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Portrait d’Inserm : Dezső Németh, ceinture noire en neurosciences

Dezső Németh, chef d’équipe au Centre de recherche en neurosciences de Lyon, nous parle de ses responsabilités actuelles en tant que titulaire de chaire Inserm et nous en dit un peu plus sur lui, l’apprentissage implicite, et les différences culturelles constatées dans le cadre de son quotidien de recherche aux États-Unis et en Europe.

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Pourriez-vous nous présenter votre parcours ?

Dezső Nemeth : Après mon doctorat à Budapest, j’ai commencé à travailler aux Etats-Unis en tant que chercheur. D’abord à l’université de Georgetown, puis à celle de Austin, au Texas. Là-bas, j’ai appris beaucoup de choses sur la neuroscience cognitive, notamment en matière de méthodologie. Je suis revenu ensuite sur le Vieux Continent, d’abord en Allemagne, puis en Hongrie, mon pays natal. Après quelques années, je me suis installé en France. C’était il y a 6 ans, au moment où a démarré ma recherche à l’université de Lyon 1. J’ai obtenu une chaire de professeur junior, il y a un an et demi.

La chaire porte sur l’apprentissage et la mémoire implicite, c’est-à-dire non consciente. Concrètement, notre cerveau possède cette faculté fantastique de pouvoir apprendre sans savoir qu’il apprend. Il peut également apprendre sans récompense ni retour d’information. Cela peut paraître un peu contre-intuitif, car nous évoluons dans un univers qui valorise beaucoup les théories d’apprentissage focalisées sur les gratifications. Cependant, et pour illustrer, juste en vous regardant, mon cerveau apprend. Cela peut porter sur des choses qui ne sont pas forcément pertinentes, par exemple vos mouvements. Mais dans tous les cas, le cerveau essaie de comprendre ce qui se passe implicitement. C’est le sujet de mes recherches.

Vous avez obtenu la chaire Inserm en 2022, pourquoi avez-vous postulé ? 

D. N. : Je suis arrivé en France en 2018, dans le cadre de « l’Idexlyon Fellowship », un appel à projets d’un million d’euros qui était financé par plusieurs universités de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Grâce à une première bourse liée à cet appel, j’ai construit mon équipe de recherche ici, au Neurocampus du Vinatier. Peu de temps après, je me suis intéressé au dispositif nouveau des chaires de professeur junior. Cela m’a permis de rebondir et de trouver un financement. La dotation a permis de recruter un postdoc et de poursuivre les études, par exemple pour rémunérer les participants. Et si tout se passe bien, grâce au dispositif de la chaire Inserm, d’ici trois ans je serai titularisé dans le corps des directrices et directeurs de recherche.

En tant que titulaire de chaire, quelles sont vos fonctions ?

D. N. : Le cœur de mon activité concerne toujours la recherche, c’est-à-dire la construction du plan de recherche avec l’équipe, la planification des expériences, la mise en œuvre, l’analyse des données, et enfin la rédaction des articles pour publication.

Le second volet porte également sur la recherche, mais celle des financements : cela recouvre le travail de veille, les demandes de subvention, le montage des dossiers de candidature, la gestion du budget… Nous venons par exemple de déposer notre candidature dans le cadre d’un financement européen de type ERC. En matière de gestion des ressources humaines ou de montage de partenariats, le soutien de l’Inserm est efficace et m’aide beaucoup.

Le troisième volet concerne les activités d’enseignement, qui sont inhérentes à la fonction de « chaire de professeur ». J’enseigne à l’Université Claude Bernard Lyon 1, où il y a un master en neurosciences. Les cours se déroulent en anglais, ce qui me rend les choses plus aisées.

L’appel à projets, puis la chaire étaient-ils vos seules motivations pour travailler en France ?

D. N. : J’ai travaillé aux Etats-Unis, en Allemagne et en Hongrie, en tant que professeur titulaire. Mais à Lyon il y avait Barbara Tillmann ! Barbara Tillmann est une célèbre chercheuse dans le domaine de la musique et de la psychologie cognitive. Nous nous connaissons depuis longtemps et son travail m’inspire le plus grand respect. C’est elle qui m’a parlé de l’appel à projets de Lyon. C’était une invitation, en quelque sorte. Le genre de proposition qu’on ne peut pas refuser !

© Inserm / François Guénet

La seconde raison, c’est que mon père était professeur de culture française en Hongrie. Il enseignait Racine, Corneille, Molière. Quand j’étais enfant, nous avions beaucoup de livres français dans l’appartement. Mon père invitait fréquemment des chercheurs français, des spécialistes de la littérature, de la culture française. Il écrivait des articles sur Rembrandt, sur la Renaissance française… Cette immersion dans la culture française a probablement joué un rôle inconscient quant à mon souhait de m’établir dans ce pays.

Avez-vous constaté des différences culturelles entre la façon de faire de la recherche en France et vos autres expériences internationales ?

D. N. : Pour avoir travaillé dans l’État de Washington et au Texas, je peux vous dire que ces deux environnements sont déjà totalement différents l’un de l’autre ! En France, j’ai réalisé qu’il y avait davantage de communication avec les collègues. Il y a plus de temps pour la discussion, un peu comme en Hongrie. Pour illustrer, j’ai été surpris de la durée du déjeuner. Nous déjeunons régulièrement pendant plus d’une heure et parlons mais de manière constructive car il s’agit souvent de science, et pas uniquement de la vie privée. Ce temps est très important. Cela nous permet par exemple de réfléchir à la planification d’expériences et de recherches. Le point moins positif de la France, est parfois une lourdeur administrative, or, pour vivre, la recherche doit répondre à un certain dynamisme : vous avez une idée, vous pensez à un protocole d’expérience, lancez la recherche et publiez après l’analyse. Je prends un exemple : la recherche que nous menons ici n’est pas invasive. Nous réalisons uniquement des électroencéphalogrammes. Pas d’opération, pas de prélèvement sanguin, pas d’échantillon génétique. Pour démarrer une recherche, il faut demander une approbation éthique auprès du Comité de protection des personnes. C’est tout à fait normal, et c’est le cas partout. Mais en France, il faut parfois attendre 1 an pour obtenir cet aval. Dans les autres pays européens et aux Etats-Unis, l’approbation pour le type de protocoles que nous mettons en place requiert 3 semaines tout au plus. Il ne faut pas se méprendre, l’éthique est très importante mais une durée raccourcie me paraîtrait raisonnable pour évaluer ce que nous proposons. Je sais que beaucoup de travail est actuellement à l’œuvre pour simplifier les process et redonner du temps de recherche au chercheur. Plus globalement, ce constat est valable également pour les entreprises privées du secteur de la santé : plusieurs ont fait le choix de délocaliser leurs essais en Belgique ou en Suisse.

© Inserm / François Guénet

Quel est l’aspect le plus plaisant de votre travail au quotidien ?

D. N. : Pour moi, les discussions créatives sont très gratifiantes et motivantes. Par exemple, lorsque nous découvrons de nouvelles choses et que nous essayons de comprendre collectivement les résultats de recherche. De plus, ces discussions contribuent également au climat de confiance mutuelle au sein de l’équipe. Dans le même esprit, j’invite parfois des chercheurs étrangers pour qu’ils nous parlent de leur recherche, et après nous allons tous manger ensemble. Ces petits moments de sociabilité à mi-chemin entre le professionnel et le personnel constituent l’une des clés de la réussite de l’équipe. Et le fait de construire les expériences collectivement participe à la dynamique de groupe. Cela nous rapproche et lorsque nous publions, c’est un accomplissement collectif. Je voudrais ajouter que cette année et demie écoulée en tant que Chaire de professeur, a été la plus productive de ma vie de chercheur.

Les discussions scientifiques que vous avez restent-elles circonscrites aux collègues qui travaillent dans le même domaine de recherche ?

D. N. : J’aime également beaucoup parler avec les chercheurs en recherche animale. Par exemple, lorsque je fais des recherches sur le sommeil, je croise leur expérience avec mes propres recherches. Leur regard est toujours éclairant. Je discute également beaucoup avec les physiciens, d’autant que nous essayons actuellement de construire des modèles computationnels, pour mieux comprendre le cerveau. Or les physiciens sont souvent très bons en mathématiques et en modélisation informatique. C’est donc très enrichissant pour moi. Et ils aiment parler du cerveau ! Peut-être que nous pourrons trouver quelque chose d’intéressant ensemble.

Quels sont vos loisirs ?

D. N. : J’aime mon travail, et c’est une part importante de ma vie. Il contribue à mon équilibre et me rend heureux. Selon moi, la vie privée est importante pour faire autre chose. Par exemple pour se plonger dans la littérature. J’ai commencé à lire en français et cela me plaît, même si pour le moment je m’en tiens à des choses plutôt faciles, par exemple Camus. Je lis également en anglais et en hongrois. J’ai également fait beaucoup de taekwondo. Dans cette discipline, je suis ceinture noire deuxième dan. Cet art martial me plaît beaucoup et je suis allé deux fois en Corée du Sud, dont une fois pour pratiquer le taekwondo. Trois ou quatre semaines dans une université dédiée où nous pratiquions tous les jours, imaginez, c’était fantastique ! Je dois trouver un club ici pour continuer.

Vous mentionniez la Corée, qui est réputée pour la dureté de ses examens et l’intensité des révisions qui précèdent. Le fait de peu dormir permet-il d’apprendre et de mémoriser correctement selon vous ?

D. N. : Biologiquement, si vous ne dormez pas assez, votre corps ne pourra pas fonctionner convenablement. Cela dit, pour la mémoire ou l’apprentissage, nos recherches montrent que si vous êtes en bonne santé, vous pouvez jouer sur les mécanismes qui sont activés lors du sommeil, sans forcément dormir, afin d’améliorer votre mémoire. Par exemple, le fait d’apprendre une information, puis de fermer les yeux quelques instants, pour vous la remémorer, favorise l’ancrage mémoriel. Nous appelons cela le « repos tranquille ».

Un autre exemple sur le même thème : imaginez une conversation dans laquelle vous vous ennuyez un peu, votre esprit va s’échapper. Il va vagabonder et penser à autre chose qu’à votre objectif ou à votre travail. Cette errance mentale est une sorte de sommeil local, un peu comme les dauphins, qui peuvent inactiver un hémisphère et conserver l’autre actif. Et bien ce vagabondage favorise l’apprentissage implicite. Nous avons mesuré cela dans le cadre de tâches « ennuyeuses ». Les personnes qui ont davantage vagabondé ont montré un meilleur apprentissage sur ladite tâche. C’est tout à fait nouveau. À l’école, on vous dit qu’il ne faut pas penser à autre chose, et qu’il faut se concentrer tout le temps. C’est bon pour l’apprentissage explicite mais pour l’apprentissage implicite, le fait de laisser son esprit vagabonder un peu n’est pas une mauvaise chose, bien au contraire.

Quels sont les projets qui vous animent en ce moment ?

D. N. : J’aimerais mieux comprendre le sommeil local, c’est-à-dire la façon dont certaines parties de notre cerveau se « mettent en veille » ponctuellement, et mesurer l’impact que cela peut avoir sur l’apprentissage et la mémorisation. Parallèlement à cette recherche, la neuroscience politique est un champ que je souhaite davantage investir. Les travaux sérieux dans ce domaine sont encore rares et il y a beaucoup de choses à explorer. L’idée est de mobiliser le domaine des neurosciences pour mieux comprendre pourquoi le cerveau est réceptif aux idées populistes. Dans tous les pays, nous constatons actuellement une forte popularité de ce type d’idéologie. Trump aux Etats-Unis, Viktor Orban en Hongrie et bien d’autres… Les neurosciences peuvent aider à comprendre pourquoi les humains aiment les messages politiques simplifiés à l’extrême. Pour l’instant le projet est encore à l’état d’idée. Par contre, il y a un projet très concret que je veux mettre en œuvre : c’est avoir un chat dans mon appartement. Enfin plus précisément deux chats, pour ne pas qu’ils s’ennuient à la maison. Ce n’est pas tout à fait de la même importance, mais cela compte !

L’Inserm ouvre 10 nouvelles chaires en 2024

Le recrutement, sur projet de recherche et d’enseignement, s’adresse à des chercheuses et chercheurs titulaires d’un doctorat ou équivalent. Aucune condition d’âge ni de nationalité n’est requise pour candidater. 

Les postes sont proposés en contrat à durée déterminée (CDD) de droit public d’une durée de 3 à 5 ans. Ils permettront au terme du contrat d’accéder à la titularisation dans le corps des directeurs de recherche de l’Inserm. Ils sont octroyés avec un environnement de recherche favorable et structurant comprenant des activités d’enseignement et un financement dédié de 200 000 euros (financement estimé pour chaque chaire).