Contrairement à la santé, qui reste une prérogative nationale d’après les traités européens, le domaine de la recherche relève d’une compétence partagée entre les États membres et l’Union européenne. Concrètement, cela signifie que les décisions prises au niveau européen en matière de recherche ont un impact national, principalement à deux niveaux : sur le cadre réglementaire de la recherche, et sur les financements, qui proviennent de plus en plus de l’Europe. Par exemple, le programme-cadre Horizon Europe est le plus grand programme de recherche, de développement et d’innovation au monde.
Dans ce contexte, l’Inserm a progressivement renforcé sa présence à Bruxelles. Par exemple, la Cellule Europe effectue une veille sur l’évolution des financements et oriente les chercheurs vers le plus adapté. L’équipe Financement de la recherche collaborative d’Inserm Transfert soutient les chercheurs dans l’écriture de leur projet, tandis que le réseau des anciens lauréats de projets (Raise), ou encore la représentante de l’Institut à Bruxelles, apportent leur expertise tout en assurant une visibilité institutionnelle sur place.
Conseiller les décideurs
Cécile Hériard, la représentante de l’Institut à Bruxelles, a pour rôle de communiquer le point de vue de l’Inserm auprès des représentants politiques et membres des institutions européennes. Cette démarche vise à orienter les prises de décision pour que les politiques publiques européennes s’appuient davantage sur la science, et reflètent l’ambition de qualité, de compétitivité, et d’utilité publique que porte l’Institut. Un défi complexe, comme illustre Cécile Hériard : « Il y a actuellement d’importants débats sur le maintien de financements pour la recherche exploratoire collaborative dans le prochain budget européen 2027 – 2033. Cette recherche, financée depuis 1984 par l’Europe, permet le rapprochement entre les meilleurs chercheurs européens dans un domaine, et la découverte de nouveaux concepts scientifiques. Renoncer à ces financements reviendrait à freiner l’émergence d’innovations de rupture, les essais cliniques multicentriques, ou encore à ralentir les comparaisons de données scientifiques entre pays européens. »
Dans ce cadre, la représentante de l’Inserm mène par exemple des actions de plaidoyer, ou fédère d’autres instituts de recherche autour de positions communes. L’objectif : renforcer la voix des instituts de recherche représentés à Bruxelles, qu’ils soient français ou issus d’autres pays européens. « Je joue le rôle de porte-parole. Par exemple, l’Inserm défend l’idée que la valeur ajoutée des projets européens repose en grande partie sur la qualité des réseaux européens, et la dimension collaborative et participative de ces derniers. Cette approche permet de produire une science plus compétitive à l’international, par exemple grâce à la mutualisation des compétences et des infrastructures. C’est également plus efficace pour la préparation aux prochaines pandémies et aux risques de santé émergents, qui par définition ne connaissent pas de frontières. Donc je travaille pour que notre connaissance des problématiques et du terrain soit entendue. »
Éclairer les décisions avec des faits scientifiques
L’autre mission principale de la représentation de l’Inserm à Bruxelles est de répondre aux questions des décideurs européens. Tout l’enjeu consiste à anticiper les thématiques susceptibles d’être débattues, et de relier les résultats de recherche à l’agenda politique. Par exemple, un sujet actuellement au cœur des échanges à Bruxelles concerne la lutte contre les fake health news, qu’il s’agisse de comprendre leur propagation ou leur impact, notamment en termes de conséquences sanitaires.
La fiabilité et la robustesse des données scientifiques communiquées par l’Inserm permettent aux décideurs de faire le tri dans l’océan de fausses informations qui circulent sur internet. Pour cela, la représentante de l’Inserm opère un travail de « vulgarisation politique », le plus souvent possible en étroite collaboration avec les instituts thématiques. Cécile Hériard explique ce rôle de courroie de transmission : « Les décideurs savent qu’ils peuvent nous appeler et que nous répondrons présent pour les aider. Toutes les données de recherche qui montrent un impact sur le citoyen intéressent énormément les élus. Il en va de même pour les travaux de recherche qui impliquent le citoyen, par exemple via les associations européennes de patients. »
Rendre le discours scientifique plus influent
Ce travail implique une vulgarisation adaptée aux enjeux politiques qui préoccupent les décideurs. Par exemple en intégrant des considérations économiques ou sociales aux données scientifiques, et en adaptant l’argumentaire aux convictions de l’interlocuteur. Pour certains, les questions d’autonomie stratégique priment, tandis que pour d’autres, les questions écologiques ou d’implantation industrielle sur leur territoire sont prioritaires. Cécile Hériard explique son mode d’action : « Le tandem représentant à Bruxelles – responsable Europe des instituts thématiques fonctionne bien. Par exemple, avec l’institut Santé publique, nous avons construit un document très concis – deux pages – pour expliquer aux personnalités politiques les effets des interactions entre climat et santé, et ce qu’il faudrait faire en matière de recherche dans différents domaines, par exemple la santé mentale ou les maladies infectieuses. »
Un argumentaire, étayé par une expertise collective ou une publication scientifique de l’Institut, accompagné de quelques chiffres-clé montrant l’impact sur la société est généralement bien accueilli. Ces arguments peuvent ensuite être relayés lors de conférences à Bruxelles, qui sont l’occasion pour les chercheurs de présenter leurs résultats et de démontrer la nécessité d’une action européenne. Par exemple, sur le thème « climat et santé », l’Institut a largement diffusé un récapitulatif illustrant la hausse de la mortalité pour telle ou telle pathologie et quantifiant les dommages du réchauffement climatique sur la santé lors de la conférence « Climat, pollution et santé : la voix de la science ».organisée en novembre dernier par l’Institut.
Enfin, ce travail d’influence ne se limite pas à l’échelle européenne : il repose aussi sur une étroite coordination avec les affaires publiques nationales. Ce dialogue constant entre Bruxelles et le niveau national permet d’anticiper les évolutions réglementaires, d’ajuster les stratégies d’influence et d’assurer une prise de position cohérente pour l’Institut.