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Portrait de Valérie Crépel

Valérie Crépel : « Les mondes académique et industriel s’enrichissent mutuellement »

Directrice de recherche Inserm à l’Institut de Neurobiologie de la Méditerranée (INMED), Valérie Crépel a cofondé la start-up Corlieve Therapeutics. En 2021, cette dernière a été rachetée par uniQure pour 250 millions d'euros. Retour sur une success story de la recherche française.

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Pouvez-vous nous parler de votre innovation ?

Valérie Crépel : Depuis 2005 je travaille sur la transmission synaptique et l’étude des circuits neuronaux en conditions normales et pathologiques. L’épilepsie du lobe temporal est la forme la plus courante d’épilepsie chez l’adulte mais 60 % des patients sont réfractaires aux traitements pharmacologiques connus. La chirurgie reste alors le dernier recours. Cependant, l’intervention chirurgicale n’est toutefois possible que pour un nombre restreint de patients, en partie à cause des effets secondaires potentiels liés à l’ablation du tissu cérébral.

J’ai entrepris en 2010 une collaboration avec Christophe Mulle, directeur de recherche CNRS à l’Institut interdisciplinaire des neurosciences (IINS, Bordeaux), afin de trouver un traitement alternatif à l’opération chirurgicale. En étudiant les défauts des circuits neuronaux dans le cadre de la pathologie, nous avons démontré que l’expression aberrante de récepteurs du glutamate de type kaïnate jouait un rôle clé dans la genèse des crises d’épilepsie. À partir de là, un champ de recherche extrêmement large s’est ouvert.

Notre proposition thérapeutique est d’utiliser la thérapie génique et la technologie des microARN. Le but est de diminuer de manière sélective l’expression de ces récepteurs afin de traiter l’épilepsie du lobe temporal réfractaire.

À quel moment avez-vous eu le déclic de monter une start-up ?

V. C. : Notre objectif initial n’était pas de monter une start-up mais de trouver un médicament capable de soigner les patients épileptiques. Cependant, avant toute publication, il nous a semblé important de protéger notre piste thérapeutique. En 2012, nous sommes donc entrés en contact avec Inserm Transfert pour déposer une demande de brevet. Je dirai que le déclic s’est produit à ce moment-là : le brevet a été le premier pas vers l’industrialisation. 

Je connaissais quelques start-up hébergées à l’Inmed, je savais donc que le chemin n’était pas facile et que la phase d’incubation pouvait être longue mais à ce moment-là, je n’étais pas encore familière du monde industriel.

La rencontre avec un autre acteur a également été décisive dans la décision de monter une entreprise…

V. C. : L’autre facteur déclenchant a en effet été la rencontre avec Kurma Partners, société de capital-risque spécialiste de la santé et des biotechnologies. En avril 2014, deux de ses associés, Rémi Droller et Vanessa Malier, menaient une opération de détection de projets de recherche à Bordeaux Neurocampus et se sont montrés très intéressés par le nôtre. Nous avons alors entamé les discussions avec nos deux offices de transfert de technologies, Inserm Transfert, la SATT Aquitaine et Kurma Partners. L’objectif partagé était de permettre au projet de se développer tant techniquement qu’économiquement. Durant cette phase de maturation, Kurma s’est positionné comme parrain et futur investisseur et Vanessa Malier a structuré un accord permettant l’accès au savoir-faire de Regenxbio, une société de biotechnologie spécialiste en thérapie génique basée aux Etats-Unis. L’accompagnement a duré presque trois ans au total.

Côté science et expérimentation, cet accompagnement s’est matérialisé par la constitution d’une équipe projet entre nos deux laboratoires et le laboratoire de RegenxBio, sous la coordination de Vanessa Malier. En parallèle, Vanessa Malier et Anne Cochi, senior business development manager chez Inserm Transfert ont structuré les accords de licence et de collaboration. Enfin, Anne Cochi et Chistophe Zabawinski pour la SATT Aquitaine nous ont accompagnés efficacement sur les activités au sein de nos laboratoires. 

Au bout de cette période, notre preuve de concept s’est avérée assez solide et Corlieve Therapeutics a pu être créée. Ainsi, la start-up a été fondée en novembre 2019 par Kurma Partners, en partenariat avec Inserm Transfert et la SATT Aquitaine. Vanessa Malier, Présidente de la société, a identifié et recruté Richard Porter comme PDG, qui a lui-même structuré son équipe avec des compétences clés en recherche et développement, en production et en recherche translationnelle. 

Le capital-risque (venture capital ou VC) est une prise de participation par un ou des investisseurs, généralement minoritaire, au capital de sociétés non cotées.

L’objectif de l’investisseur est de participer financièrement au développement d’entreprises innovantes à fort potentiel de croissance et de réaliser une plus-value substantielle lors de la cession de ses titres.

Source : Bpifrance

Corlieve Therapeutics est donc avant tout la rencontre entre différentes expertises ?

V. C. : La start-up s’est créée grâce à trois entités. La première est la partie académique composée de nos tutelles, Inserm Transfert et la SATT Aquitaine. Nos deux offices de transfert se sont impliqués très tôt dans le processus pour nous accompagner et nous former aux différentes étapes de la valorisation. C’est un chemin méconnu pour la plupart des chercheurs. Le projet a pu être également renforcé grâce aux cliniciens, les professeurs Fabrice Bartolomei et Didier Scavarda (hôpital de La Timone, AP-HM, Marseille), avec lesquels nous avons collaboré dès le début de la phase de maturation. Grâce à eux et aux ingénieurs de recherche de nos équipes académiques Inserm et CNRS, Céline Boileau et Séverine Deforges, nous avons pu tester notre hypothèse de travail sur des résections chirurgicales de patients souffrant d’épilepsie du lobe temporal. Les partenaires et les moyens industriels nous ont enfin permis de faire aboutir le projet. C’est grâce à cette multiplicité d’acteurs et à un travail en synergie que Corlieve est né. Aujourd’hui, la start-up compte neuf employés.

Avez-vous ressenti un choc culturel entre le monde académique et le monde industriel ?

Valérie Crépel : Dans le monde académique, il y a un côté plus libre et familial qui facilite l’innovation. Le monde industriel est soumis à plus de processus et contraintes : nous nous devons de suivre un plan très strict et de ne pas nous écarter des voies prédéfinies avec nos partenaires industriels. Nous avons néanmoins vécu sereinement cette entrée dans le monde industriel car notre projet était déjà bien avancé. Nous n’étions plus dans une démarche de « possible piste thérapeutique » mais à un stade où nous devions aboutir à un candidat médicament. Nous étions donc prêts psychologiquement à passer d’un monde à l’autre.

Cette sérénité s’explique aussi par l’accompagnement et le soutien immédiat d’Inserm Transfert et de la SATT Aquitaine, et du parrainage régulier par Vanessa Malier (Kurma Partners), qui nous a suivi tout au long de cette phase de maturation. Je pense que le monde académique et industriel s’enrichissent mutuellement. Nous ne pouvons pas envisager la mise en place d’un nouveau composé thérapeutique sans l’aide des industriels et eux ne peuvent pas initier des programmes totalement innovants sans l’aide de l’académique.

Quel a été votre plus grand défi dans la création de cette start-up ?

V. C. : Avec Christophe Mulle, nous devions coordonner tous les partenaires de façon judicieuse et efficace. Plus que la discussion avec les industriels, le principal challenge reste la gestion des parties administratives. C’est un aspect sur lequel nous ne sommes pas formés et dont la complexité peut parfois décourager. Certains sujets comme les agréments avec la partie clinique ou les aspects juridiques sont particulièrement méticuleux et stressants. Nous n’y serions pas parvenus sans l’aide de nos institutions et des différents experts métiers.

Le 22 juin 2021, la société biotech uniQure annonce qu’elle rachète Corlieve Therapeutics pour un montant total de 250 millions d’euros. Qu’avez-vous ressenti ?

V. C. : Ce fut une grande surprise ! Le rachat de Corlieve 18 mois après sa création est intervenu très tôt. Nous sommes assez novices dans le monde industriel mais on nous a informé qu’un rachat si rapide était très rare. Tous les investisseurs sont ravis. Le premier règlement de 46,3 millions d’euros en juin dernier vient finaliser la transaction. 

Quels conseils donneriez-vous pour introduire les chercheurs à l’entreprenariat ?

V. C. : C’est une aventure que je souhaite à tout chercheur. Pour ceux qui travaillent sur une pathologie, trouver un médicament est un aboutissement. En revanche, entrer dans le monde industriel seul est difficile et risqué. Si j’avais un conseil à leur donner, ce serait de suivre un parcours identique au nôtre, à savoir passer par une phase de maturation et être épaulé par un organisme de valorisation ainsi qu’un investisseur. Ce duo d’acteurs est parfait pour favoriser le passage vers l’industrie. De plus, je crois que dans notre cas, la communication régulière avec Vanessa Malier et Hadrien Bouchez (Kurma Partners), Christophe Zabawinski (SATT aquitaine), et Anne Cochi (Inserm Transfert) a été particulièrement efficace.

Les fondateurs de Corlieve Therapeutics

  • Valérie Crépel, directrice de recherche Inserm, co-inventeur, co-fondatrice de Corlieve Therapeutics
  • Vanessa Malier, Managing partner de Kurma Partners, investisseur visionnaire
  • Christophe Mulle, directeur de recherche CNRS à l’Institut interdisciplinaire des neurosciences (IINS, Bordeaux) : co-inventeur, co-fondateur de Corlieve Therapeutics.
  • Richard Porter, co-fondateur et PDG de Corlieve Therapeutics