Créée sous un format ad hoc pour ne pas devoir attendre la prochaine vague nationale prévue en 2027, l’unité fédère environ quarante-cinq chercheurs du CHU de Guyane, de l’institut Pasteur et de l’université de Guyane. Spécialisée dans la santé tropicale, elle répond à un besoin longtemps exprimé : rendre la recherche guyanaise plus lisible, plus visible et plus cohérente.
Année charnière
La création conjointe, la même année, d’un centre hospitalier universitaire (CHU) et d’une unité de recherche marque un tournant majeur pour la Guyane. Au-delà du renforcement de l’offre de soins, la nouvelle structure de recherche, en lien avec l’unité de formation et de recherche (UFR), ouvre la voie à une stabilisation des personnels dans le domaine scientifique. Le développement de formations locales, associé à l’émergence de nouvelles perspectives de carrière sur le territoire, contribue en effet à favoriser la rétention des chercheurs. Mathieu Nacher, directeur de l’unité, explique : « L’accès à notre territoire rend difficile l’ancrage des scientifiques au sein de nos structures. Par conséquent, nous souhaitons miser davantage sur nos populations pour stabiliser les effectifs, notamment chez les doctorants. »
Une unité de recherche au service de la population guyanaise
La nouvelle unité s’articule autour de deux grands axes : la santé des populations et les pathologies tropicales. Ce positionnement répond à un besoin fort d’amélioration des conditions de santé en Guyane. Près de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté, l’espérance de vie y est inférieure de deux à trois ans à la moyenne nationale, et le taux de mortalité infantile est 2,6 fois plus élevé qu’en métropole. L’insécurité alimentaire, particulièrement marquée chez les femmes, se traduit par des carences nutritionnelles touchant 80 % d’entre elles. Face à cette situation, les équipes de recherche s’engagent pleinement dans l’étude des déterminants de santé, avec l’objectif d’éclairer et renforcer les actions de prévention.
Dans ce contexte, « aller vers » est une démarche incontournable pour toucher de larges tranches de population, notamment dans les quartiers prioritaires de la ville de Cayenne. Les partenariats avec les communes ou des associations comme Médecin du monde font partie du quotidien de recherche, comme souligne le directeur d’unité : « la recherche participative créée davantage d’adhérence aux traitements ou aux recommandations. De plus, pour convaincre de l’intérêt de participer aux enquêtes, il faut formuler des questions qui font écho aux problématiques des populations cible. »
Observatoire des pathologies liées au changement climatique
Fortement soutenue par l’Inserm depuis la création du centre d’investigation clinique (CIC) Antilles-Guyane en 2008, la recherche guyanaise occupe une place à part dans le paysage de la recherche française. Seul territoire français de recherche biomédicale en lien avec le biotope amazonien, elle est en prise directe avec des maladies infectieuses tropicales comme la dengue, le paludisme, le chikungunya ou l’ulcère de Buruli.
Dans un contexte de réchauffement climatique, ces maladies tendent à gagner du terrain, portées par l’expansion géographique de leurs vecteurs – moustiques, parasites, micro-organismes – vers des zones jusqu’alors épargnées. Comme l’explique Didier Samuel, PDG de l’Inserm, récemment en déplacement pour rencontrer les équipes de recherche : « La Guyane est un observatoire de premier plan pour comprendre et anticiper ces dynamiques, développer des outils de diagnostic, suivre l’évolution des pathogènes et renforcer nos capacités de réponse nationales. »
Marquée par la proximité avec la forêt et une forte biodiversité, l’approche de recherche développée, One Health, tient compte des interactions entre santé humaine, santé animale et environnement.
Une dynamique renforcée par la labellisation Inserm
Actuellement en phase d’exploration des opportunités offertes par sa récente labellisation Inserm, l’unité a déjà lancé les premiers jalons de thèses financées et co-dirigées avec l’institut Pasteur. En plus des collaborations historiques – comme celle menée avec Harvard –, Mathieu Nacher souligne l’élan collectif suscité par la création de l’unité : « Cette reconnaissance a décuplé la volonté de chacun de faire rayonner la recherche guyanaise à l’international. Tout le monde cherche à se rapprocher des autres pour affiner ses axes de recherche et développer des complémentarités. » La labellisation ouvre également la voie à l’octroi d’habilitations à diriger des recherches, un levier important pour structurer durablement la recherche sur le territoire.
Dans cette dynamique, la nouvelle « Team Guyane » se prépare dès à présent à la prochaine vague nationale d’évaluation des unités, déterminante pour pérenniser son statut. Mathieu Nacher en rappelle l’ambition : « Nous devons bâtir et faire vivre des structures qui contribuent à améliorer l’avenir de la Guyane. La dynamique est déjà là : 180 publications par an pour 45 chercheurs, et une population en forte croissance, avec le plus haut taux de natalité d’Amérique latine. Ce sont les scientifiques de demain. »