Pouvez-vous nous parler de vos différentes fonctions ?
Bruno Falissard : Je suis professeur de statistiques à la faculté de médecine, je trouve cela très gratifiant d’enseigner. Je fais bien sûr aussi de la recherche : j’ai d’abord monté une équipe, une unité et ensuite le Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations. Et enfin je suis clinicien, j’exerce toujours en tant que pédopsychiatre.
Vous avez aussi été président de l’association internationale de pédopsychiatrie. Pouvez-vous nous en parler ?
B. F. : En effet il y a cinq ans j’ai été élu à la présidence de l’association internationale de pédopsychiatrie, c’était une grande responsabilité. Pour vous donner un exemple, en Inde 170 millions de filles et 50 millions de garçons ont été abusés sexuellement et le pays compte seulement 60 pédopsychiatres. Le décalage entre les besoins et l’offre de soins est colossal. Il y a si peu d’efforts de la part des politiques y compris de l’OMS pour répondre aux enjeux de la pédopsychiatrie. J’ai énormément voyagé à cette période et beaucoup appris de mes collègues étrangers.
Vous dites aujourd’hui « faire de la recherche différemment », qu’entendez-vous par là ?
B. F. : Aujourd’hui je fais davantage du management de la recherche. Il faut que j’identifie les problèmes de santé qui résonnent dans la société, les nouvelles approches possibles, les évolutions sur tel ou tel sujet de santé publique. Par exemple, jusqu’à présent en santé publique et en épidémiologie il y avait peu de recherche qualitative relevant de la sociologie ou de l’anthropologie. Les
big data c’est à la mode et c’est très bien naturellement, mais on doit aussi faire des recherches sur ce que les gens vivent au quotidien lors de leur traitement, par exemple.
Vous avez aussi travaillé sur les méthodes dites non-conventionnelles. Pouvez-vous nous en dire plus ?
B. F. : Depuis plus de dix ans il y a une convention entre la Direction générale de la santé et l’Inserm pour une évaluation des soins dits non-conventionnels comme l’acupuncture, la mésothérapie, l’ostéopathie, l’hypnose, etc. Ce sont des sujets d’interrogations de la société. Il se passe quelque chose d’étrange dans le rapport de nos concitoyens à la médecine. Peut-être un malaise face à l’hyper-technicisation des soins qui leur sont proposés et un repli vers des approches moins rationnelles, avec des risque potentiels si l’on n’y prend pas garde. Nous sommes plusieurs dans le centre à travailler sur le sujet. En ce moment l’ASMR est très à la mode : c’est un concept qui repose sur des enregistrements de sons doux et répétitifs censés entraîner détente et calme intérieur, ça cartonne auprès des jeunes !
Pouvez-vous nous parler de la Maison de Solenn, un lieu unique dédié à la santé des adolescents où vous avez une de vos équipes de recherche ?
B. F. : La Maison a ouvert ses portes en 2004 grâce aux dons récoltés dans le cadre de l’opération pièces jaunes, parrainée par Bernadette Chirac, qui a souhaité qu’une unité de recherche y soit affiliée. C’était une avancée importante car la psychiatrie adolescente n’existait pas : on passait directement de la psychiatre enfant à la psychiatre adulte. Aujourd’hui la Maison des adolescents accueille des adolescents de 13 à 20 ans. Nous travaillons avec eux sur différents axes de recherches : les troubles du comportement alimentaire, la phobie scolaire, la dépression ou encore les addictions aux écrans ou aux drogues.
En comparaison avec la psychiatrie adulte, quelle spécificité y a‑t-il dans la relation médecin-patient avec un enfant ?
B. F. : Il y a deux différences majeures. La première se situe au niveau de la technique de consultation : en pédopsychiatrie nous sommes avec des familles et non avec une unique personne. La deuxième différence se situe au niveau du lien avec le patient : un adulte se protège et se censure davantage en entretien alors que si nous parvenons à établir un lien de confiance et de partage avec un enfant, il nous parle beaucoup plus facilement. Et quand nous sommes sur la même longueur d’onde avec eux, c’est passionnant et très thérapeutique.
Si vous aviez été médecin à une autre époque, à quel moment de l’histoire des sciences auriez-vous aimé participer ?
B. F. : À l’époque de Claude Galien, le médecin des gladiateurs ! À cette époque, du fait surtout de croyances religieuses, on pouvait difficilement faire des études sur les sujets humains. En soignant les terribles blessures des gladiateurs, Galien a pu apprendre l’anatomie humaine et même découvrir quelques rudiments de physiologie. C’est de la recherche clinique « brute » comme il y a de l’art « brut », c’est ce qui me plaît !
Selon vous, quelle est la qualité principale pour être un bon statisticien ?
B. F. : Un bon statisticien est capable de faire comprendre simplement ce qu’il y a l’intérieur d’un jeu de données.
Au cours de votre carrière, un échange vous-a-t-il particulièrement marqué ?
B. F. : Des échanges de mails ou des rencontres avec des représentants d’autistes m’ont particulièrement interpellé. Le vieux pédopsychiatre que je commence à devenir avait l’habitude de cliver, d’un côté les patients de l’autre ceux qui ne le sont pas. Le cadre d’exercice de la médecine nous y incite il faut bien le reconnaitre. Parler avec les autoreprésentants m”a fait comprendre l’autisme différemment. Cela a vraiment influencé ma façon d’exercer la psychiatrie.
Quelle est votre méthode pour vous détendre à côté de vos multiples activités professionnelles ?
B. F. : J’ai trois passions : la cuisine, le vin et je pratique beaucoup le trail (course à pied longue distance en montagne), d’ailleurs je pars à Fort-de-France dans deux jours faire un bout de la Transmartinique, une course à pied nocturne de 60 kilomètres !
Vous avez beaucoup voyagé. Avez-vous un lieu préféré ?
B. F. : Oui, le cirque de Mafate à la Réunion, c’est un endroit extraordinaire et mythique pour les coureurs et marcheurs car inaccessible en véhicule.
Que diriez-vous à un étudiant qui viendrait vous demander des conseils avant de s’engager dans la même voie que vous ?
B. F. : Pour être médecin, il faut à la fois être humble et avoir quand même une forme de confiance en son savoir pour ne pas que le patient se trouve trop en difficulté face à vos doutes. En tant que chercheur il faut aussi être humble car la science demande beaucoup de travail, de soin dans le recueil des observations, de critiques de la part des pairs, mais il faut aussi être un peu fou parfois et oser suivre ses idées !
À découvrir en février : l’interview de Laurène Alard, juriste. Portraits d’Inserm. Chaque mois, découvrez la diversité des profils de l’Inserm à travers les femmes et les hommes qui composent l’Institut :