prend pas la fuite, certe, mais le cerveau enregistre malgré tout un signal d’alarme et il prépare automatiquement le corps à l’action. Il sécrète alors des hormones du stress, comme l’adrénaline, la noradrénaline et le cortisol. Notre vigilance est accrue, la pression artérielle et la fréquence cardiaque augmentent. Si cela se reproduit trop souvent, le cerveau maintient alors un état d’alerte inutile et le corps n’a plus la possibilité de faire des pauses pour souffler. De longues expositions à ces impusions sonores peuvent provoquer un épuisement des réserves corporelles et des perturbations des fonctions régulatrices des organes. Dans ce cadre on sait que le bruit dû à la circulation est l’un des facteurs potentiels de développement de maladies comme l’hypertension ou l’infarctus du myocarde. Ce n’est pas le cas du chant des cigales, rassurez-vous.
Claude BARTOCCI dit :
13 juin 2022 à 8 h 27 min
Bonjour,
Pouvez vous préciser ce que signifie « régénérer » ?
Réponse de Michel le Van Quyen : Il s’agit juste de faire une pause auditive, de se déconnecter provisoirement des stimulations de l’environnement pour, par exemple, renouveler ses capacités attentionnelles. C’est la théorie dite de « la restauration de l’attention » proposée par les psychologues Rachel et Stephen Kaplan de l’université du Michigan dans les années 70. Par exemple, lorsque l’on se trouve dans un environnement naturel, le niveau de stimulations auditives est bas et ce sont des bruits apaisants. Pensez, par exemple, aux bruissements des branches, à l’écoulement de l’eau et au murmure du vent. Ces sons nous invitent à nous ouvrir et porter notre attention sur l’environnement et, par la même occasion, d’arrêter de ruminer les idées, souvent noires. Cela permet ainsi au cerveau de se régénérer.
Parfois, la musique s’invite sur le lieu de travail (open space pour l’exemple) en fond sonore.
Pour vous est ce assimilé au bruit de votre article et pour rebondir sur le post précédent, existe t’il de bons bruits et/ou de mauvais bruits ?
Réponse de Michel le Van Quyen Aucune inquiétude, vous pouvez classer la musique dans la catégorie des « bons bruits » et elle est parfois utilisée comme une bande sonore sélectionnée intentionnellement pour réduire les effets négatifs des autres nuisances sonores dans un espace bruyant. Cette bande sonore peut être composée de musique classique, le murmure d’un ruisseau ou même du chant des oiseaux. Si vous n’avez pas de musique de fond, n’hésitez pas à mettre des écouteurs de temps en temps pour écouter vos musiques préférées, de nouveaux airs, ou même des chants d’oiseaux mélangés à de la musique classique. Le tout à un volume modéré, bien entendu ! Mais le plus efficace est de prendre le temps de faire des pauses dans un jardin ou dans un parc et de pratiquer d’autres activités calmantes (comme la méditation) pour compenser votre exposition au bruit.
Chantal Arstand dit :
14 juin 2022 à 13 h 45 min
Bonjour,
Ce sujet est vraiment très intéressant. J’ai plusieurs questions : Quels sont les effets du bruit sur la durée de vie des cellules du cerveau ? Une exposition prolongée au bruit favorise t‑il les problèmes de mémorisation ?
Réponse de Michel le Van Quyen : Oui, le bruit a une influence directe sur la mémoire. Dès les années 1980, les psychologues Alan Baddeley et Pierre Salamé ont été les premiers à étudier l’influence du bruit sur les capacités cognitives (Salamé et al, 1982, Journal of Verbal Learning and Verbal Behavior, vol. 21, pp. 150 – 164) . Ils ont découvert qu’un bruit de fond constitué de voix diminue l’efficacité de la mémoire à court terme, même lorsqu’on n’y prête pas attention. Plus récemment, une large étude a été plubliéeen 2022 dans la revue Plos Medicine. Elle a porté sur plus 2 500 enfants âgés de 7 à 10 ans et venant de 38 écoles différentes de Barcelone. Les résultats sont clairs : les chercheurs ont trouvé qu’une exposition plus élevée au bruit à l’école était associée à un développement plus lent de la mémoire de travail et de l’attention.
Elisabeth BAILLY dit :
16 juin 2022 à 10 h 51 min
Bonjour,
Votre étude est très intéressante.
Ce que vous évoquez rejoint les résultats apportés de la pratique de la méditation et la régénerescence des cellules.
Qu’en pensez-vous ?
Réponse de Michel le Van Quyen : C’est tout à fait juste. Le silence comme la méditation permet aux cellules du cerveau humain de régénérer les fonctions cognitives indispensables à une conduite adaptée dans notre quotidien (attention, mémoire, régulation émotionnelle). Ainsi des chercheurs ont découvert en effet que 2 heures de silence tous les jours stimulaient la régénérescence des cellules de l’hippocampe, la partie du cerveau responsable de l’apprentissage, de la mémoire et des émotions. Selon moi, la méditation intégre ces bienfaits du silence. En effet, la méditation nécessite un endroit calme où elle se pratique et donc une déconnection partielle de l’environnement sonore. Mais, en plus, la méditation permet aussi de prendre conscience du bruit de fond de nos pensées et ainsi de réduire les ruminations mentales.