On dénombre chaque année plus de 140 000 nouveaux cas d’accidents vasculaires cérébraux (AVC) en France, soit un toutes les quatre minutes. L’AVC représente la deuxième cause de mortalité, avec 20 % des personnes qui décèdent dans l’année qui suit un accident.
À l’Institut de psychiatrie et de neurosciences de Paris, Jean-Louis Mas dirige l’équipe Inserm « Accidents vasculaires cérébraux : déterminants du pronostic, recherche translationnelle et médecine personnalisée ». Depuis 2009, ce professeur de neurologie et chef de service à l’hôpital Sainte-Anne rassemble des médecins intéressés par la recherche, pour mener plusieurs projets de front. En tant que chef d’équipe, il se porte garant de la faisabilité, de l’aspect innovant, et surtout, de la qualité méthodologique des choix d’une équipe, pour laquelle la recherche clinique est totalement intégrée à l’activité de soins.
À l’origine de ce choix : son étonnement lorsqu’il était interne « face à l’empirisme et parfois au dogmatisme qui régissent certaines décisions médicales, notamment thérapeutiques ». Il embrasse alors l’evidence-based medicine, qui recommande d’évaluer les données disponibles selon des critères de preuve, pour une prise en charge médicale personnalisée. Il se forme à la biostatistique et à la méthodologie en recherche clinique. Cette double compétence lui permet de lier, tout au long de sa carrière, médecine neurovasculaire et recherche.
S’interroger sur la qualité des preuves qui sous-tendent nos choix permet de prendre des décisions médicales personnalisées avec plus de sérénité. Et si on attrape le virus de la recherche clinique, il faut se lancer dans cette discipline passionnante !
Pendant trente ans, Jean-Louis Mas a étudié le foramen ovale perméable (un vestige de la circulation fœtale), cause fréquente d’infarctus cérébral chez l’adulte jeune. Il a également travaillé sur le stenting carotide (technique de prothèse vasculaire utilisée pour traiter les sténoses coronaires) qui comporte un risque d’AVC. Sur ces deux sujets, ses travaux sont désormais systématiquement pris en compte dans les recommandations internationales. Ce qui lui fait dire que « la thématique du foramen ovale m’a apporté une grande satisfaction, la plus importante de toutes pour un médecin, celle d’avoir contribué à améliorer la prise en charge des patients atteints d’un AVC. »
Les recherches de son équipe sont directement issues de l’activité clinique de chacun de ses membres. Leurs travaux tentent de répondre aux questions que les médecins se posent lors d’un AVC, maladie complexe et hétérogène. Ils portent notamment sur la prévention, à travers l’identification des facteurs qui déterminent le pronostic, notamment les récidives. Autre axe de recherche : l’infarctus cérébral aigu, dans le but d’identifier les facteurs déterminant la réponse aux traitements de reperfusion cérébrale. Enfin, la perte de la fonctionnalité manuelle, séquelle fréquente et particulièrement invalidante des AVC.
Projet Actris : faut-il opérer les sténoses carotides asymptomatiques ?
Depuis un an et demi, David Calvet (PU-PH en neurologie) conduit le projet Actris : un essai thérapeutique randomisé, qui implique l’ensemble des médecins intéressés par la pathologie vasculaire et sa prévention, dans plus de vingt centres dans toute la France. Actris permet de comparer, chez des patients atteints de sténose carotide asymptomatique (qui n’ont pas été responsables d’AVC), le traitement médical seul, au traitement associé à un geste chirurgical.
Il y a plus de vingt ans, des essais ont montré le bénéfice significatif d’un geste chirurgical appelé l’endartériectomie en comparaison d’un traitement médical seul. Mais avec l’amélioration des traitements, il n’est plus du tout certain que ce faible risque justifie encore un geste chirurgical de prévention, d’autant qu’il existe toujours un risque opératoire. Compte tenu de cette incertitude, une société savante américaine s’est même prononcée contre le dépistage des sténoses carotides asymptomatiques. La question est donc la suivante : l’opération chirurgicale doit-elle être encore proposée ?
Environ 15 % des infarctus cérébraux (AVC ischémiques) sont liés à une sténose athéroscléreuse de l’artère carotide. Il existe donc bien des patients qui bénéficieraient d’une opération. Dans cette perspective, la constitution de modèles prédictifs qui permettent de déterminer et de quantifier le risque d’AVC chez un individu sous traitement médical est intéressant.
Toute la difficulté est d’identifier les patients les plus à risque pour personnaliser les mesures de prévention.
Projet Asphalt : amener l’hôpital aux patients sur le lieu de l’AVC
La prise en charge des AVC est une course contre la montre. « Chaque minute qui s’écoule pendant la constitution d’un AVC ischémique conduit à la mort de deux millions de neurones et chaque minute gagnée pour débuter la thrombolyse intraveineuse correspond à deux jours supplémentaires de vie sans handicap », rappelle Guillaume Turc, neurologue, chercheur et maître de conférence.
Cependant, la réalisation d’une imagerie cérébrale (scanner ou IRM), jusqu’ici uniquement disponible à l’hôpital, est indispensable afin de distinguer AVC ischémique ou hémorragique, car leur prise en charge diffère radicalement. Pour Guillaume Turc « en cas d’AVC ischémique, chaque minute compte pour déboucher l’artère occluse car une partie du cerveau, en souffrance par manque d’oxygène, risque d’évoluer très rapidement vers la nécrose irréversible ».
Des médecins allemands ont fait le pari d’ « amener l’hôpital au patient », à l’aide d’un nouveau type d’ambulance équipée d’un scanner, appelé unité neurovasculaire mobile. Cette innovation devrait permettre de débuter plus rapidement les traitements de reperfusion cérébrale (thrombolyse ou thrombectomie), mais aussi d’améliorer l’orientation préhospitalière des patients.
Il est essentiel que l’Inserm continue de soutenir la recherche clinique, car elle seule permet d’affirmer formellement qu’un nouveau traitement prometteur est effectivement bénéfique pour les patients et que les stratégies de prise en charge thérapeutique méritent d’être modifiées.
Malgré des résultats encourageants à Berlin et aux États-Unis, il est nécessaire de démontrer rigoureusement l’intérêt clinique et médico-économique de cette innovation en France, avant d’envisager son déploiement à grande échelle. Le projet de recherche Asphalt, piloté par Guillaume Turc (Sainte-Anne) et Benoît Vivien (SAMU de Paris), est une première nationale qui débutera à l’automne 2021.
L’étude comprend la construction d’une ambulance médicalisée dédiée à la prise en charge des AVC. Asphalt prévoit également, la mise en place d’un essai randomisé pour démontrer que l’UNV mobile permet une réduction du handicap après un AVC ischémique pris en charge dans les six premières heures, par rapport à la prise en charge habituelle. L’étude devra aussi déterminer si l’utilisation d’UNV mobile est efficiente d’un point de vue médico-économique. Les résultats devraient être obtenus fin 2024. Des études ancillaires concernant les hémorragies cérébrales et l’évaluation de stratégies de neuroprotections sont également envisagées.
De quoi sera composée la première unité neurovasculaire mobile (UNV) française ?
L’UNV comportera :
- un scanner,
- un laboratoire biologique de première nécessité,
- une solution de télémédecine.
Elle embarquera :
- un médecin urgentiste ou neurologue,
- un manipulateur radio,
- un ambulancier.
Projet Dextrain : rééduquer la dextérité manuelle après un AVC
Pavel Lindberg (chercheur Inserm en neurosciences) étudie les composants neuroscientifiques clés de la dextérité pour développer des approches efficaces pour rééduquer les mains. « L’AVC est la première cause de handicap acquis chez l’adulte. Souvent associé avec un déficit de dextérité manuelle, elle impacte l’autonomie. Les patients se plaignent d’une paralysie partielle. Ils ne sont plus capables de faire de mouvements rapides et précis, des tâches fines de la main, ni de coordonner leurs doigts. S’habiller, manger, ou encore préparer le repas devient alors très difficile. »
Pour quantifier l’indépendance des doigts (IDD), il a développé Dextrain : un outil relié à des jeux sur ordinateur. Une première étude a démontré la faisabilité de cet instrument et l’existence d’un lien significatif entre l’IDD et la capacité réelle de manipulation des objets. Puis, une étude clinique randomisée et contrôlée a permis d’étudier l’efficacité de Dextrain pour la rééducation. Lors de cette « preuve de concept » les patients AVC, ont suivi pendant quatre semaines une rééducation avec Dextrain et selon une méthode conventionnelle.
Pavel Lindberg entend démontrer que la rééducation avec Dextrain permet une amélioration supérieure de la dextérité, ainsi qu’une meilleure fonctionnalité de la main et de l’utilisation spontanée de celle-ci. Pour cela, on réalise des évaluations avant l’entraînement, immédiatement après, et au bout de trois mois. La plasticité des réseaux sensorimoteurs sont étudiés par IRM fonctionnelle et par stimulation magnétique transcrânienne, avant et après la rééducation. Les résultats de cette étude sont attendus en mai 2021.
Chez les cliniciens et les utilisateurs, les premiers retours sont positifs. « Les patients trouvent l’utilisation du Dextrain fatigante au début, car elle leur demande beaucoup de concentration. Mais ils apprécient la possibilité de travailler les doigts et des gestes fins, ce qui leur manque dans les approches conventionnelles. De plus, le retour sur écran les motive en donnant un résultat direct de leurs performances. »
Du côté des ergothérapeutes, le constat est aussi positif. Dextrain permet d’effectuer un travail analytique de décomposition des gestes, et apparaît comme un réel soutien dans leur service.
L’autre objectif de Pavel Lindberg est de développer des marqueurs cliniques, pour la détection précoce des maladies neurodégénératives comme Alzheimer, ou psychiatriques comme la schizophrénie. L’outil, plus sensible que les approches conventionnelles, pourrait détecter très tôt les signes et être utile pour le pronostic de la maladie.
Quels sont les composants clés de la dextérité ?
- la force,
- la temporalité du geste,
- l’indépendance des doigts,
- la capacité d’apprendre et mémoriser des séquences entre les doigts (comme lorsque on joue du piano ou que l’on tape sur un clavier)
À terme, j’aimerais développer un objet connecté, portable, à un tarif accessible. Le patient pourra ainsi s’entraîner à son domicile de façon autonome, et les données seront envoyées directement à son thérapeute.
Un exemple de recherche translationnelle
Martine Gavaret et Estelle Pruvost-Robieux conduisent une recherche translationnelle sur la stimulation transcrânienne à la phase aiguë de l’infarctus cérébral. Trois études menées sur les rongeurs montrent l’intérêt de l’électrostimulation du cerveau (tDCS) lors de la phase aigüe des AVC. Mais le cerveau des rongeurs présente d’énormes différences avec celui des êtres humains, et de nombreuses incertitudes demeurent. Elles ont alors proposé une étude pilote chez l’homme.
Sous l’impulsion de l’Inserm, nous développons au moyen d’essais randomisés pilotes, de nouvelles approches thérapeutiques directement issues de la recherche préclinique.
Après la première étape de la prise en charge, qui consiste à confirmer par imagerie le diagnostic d’AVC, une stimulation transcrânienne cathodique en regard de l’AVC est effectuée pour inhiber les activités électriques dépolarisantes de la zone de pénombre. Leurs résultats viennent d’être acceptés pour publication dans la revue Stroke.
Bravo à cette équipe, dont les membres sont mus par une passion commune pour la recherche clinique, et, de l’avis même de Jean-Louis Mas, « font avancer leurs projets de recherche malgré des activités cliniques très prenantes » .
Vignette de l’article : © Julie Bourges.