Créés en 1992, les centres d’investigation clinique (CIC) sous tutelle de l’Inserm, de la DGOS et des hôpitaux sont dédiés au transfert des résultats de la recherche fondamentale au profit des malades, à travers, notamment, la conduite d’essais cliniques. Cette étape de la recherche est souvent appelée « recherche translationnelle ».
À ce jour, les trente-quatre CIC sont tous implantés dans des hôpitaux universitaires et notamment des centres hospitalo-universitaires (CHU). Les CIC, à l’instar des unités de recherche labellisées par l’Inserm, sont évalués tous les cinq ans dans le cadre des vagues universitaires par une autorité indépendante : le Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres).
La recherche médicale avec et pour les patients
Le centre d’investigation clinique de Poitiers, implanté au sein du CHU, fête cette année le quinzième anniversaire de sa labellisation. Pierre-Jean Saulnier, médecin coordonnateur, a pris la direction du centre le 1er janvier 2022. Ce spécialiste du diabète commence d’emblée par nous expliquer qu’il a développé « un goût prononcé pour la recherche clinique » dès son internat de médecine.
Pour Pierre-Jean Saulnier, « le vrai savoir-faire d’un CIC est la recherche médicale appliquée avec et pour le patient. Nous travaillons sur des personnes humaines, saines ou malades, dans le cadre d’essais cliniques ou d’études épidémiologiques avec des cohortes. En ce moment, le CIC de Poitiers assure 120 études. Je dirais que sa spécificité est centrée sur l’exploration physiologique autour de la chambre d’hypoxie et sur l’étude de la qualité du sommeil. »
Pour mener à bien cette mission, le CIC de Poitiers est composé d’une trentaine de fonctions supports et d’environ 45 chercheurs associés ainsi que d’un médecin et d’une pharmacienne délégués. Les métiers de la recherche clinique sont caractérisés par une forte polyvalence. Aux côtés des médecins, des doctorants et des techniciens de laboratoire, se croisent des attachés de recherche clinique (ARC), des biostatisticiens, des data-managers, des méthodologistes mais aussi des infirmiers de recherche clinique. Pierre-Jean Saulnier précise qu’il s’agit « d’infirmiers diplômés d’État ayant une expérience dans les soins et qui souhaitent compléter leur parcours par de la recherche. Après un diplôme universitaire, ils sont en capacité de travailler dans le cadre d’un essai clinique ou d’aider au montage du protocole. »
Un CIC pour 5 axes de recherche
Le CIC de Poitiers, plurithématique, est organisé en cinq axes de recherche. L’axe Targets in hematology and oncology research (Thor), dirigé par Xavier Leleu, s’intéresse à la cancérologie et plus particulièrement au contrôle immunitaire des tumeurs.
L’axe Investigation of sleep, acute lung injury (Is-Alives), dirigé par Arnaud Thille, se consacre à l’insuffisance respiratoire aiguë, au sevrage de la ventilation mécanique mais aussi à la qualité du sommeil. Une équipe s’intéresse particulièrement à l’exposition au bruit des patients en réanimation. « Le niveau sonore élevé et les passages répétés des équipes de soin empêchent ces patients de dormir, ce qui n’est pas propice à leur guérison lorsqu’ils sont ventilés. L’enjeu est de respecter leurs cycles de sommeil grâce à un appareil qui permettra au personnel soignant de voir s’ils sont éveillés ou endormis et ainsi d’éviter de les déranger pendant leur sommeil », précise Pierre-Jean Saulnier.
L’axe Déclin fonctionnel et analyse multimodale (Declan), dirigé par Pierre-Jean Saulnier, n’a pas pour objet de recherche un organe en particulier mais tente de comprendre les déterminants du déclin fonctionnel pour développer des stratégies thérapeutiques. Le directeur précise que « l’équipe travaille, par exemple, à comprendre pourquoi certains patients diabétiques vont développer des complications afin de pouvoir ajuster les traitements. »
L’axe Health endocrine disruptors and exposome (Hedex), dirigé par Antoine Dupuis, a pour sujet la santé environnementale. « Les membres de cette équipe s’attachent à comprendre l’exposition humaine aux polluants. Une des études s’intéresse par exemple à la diffusion du bisphénol dans l’organisme sur les populations fragiles que sont les femmes enceintes, les fœtus, mais aussi les étudiants. L’équipe assure également un travail de prévention sur l’exposition aux perturbateurs endocriniens dans la vie quotidienne (alimentation, produits d’hygiène…) », explique le coordonnateur du CIC.
À côté de ces quatre axes, le groupe Neurosciences cliniques travaille sur la compréhension des troubles des maladies de Parkinson, Gilles de la Tourette et Huntington ainsi que sur la mise au point de thérapies innovantes. Pour faire avancer ces différentes recherches, le CIC développe de nombreux partenariats comme avec la Faculté des sciences du sport de Poitiers située à quelques mètres, mais aussi avec des laboratoires internationaux comme le laboratoire du NIH Phoenix Epidemiology and Clinical Research Branch situé à Phoenix aux États-Unis.
Trois stratégies pour les années à venir
Pierre-Jean Saulnier fixe trois priorités au CIC pour les années à venir. Son premier objectif consiste à développer l’évaluation des technologies pour la santé et le numérique en regroupant les chercheurs impliqués dans cette thématique à Poitiers. « Certains de nos chercheurs sont déjà engagés dans cette voie »,précise Pierre-Jean Saulnier. Le projet Imasmart a, par exemple, pour but de développer une innovation technologique permettant un diagnostic plus précoce de la maladie d’Alzheimer. Pour y parvenir, les chercheurs développent un outil fondé sur l’étude de l’utilisation du téléphone portable chez des patients atteints d’Alzheimer. Cet outil permettra d’analyser les liens entre l’évolution de l’utilisation du smartphone et celle de la mémoire au cours du temps. « Cette mission de valorisation de la recherche en santé est assez nouvelle pour le CIC. Nous sommes accompagnés pour protéger et développer ces innovations par des instances telles qu’Inserm Transfert. Lors du prochain mandat je souhaite demander le label Centre d’investigation clinique – Innovation technologique (CIC-IT) »,précise le coordonnateur.
Le deuxième projet est le développement d’un nouvel axe de recherche en épidémiologie et en statistiques. « Muscler la capacité du CIC à se doter d’outils statistiques ou méthodologiques pour les essais cliniques et les cohortes est une des clés de notre développement », ajoute son directeur .
Pour conclure, Pierre-Jean Saulnier soutient que l’innovation ne peut venir que de l’interdisciplinarité. « Former de jeunes médecins et scientifiques à la recherche clinique est extrêmement important pour le développement de la recherche et de la médecine. Je prête une grande attention à ce que les médecins qui travaillent au CIC montent en compétences. C’est d’ailleurs gratifiant de constater que l’Inserm croit dans cette démarche et la soutient à travers l’objectif “Favoriser les recherches en rupture’’ de son plan stratégique. »
Coup de projecteur sur le métier d’attaché de recherche clinique (ARC)
Diplômée d’un baccalauréat scientifique et d’une licence professionnelle Essais cliniques et validation, Émilie Rabois est attachée de recherche clinique (ARC) au centre d’investigation de Poitiers depuis dix ans.
Quelle est votre mission ?
Émilie Rabois : Au CIC, ma principale mission est d’accompagner les médecins dans la gestion administrative et réglementaire des essais cliniques. Cela implique le recrutement des patients pour les études, appelé « pré-screening » : il s’agit d’une étape fondamentale lors du démarrage d’un projet de recherche clinique et les médecins n’ont souvent pas le temps d’assurer cette mission. Puis j’assure la coordination de l’essai avec l’organisation des visites de pré-investigation, la saisie dans les bases de données cliniques et les cahiers d’observations ainsi que le contrôle qualité puis la vérification des données avec les médecins investigateurs. Pour devenir ARC, il ne faut pas aimer rentrer dans une seule case mais être très polyvalent.
Qu’est-ce que le consentement éclairé dans un essai clinique ?
É. R. : La recherche clinique est strictement encadrée. Préalablement à la participation d’un patient ou d’un volontaire sain à une étude clinique, son consentement « libre, éclairé et exprès » doit être recueilli par écrit. Pour cela, je dois l’informer de tous les aspects de l’étude clinique. Après la présentation du médecin investigateur, je revois avec le volontaire ou patient toute l’organisation qu’implique sa participation : objectifs et bénéfices, durée, contraintes, effets indésirables, protection des données personnelles… Ces informations sont résumées dans un document écrit appelé « Note d’information ». Le patient ou le volontaire sain, qui peut se retirer à tout moment, dispose ensuite d’un délai pour réfléchir et, éventuellement, poser ses questions. S’il accepte de participer, il signe alors un formulaire de consentement éclairé.
Pour vous, quelles sont les principales qualités pour devenir ARC ?
É. R. : Je dois être extrêmement rigoureuse et avoir un sens de l’organisation très développé pour assurer un suivi simultané des 20 essais cliniques dont j’ai la charge ! Je dois aussi faire preuve d’adaptabilité aux imprévus qui peuvent survenir sur une étude. Mes interlocuteurs étant nombreux, je dois également savoir communiquer efficacement avec chacun et adapter mon vocabulaire. Par exemple, je peux rapidement passer d’un échange avec un médecin à un appel avec un patient et, la minute d’après, devoir assurer une communication en anglais avec un promoteur.
Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans ce métier ?
É. R. : Un essai clinique est un travail d’équipe qui mise sur la transversalité. Ce qui me plait dans le métier d’ARC, ce sont avant tout les échanges très stimulants avec les différents professionnels qui m’entourent : médecins, promoteurs, infirmiers… J’apprécie aussi beaucoup d’être autonome dans l’organisation de mon travail quotidien. Enfin, c’est un métier très enrichissant intellectuellement car, à chaque projet, j’en apprends davantage.
Photos : © Inserm / François Guenet