Les contenus de la région '' vous seront proposés par défaut, en plus des contenus nationaux sur tout le site. Ce choix s'appliquera également lors de vos prochaines visites.

Vous disposez d'une adresse @inserm.fr, @aviesan.fr, @anrs.fr,
Connectez-vous pour accéder aux pages réservées, pour voir directement
les contenus de votre délégation et pour organiser vos outils Inserm.

Publier la science dans l’urgence : quelle place pour les prépublications aujourd’hui ?

Michel Pohl, directeur adjoint du département de l’Information scientifique et de la communication de l’Inserm, présente les enjeux de la science ouverte pour l’Institut à l’heure où évoluent les pratiques de diffusion des résultats des études biomédicales.

National
A+ / A-

Moins d’un an après le début de la pandémie de Covid-19, les premiers vaccins étaient approuvés par les grandes agences réglementaires de santé, dont l’Agence européenne du médicament. Ce tour de force tient en grande partie à un partage rapide, massif et mondial des informations scientifiques, facilité notamment par les plateformes de prépublication.

Qu’est-ce qu’une prépublication, ou preprint en anglais ? 

Michel Pohl : C’est un article scientifique déposé sur une plateforme dont l’accès est libre. Il est disponible quasi immédiatement car il n’est pas soumis à une relecture préalable par les pairs, contrairement aux manuscrits publiés par les revues « classiques ». Par ailleurs, il obtient comme ces derniers un identifiant numérique, ou DOI (pour digital object identifier), qui lui permet d’être visible et cité. 

En 2020, la politique de l’Inserm en matière de science ouverte a‑t-elle évolué, notamment sous l’impulsion de la pandémie de la Covid-19 ?


M. P. : La science ouverte est l’une des quatre priorités du plan stratégique 2020 – 2025 de l’Inserm. À ce titre, depuis janvier 2020, la direction générale de l’Institut incite au dépôt des manuscrits auteurs acceptés (MAA) – c’est-à-dire relus par les pairs et acceptés pour publication – sur l’archive ouverte nationale HAL. Le président-directeur général, Gilles Bloch, a écrit à tous les directeurs d’unité en leur expliquant qu’après un temps d’incitation forte, le dépôt sur HAL deviendra obligatoire. Cette nouvelle politique n’est pas une conséquence de la crise, mais l’aboutissement d’une évolution. En effet, dès 2003, l’Inserm a été parmi les premiers signataires de la Déclaration de Berlin sur le libre accès à la connaissance en sciences exactes, de la vie, humaines et sociales. Il s’agissait alors de l’accès ouvert (open access en anglais) aux publications scientifiques. Un peu plus tard, cet accès a concerné également les données brutes, les logiciels ou les sections de code informatique. C’est pourquoi on parle de « science ouverte ».

Pourquoi l’essor des prépublications en recherche biomédicale est-il plus tardif que dans d’autres domaines ?


M. P. : Les physiciens sont les grands précurseurs des preprints, notamment à travers la plateforme ArXiv, développée dès 1991. Historiquement, les grands projets de physique impliquent de nombreux laboratoires afin de financer des infrastructures très lourdes, et une communication rapide et directe
qui est une sorte de seconde nature pour les chercheurs de cette discipline. En biologie et surtout dans le biomédical, la culture disciplinaire est un peu différente. L’idéal d’excellence repose notamment sur la publication de résultats exclusifs dans les plus grands journaux, dans le but de gagner la visibilité la plus importante possible. Cela explique les réticences durables des chercheurs à publier via des supports qui leur paraissaient peu visibles ou insuffisamment valorisés.

Quelles sont les mesures mises en place par l’Inserm pour inciter les chercheurs à cette démarche de science ouverte ?

M. P. : Depuis 2020, la mise à jour du dossier d’évaluation et de promotion des scientifiques, à chaque nouvelle publication, doit inclure les articles déposés dans HAL. Pour cette raison, le dépôt des manuscrits est désormais facilité par un portail institutionnel – Inserm HAL – et par une équipe dédiée qui aide les chercheurs dans leurs démarches et gère les aspects réglementaires, notamment en ce qui concerne les délais d’embargo. L’open access des données est quant à lui plus complexe à mettre en œuvre, en particulier à cause de la confidentialité des informations médicales recueillies auprès des participants aux études ; mais la réflexion est déjà bien engagée et un projet opérationnel est en cours d’élaboration. Ce projet s’inscrit dans la démarche pour la science ouverte portée par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Enfin, il y a trois ans, nous avons signé la Déclaration de San Francisco prônant la modification des systèmes d’évaluation des chercheurs, dite Dora (pour Declaration on Research Assessment). Dans ce cadre, nous envisageons d’inclure, dans les formulaires d’évaluation personnelle et de promotion des chercheurs, une rubrique qui valorisera toutes les actions de science ouverte au sens large qu’ils pourront entreprendre. 

Les prépublications vont-elles aider les chercheurs à s’impliquer davantage dans le plan S ?


M. P. : De toute évidence. Le plan S élaboré en 2018 par la cOAlition S, qui regroupe 16 agences nationales de financement de la recherche, dont l’Agence nationale de la recherche (ANR) pour la France, vise à accélérer le passage vers l’open access. Ainsi, à partir de janvier 2021, les publications obtenues dans le cadre de financements publics doivent être rendues immédiatement accessibles, avec des licences ouvertes. Pour s’y conformer, le chercheur a donc la possibilité de passer par un preprint déposé sur les plateformes dédiées, par le dépôt du manuscrit auteur accepté dans HAL ou d’autres archives ouvertes, par un journal en accès ouvert, ou encore par un éditeur classique, y compris dans des journaux avec abonnement, mais toujours avec une licence CC-BY. Cette dernière permet de partager, copier, reproduire, distribuer, communiquer, réutiliser et adapter un article en citant bien sûr
la source.

Ne va-t-on pas rencontrer des réticences de la part des chercheurs et des éditeurs ?


M. P. : Côté chercheurs, un temps d’habituation va certes être nécessaire. Mais dès que l’ANR évaluera
les projets en prenant réellement en compte le critère de l’open access, les scientifiques l’accepteront pour ne pas perdre le soutien de l’agence, qui est une manne financière importante pour les laboratoires. Certains éditeurs pourront quant à eux refuser la licence CC-BY, mais à terme, ils devront s’y résoudre sous peine de voir les chercheurs se tourner vers leurs concurrents. D’ores et déjà, Nature se dit favorable à cette transition. Et Elsevier, une maison d’édition multimédia qui compte près de 3 000 revues dans les domaines de la santé, des sciences et de l’éducation, a rendu un grand nombre de journaux compatibles avec le plan S. Par ailleurs, concernant le dépôt dans HAL, nous avions consulté les directeurs d’unité début 2019 et leur appui à cette initiative a été massif

Existe-t-il des garde-fous pour limiter la prépublication d’articles de mauvaise qualité scientifique ?


M. P. : Oui et non. Les plateformes de preprint ne font pas de tri. Elles s’assurent uniquement
de l’absence de contenu offensant, inadéquat, non scientifique et de plagiat. Par ailleurs, l’Inserm ne peut s’opposer à la diffusion des articles rédigés par ses chercheurs, car publier relève de la liberté
et de la responsabilité des scientifiques. Heureusement, ces derniers tiennent à leur réputation et font preuve de déontologie. De plus, parce que tout le monde peut commenter les preprints, y compris les spécialistes du domaine, on constate une régulation naturelle de ce qui est publié. Malgré le nombre colossal de publications liées à la Covid-19, proportionnellement, le nombre de fake news lié aux preprints est resté limité. Quand il y en a eu, les preprints incriminés ont vite été repérés et retirés des plateformes. Cette communication immédiate entre chercheurs, qui a contribué à l’avancée très rapide des connaissances, a été décisive ! On peut néanmoins déplorer que les preprints mènent parfois à des erreurs d’interprétation, de la part notamment de journalistes qui sont friands d’études scientifiques récentes aux résultats tonitruants. C’est aussi pour cette raison que la politique de communication de l’Inserm vers le grand public ne s’appuie pas sur des preprints.

Est-ce que les publications avec comité de lecture vont devoir évoluer sous la pression des prépublications, par exemple en étudiant les manuscrits plus vite ?


M. P. : C’est le cas en effet. Avec la Covid, certains journaux ont fait des efforts pour accélérer la relecture et la validation par les pairs – parfois au détriment de la qualité, comme l’a montré le fameux article publié par The Lancet qui suggérait que l’hydroxychloroquine augmentait la mortalité chez les malades. Il a été publié trop vite et retiré en moins de deux semaines, mais le mal était fait. Cela a contribué à brouiller la parole scientifique. Par ailleurs, il existe de plus en plus de liens entre les éditeurs et les preprints. Ainsi, des chercheurs de l’Inserm nous ont indiqué que certains journaux leur ont proposé de déposer leur prépublication chez eux, pour évaluation. D’autres journaux vont même plus loin.
Par exemple, eLife préconise que les articles destinés à être publiés dans ses pages soient d’abord rendus disponibles au format preprint. Si le chercheur n’a pas suivi cette recommandation, l’éditeur lui suggère de déposer l’article sur une plateforme. Ce passage par preprint deviendra même une règle chez eLife dans le courant de l’année 2021. 

Grâce à ces évolutions, verra-t-on naître un intermédiaire entre les prépublications et les publications « classiques » ?


M. P. : Oui. La crise sanitaire de la Covid a été révélatrice de l’intérêt de partager sans attendre l’information, même non validée : dès qu’elle était disponible, des chercheurs s’en sont saisi et l’ont utilisée pour tester de nouvelles hypothèses de recherche ou tenter de reproduire des
résultats. Le système des preprints est donc pertinent, mais c’est la revue par les pairs qui donne tout son poids à la science. C’est pourquoi des communautés spécialisées dans la relecture critique des preprints se sont mises en place depuis plusieurs années. On peut citer Peer Community In (PCI), créée en 2016 par de jeunes chercheurs de l’Inra. Aujourd’hui, PCI s’appuie sur un réseau de 1 200 relecteurs spécialisés dans 12 domaines comme l’écologie, les neurosciences ou la génomique. Dans le même esprit, en 2019, l’éditeur réputé EMBO Press s’est associé à ASAPbio (Accelerating Science and Publication in Biology), un organisme à but non lucratif qui valorise la science ouverte. Ils ont lancé Review Commons, une plateforme qui examine les manuscrits avant de les soumettre à des revues. Cette « professionnalisation » de la relecture des preprints permet une révision par les pairs indépendante des intérêts des éditeurs, parfois fondés sur le caractère spectaculaire d’un projet de recherche ou le prestige associé à un auteur, plus que sur la qualité des travaux. On s’oriente donc en effet vers un nouveau standard de publication, avec des plateformes de preprint de haut niveau, valorisées par la relecture de grands spécialistes du domaine.

Cet article est issu de la partie Enjeux de la recherche du rapport d’activité 2020.