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Portrait d’Inserm : Dominique Costagliola

Dominique Costagliola vient de recevoir le Grand Prix Inserm 2020 : une occasion unique de découvrir une chercheuse qui met sa passion au service des patients.

National
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Comment votre chemin a‑t-il croisé celui de l’Inserm ?

D.C. : J’ai commencé par étudier la physique, puis j’ai suivi une formation d’ingénieure à Télécom Paris. Intégrer cette école ne suffisait pas à étancher ma soif d’apprendre. En troisième année, j’ai suivi la spécialité Génie biologique et médical. Mes cours d’initiation au sein d’unités Inserm ont révélé ma vocation pour la recherche médicale. Savoir que chaque jour serait différent me stimulait. Mes enseignants de l’époque m’ont permis de rencontrer Alain-Jacques Valleron, biomathématicien et responsable d’une équipe au sein d’un laboratoire Inserm, qui allait devenir mon directeur de thèse.

Comment en êtes-vous venue aux maladies infectieuses ?

D.C. : En 1982, j’ai été recrutée par l’Inserm sur un projet intitulé « Vécu de la santé et vécu d’une maladie et de son traitement (cas du diabète) : perspectives ouvertes par la quantification ». Mon premier dossier de candidature comportait une phrase qui marquait mon désir, mais qu’aujourd’hui j’interdirai aux étudiants que j’encadre : « Je vous présente ce sujet car c’est le domaine sur lequel je travaille. Mais ce que je veux faire, c’est de la recherche sur les maladies infectieuses » !

J’ai débuté mes travaux sur le VIH en 1986. Puis j’ai publié mon premier article l’année suivante. Quelques mois plus tard, j’ai pris la décision la plus importante de ma carrière en me consacrant entièrement à la recherche sur le VIH. Cette vocation remonte sûrement à mon enfance. Je me souviens avoir été frappée de voir un voisin handicapé à la suite d’une mauvaise réaction à un vaccin contre la variole. Petite, j’ai moi-même souffert de rhumatismes articulaires aigus et d’une primo-infection à la tuberculose. Puisque les maladies infectieuses m’en voulaient, j’allais consacrer ma vie à les combattre.

Dominique Costagliola présente l’incidence et évolution par tranche d’âge lors du confinement de la première vague ( enquête Sapris – mi-mars-fin avril 2020 ) 

Pourquoi le VIH en particulier ?

D.C. : En octobre 1986, à l’occasion d’une des réunions bibliographiques sur le sida organisées par Alain-Jacques dès l’émergence de la maladie, Daniel Schwartz, le père de l’épidémiologie en France, s’interrogeait sur la durée d’incubation du virus suite à la parution de deux articles contradictoires analysant les mêmes données. J’avais moi-même constaté un problème dans celui paru dans Nature et ma lettre à ce sujet a été publiée dans la revue. J’ai ensuite effectué mes propres estimations à partir de données américaines et françaises et soumis ce travail à Nature. En tant qu’épidémiologiste et biostatisticienne, je n’avais aucune chance a priori de publier dans cette revue. Mais je suis arrivée sur le sida au moment d’une controverse entre un statisticien canadien de renommée internationale, Prentice, et des auteurs anglais. Mes données ont permis d’apporter des éléments à leur débat, et mon travail a été publié dans Nature en 1989. L’histoire retiendra que le Canadien avait raison.

Travailler sur le VIH est-il éprouvant ?

D.C. : Ma carrière de chercheuse a été complexe et stimulante à la fois. Au début des années 1990, l’espérance de vie des personnes séropositives était faible. J’avais des réunions régulières avec les membres des associations de patients à propos de la base de données sur l’infection VIH. À chaque réunion, des personnes présentes les fois précédentes avaient été emportées par la maladie et manquaient à l’appel. Cela m’était intolérable. Aussi, je me suis efforcée de travailler plus et mieux pour accélérer la recherche. Je n’oublie jamais que derrière chaque chiffre, il y a une personne. 

Actuellement, je travaille avec Jean-Michel Molina sur l’étude Prévenir. Nous évaluons le déploiement de la PrEP, un traitement prophylactique qui prévient l’infection par le VIH chez des personnes séronégatives. Après une carrière consacrée à l’infection par le VIH, il est stimulant de terminer celle-ci par des projets visant sa prévention.

Quelle est votre vision de la recherche ?

D.C. : Elle a évolué. Au début, j’étais convaincue que, même en travaillant étroitement avec les associations de patients, il me fallait rester indépendante. Mes recherches sont devenues de plus en plus participatives au fil du temps. J’aime l’idée que tout le monde soit à bord. Associations, cliniciens ou chercheurs, il est essentiel que tous avancent dans la même direction.

Au printemps dernier, le tweet de Didier Lestrade, cofondateur de l’association Act Up-Paris (« Dominique Costagliola, la personne qui nous a fait aimer l’épidémiologie dans les années 1990 »), m’a rendue fière, notamment quand je me souviens de certaines de nos engueulades !

En 2017, j’ai été élue personnalité qualifiée au sein de l’association AIDES et membre de son conseil d’administration. Je représente l’association au sein de la commission Aeras qui a pour but d’améliorer l’accès au crédit pour les personnes malades.

Quelle rencontre professionnelle vous a marquée ?

D.C. : J’ai rencontré Christine Rouzioux en 1991. Le travail que nous avons mené ensemble est celui dont je suis le plus fière. Nous avons mis nos compétences en virologie et en biostatistique en commun pour identifier le moment de la contamination mère-enfant dans l’infection à VIH. À l’époque, notre travail a mis du temps à convaincre, mais nous avons réussi à démontrer que deux tiers des contaminations se produisent lors de l’accouchement et un tiers seulement pendant la grossesse, plutôt dans les dernières semaines. Sur la base de ces résultats, des interventions visant à prévenir la transmission ont pu être testées et largement mises en place dans les pays à ressources limitées pour protéger les nouveau-nés de la contamination.

Quels sont vos souvenirs les plus mémorables ?

D.C. : Le premier est directement lié au travail qui vient d’être décrit sur le moment de la transmission mère-enfant, dans le cadre d’un essai conduit en Côte d’Ivoire et pour lequel je faisais partie du comité indépendant de surveillance. Nous avons eu précocement les résultats du premier essai de prévention de la transmission mère-enfant mené en Thaïlande au moyen d’une intervention pendant le dernier mois de grossesse. Ça a été une grande joie d’apprendre l’efficacité de cette intervention fondée en partie sur nos résultats avant leur annonce officielle.

L’autre souvenir marquant est symbolisé par la photo ci-dessous. Nous sommes à la conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes (CROI) en 2009, très peu de temps après la disparition de ma mère. Jusqu’à cette date, j’étais toujours très angoissée lors des présentations orales. Mais j’avais décidé de dédier celle-ci à ma mère, et la seule chose qui me faisait peur ce jour-là était de ne pas arriver à lui rendre hommage à la fin de mon exposé. Je n’ai plus jamais appréhendé ce type d’exercice après cela. Ma mère était une femme exigeante, qui m’a toujours encouragée à être indépendante. Elle était très fière aussi. Je me souviens un jour être rentré de l’université avec un 19 sur 20. Je n’oublierais jamais son commentaire : « 19 ? Tu aurais pu mieux faire ! »

Dominique Costagliola à la conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes (CROI) en 2009,

Pouvez-vous nous présenter cette autre photo ?

D.C. : Nous sommes en 2017. Je suis au congrès de l’International AIDS Society à Paris. Cette photo est un clin d’œil à Jean-François Delfraissy, aujourd’hui président du conseil scientifique Covid auprès du gouvernement et du conseil scientifique Covid de REACTing, qui était à l’époque responsable de l’organisation de ce congrès.

Dominique Costagliola au congrès de l’International AIDS Society à Paris en 2017

En cette période particulière, quelle est la journée type de Dominique Costagliola ?

D.C. : J’ai travaillé en présentiel pour la dernière fois le 10 mars dernier. Je mène aujourd’hui de front, le plus souvent en télétravail, mes travaux sur le VIH et sur la Covid-19. Je travaille en particulier à définir les orientations de la recherche, notamment thérapeutique, et à son évaluation au sein du conseil scientifique Covid de REACTing et du Programme hospitalier de recherche clinique (PHRC) ou encore du comité d’évaluation en Europe. En parallèle, je suis responsable d’un axe de travail de EU-Response, un projet de plateforme européenne de recherche clinique pour conduire rapidement l’évaluation de stratégies thérapeutiques à l’occasion de cette crise comme de nouvelles maladies infectieuses émergentes. Je n’avais encore jamais répondu à un projet européen en si peu de temps !

Êtes-vous également sollicitée par les médias ?

D.C. : En tant qu’épidémiologiste, les médias me demandent d’intervenir sur la crise sanitaire à une fréquence assez nouvelle pour moi ! Je m’attache à privilégier la presse écrite ou les interventions un peu longues à la radio ou à la télévision plutôt que des interviews courtes car cela permet de s’exprimer d’une façon non simpliste.

Quel conseil donneriez-vous aux jeunes chercheurs qui souhaitent suivre la même voie que vous ?

D.C. : Obtenir un poste permanent et des financements est devenu très difficile. Si nous débutions aujourd’hui, je ne suis pas certaine que Christiane Rouzioux et moi-même obtiendrions les financements qui sont désormais nécessaires, en raison du caractère original de notre projet. À l’époque, nous avons travaillé grâce aux financements récurrents de nos laboratoires respectifs. Les jeunes chercheurs doivent faire preuve d’un engagement et d’une résilience extraordinaires avant d’obtenir un poste permanent.

Vous recevez le Grand Prix Inserm après avoir obtenu le Prix Recherche en 2013. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?

D.C. : J’avoue être restée sans voix lorsque le Pdg me l’a annoncé. Je crois que c’est la deuxième fois dans l’histoire de l’Inserm, qu’un chercheur reçoit deux fois un prix. Je serai à la retraite en août prochain, je considère donc ce prix comme un aboutissement et la reconnaissance d’un engagement sans faille auprès des personnes malades.

Cérémonie des Prix Inserm 2013