Quel chemin vous a mené de l’armée à l’Inserm ?
Mehdi Chaker : Je suis entré dans l’armée comme appelé pour un service long de 24 mois à La Réunion, au 2ᵉ régiment parachutiste d’infanterie de marine. Au départ, j’y allais un peu à reculons, jusqu’à ce qu’une discussion avec mon grand-père change ma vision. En substance, il m’a dit : « le service militaire, soit tu subis, soit tu en fais quelque chose qui te rendra meilleur ». J’ai alors demandé à partir en Outre-mer et me suis porté volontaire pour la filière parachutiste après une préparation militaire. J’ai aimé l’adrénaline, l’esprit d’équipe et le défi que l’on me proposait.
À la fin du service, je me suis engagé. Pendant une quinzaine d’années, j’ai servi au sein de régiments parachutistes, de groupes spécialisés, puis de régiments d’infanterie et de soutien. Malheureusement, des problèmes de santé ont limité certaines de mes capacités opérationnelles, en particulier le saut et les activités exigeant une implication physique intense. J’ai alors entamé une réflexion pour me reconvertir dans le civil.
Comment s’est passée la transition ?
M. C. : En regardant mon parcours scolaire et mes sensibilités personnelles, j’ai commencé à envisager des métiers plus liés aux chiffres. J’ai suivi une formation de comptable assistant au centre militaire de formation professionnelle de Fontenay-le-Comte, en partenariat avec l’agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa).
Après quelques expériences au sein de cabinets comptables, je me suis rendu compte que cela ne me correspondait pas. Même si je reconnaissais l’utilité de mon travail, l’orientation vers le profit me dérangeait : je ne retrouvais pas cette notion de mission qui m’avait guidé dans l’armée, cette idée de contribuer à quelque chose d’utile.
Après ces quelques contrats, une conseillère pour l’emploi m’a suggéré d’essayer la fonction publique. Elle m’a parlé de centres financiers, de directions financières, et surtout, elle m’a dit que là je pourrais retrouver la notion d’utilité qui me faisait défaut dans le privé. Effectivement, dès ma première mission, j’ai retrouvé le sentiment de servir un objectif collectif.
Quel élément a fait pencher la balance en faveur de l’Inserm plutôt que d’autres structures publiques ?
M. C. : En premier lieu, le sens et la clarté de la mission. À l’Inserm, j’ai trouvé un poste où je savais exactement ce que je devais faire et comment contribuer concrètement à un projet collectif. Dès l’entretien avec ma future responsable, j’ai ressenti une vraie écoute et une structure : les objectifs étaient précis, le rôle que j’allais jouer était défini, et j’ai retrouvé un management qui valorisait la rigueur et le suivi.
Au-delà de la mission et de l’équipe, travailler pour un institut de recherche en santé publique comme l’Inserm donne immédiatement du sens au quotidien. Connaissant moi-même des problèmes de santé, je mesure l’importance de pouvoir contribuer, à mon niveau, à une organisation qui œuvre pour le bien-être de la société.
Votre parcours militaire a‑t-il laissé des traces dans votre manière de travailler ?
M. C. : Après vingt ans de service dans l’armée, certaines habitudes sont restées, notamment le concept de communication claire. En tant que militaire, j’ai appris qu’une mauvaise communication peut bloquer toute une opération. À l’Inserm, dès mon arrivée, j’ai pris contact avec l’ensemble des gestionnaires de mon périmètre pour me présenter, expliquer ma manière de travailler et m’assurer que nous parlions le même « langage », en particulier sur les notions techniques. Lorsque je transmets des informations comptables, j’adapte toujours mon vocabulaire pour garantir la compréhension de tous, plutôt que de laisser s’installer un malentendu. Cette rigueur permet de faire avancer les dossiers plus efficacement et d’éviter les blocages inutiles.
La seconde habitude est la capacité à dédramatiser et à prendre du recul : l’armée inculque la maîtrise de soi face à des situations pouvant paraître critiques. Ici, je continue à appliquer ce principe : face à un problème figé ou une situation bloquée, je prends le temps de la visualiser objectivement, parfois en la découpant en étapes. Cela aide à éviter la paralysie et à orienter mes actions vers des solutions pragmatiques.
À l’armée, quelles techniques apprend-on pour gérer le stress ?
M. C. : J’ai un rituel qui m’a beaucoup aidé, notamment au début de ma formation initiale de parachutiste. Avant chaque saut, je passais en revue tout mon matériel, vérifiais chaque détail de mon ensemble de parachutage, puis je m’isolais pour fermer les yeux et visualiser le saut, du décollage à l’atterrissage. Ce parcours mental me permettait de réduire le stress et d’aborder le moment présent plus sereinement. Aujourd’hui encore, ce principe me sert dans le travail comme dans la vie quotidienne.
Quelles sont vos principales missions au sein du service facturier ?
M. C. : Le service facturier intervient dans la chaîne de dépense, qui démarre dès qu’un besoin est exprimé. Notre rôle vise à s’assurer que l’argent public est utilisé conformément aux différentes réglementations, depuis la commande jusqu’au paiement des fournisseurs. Mon activité se résume autour de trois grandes missions.
La première consiste à vérifier que les factures reçues correspondent bien à la commande : les prix, les conditions et la réalisation du service doivent être conformes. Cela implique de croiser les informations avec les marchés ou contrats en vigueur, et de s’assurer que tout est bien aligné avec la réglementation, notamment le code de la commande publique et celui de la comptabilité publique.
La deuxième mission est de garantir que le paiement est effectué au profit de la bonne personne et sur le bon compte. Cela paraît simple, mais c’est un point crucial car toute erreur entraîne des conséquences importantes. Enfin, la troisième mission consiste à préparer et transmettre les ordres de paiement aux comptables pour finaliser la chaîne d’achat. Cela dans un minimum de temps afin de ne pas dépasser le délai légal de paiement
Pour donner un ordre de grandeur, à la délégation Grand Ouest, nous gérons environ 20 000 à 30 000 factures par an. Même si chaque unité peut considérer ses propres commandes comme modestes, à l’échelle de l’Inserm, cela représente un volume très important et un enjeu réel de gestion des ressources publiques.
Afin d’aller plus loin, j’aimerais élargir mes compétences à la phase amont de la chaîne de dépense, à savoir la passation des marchés : définition du besoin, choix des procédures et collaboration avec les juristes-acheteurs. D’ici un à deux ans, je souhaite suivre une formation en droit administratif et en réglementation des marchés publics. C’est un domaine technique, mais c’est aussi un levier fort pour rendre l’action publique plus cohérente et efficace.

Il arrive que des chercheurs réalisent des achats avec leurs propres fonds. Quels sont les enjeux pour votre service ?
M. C. : Ces situations surviennent surtout lorsqu’une commande est urgente ou que des produits ne peuvent pas être obtenus autrement. Certaines contraintes de recherche exigent une grande réactivité, ce que je comprends parfaitement. Ce n’est pas la méthode la plus pratique, ni pour eux ni pour nous. Cependant, même si nous privilégions les procédures standard, bons de commandes ou cartes achats, ces cas restent encadrés : notre rôle est de transformer sous forme de facture ces demandes de remboursements, de vérifier leur conformité et de s’assurer que tout est en ordre. Ce qui peut parfois prendre du temps dans l’analyse des pièces justificatives.
Vous avez connu la bascule vers Sifac. Quelle est votre vision de cette transition ?
M. C. : Je dirais d’abord que le passage à Sifac était une nécessité. L’ancien outil, Safir, avait atteint ses limites, surtout face à des réglementations qui évoluent sans cesse. Il fallait donc un système plus modulable, capable de suivre ces changements. Avec le recul de l’expérience, il aurait fallu, selon moi, une phase de test plus longue en amont, même si elle aurait entraîné une charge de travail supplémentaire. L’outil présente encore aujourd’hui certains dysfonctionnements qui peuvent bloquer toute une chaîne de traitement.
Pour y faire face, l’agence comptable principale a mis en place une plateforme ouverte d’échange entre gestionnaires des services facturiers. Je me suis porté volontaire pour être le correspondant de ma délégation. Dès qu’un nouveau problème survient, je sonde mes collègues pour voir si elles rencontrent le même blocage. Cela permet de distinguer ce qui vient d’une mauvaise manipulation de ce qui relève d’un vrai bug. Ensuite, nous faisons remonter les anomalies aux services concernés, tout en gardant une trace de tout ce qui pose un problème, pour pouvoir suivre les évolutions.
Malgré tout, je comprends bien le sens du projet : rationaliser les procédures, notamment avec les universités, dont beaucoup utilisent déjà Sifac. L’objectif d’harmonisation est nécessaire, même si, sur le terrain, il reste encore un peu de chemin à faire.

Comment décririez-vous l’ambiance de travail au sein de votre service et, plus largement, à l’Inserm ?
M. C. : Je trouve qu’à l’Inserm, il y a une vraie culture de la bienveillance et du professionnalisme. Dans notre service, tout le monde se soucie des autres. Cela se ressent au quotidien : si quelqu’un a besoin d’aide, l’on se propose naturellement, sans qu’il soit nécessaire de demander. Cette solidarité crée une ambiance sereine, propice au travail. Et ce qui s’y ajoute, c’est la capacité à passer naturellement d’un moment de légèreté à un échange professionnel.
Par exemple, avec ma responsable, nous pouvons plaisanter à la machine à café, puis avoir, cinq minutes après, un entretien rigoureux sur un dossier. Elle sait créer cette proximité sans jamais perdre l’autorité ni le sens des responsabilités. Pour moi, c’est ça, un bon management : savoir être à la fois accessible et solide dans ses décisions.
Avant d’arriver ici, j’ai connu une structure où le management mettait au contraire beaucoup de distance. Les échanges étaient très formels, presque froids, et ça créait un flou : nous ne savions jamais vraiment si nous faisions bien, ni si nous pouvions proposer quelque chose de nouveau. Cette distance, au lieu de clarifier les rôles, entretenait une confusion.
En dehors du travail, quelles activités vous permettent de vous ressourcer ?
M. C. : Le sport a toujours été pour moi une échappatoire efficace, mais aujourd’hui, je me suis davantage tourné vers les activités manuelles, le bricolage ou la mécanique, qui ont un côté « occupation productive » très plaisant. Que ce soit réparer quelque chose à la maison ou dépanner un véhicule pour mon fils, je me plonge dedans, et en ressors satisfait. Faire usage de ses mains structure la pensée et développe la persévérance. J’aime aussi le sentiment de progression, suivre les étapes, analyser, puis passer à l’action. Cette capacité à m’immerger dans mes passions tient aussi à mon rythme de vie : je dors peu, quatre à six heures me suffisent ! Forcément, cela me laisse du temps pour lire ou avancer sur un projet. Par exemple, je me suis pris de passion pour les polars de l’auteur Michael Connelly et son inspecteur Bosch : je me suis plongé dans ses romans et séries.