Pourriez-vous présenter l’activité de votre équipe ?
Yves Roquelaure : Nous étudions les liens entre santé globale et travail, c’est-à-dire la part liée au travail dans certaines maladies comme le cancer et certains troubles, comme les troubles musculo-squelettiques et les troubles de santé mentale. Nous avons une approche épidémiologique et exposomique, c’est-à-dire qui étudie l’ensemble des expositions professionnelle et environnementales, y compris les facteurs liés au mode de vie. Nos travaux portent également sur l’organisation du travail, et comment celle-ci peut influencer la fréquence d’apparition des pathologies. Le télétravail, en tant que forme spécifique d’organisation du travail, s’inscrit dans ce cadre. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) nous a demandé de réaliser une revue systématique du lien entre télétravail et santé. Nous avons remis notre rapport ainsi qu’une série de recommandations en début d’année.
Quels effets sur la santé physique et mentale ont été mesurés ?
Y. R. : Au niveau physique, le télétravail augmente la cohorte de problèmes de santé associés à ce que l’on appelle la « sédentarité » : obésité, diabète de type 2, problèmes musculo-squelettiques – majoritairement au niveau du dos et du cou –, problèmes cardiovasculaires…
Concernant la santé mentale, les effets sont moins nets. Le télétravail peut favoriser le stress et l’anxiété dans certaines situations de travail. En effet, l’activité physique et les interactions sociales contribuent à la santé mentale et la libération d’endorphines, et celles-ci sont moins nombreuses lorsque l’on télétravail. Mais l’élément décisif repose sur le contexte de mise en place : s’il est imposé, par exemple pour une question d’indisponibilité des locaux ou à cause d’une organisation spécifique du travail, son effet sera globalement négatif. Nous constatons les mêmes effets si le télétravail est réalisé à temps complet. Ce point ne doit pas être sous-estimé car cela concerne environ 20 % de la population qui télétravaille.
Y a‑t-il des bonnes pratiques spécifiques au télétravail ?
Y. R. : Les études indiquent que si le télétravail est préparé, choisi et réversible, l’impact mesuré est plutôt positif. Le nombre idéal de jours par semaine semble être compris entre un et deux. Sur cette base, les effets sur la santé sont neutres, mais le ressenti sur la qualité de vie est positif. Par exemple, les études montrent que l’isolement social est bien mentionné, mais les avantages induits par le télétravail – par exemple l’annulation du temps de transport, ou la possibilité de surveiller des enfants en bas âge – compensent largement.
Une fois ce cadre posé, intervient la réflexion managériale. Un management fondé sur une pensée autoritaire du type « Je perds mon collaborateur de vue donc j’ai besoin de renforcer le contrôle », risque d’avoir des effets négatifs, tant sur la santé mentale que sur la productivité. En effet, les études ont montré que, dans ce contexte, le collaborateur a tendance à dédier davantage de temps à « prouver » qu’il est productif, au détriment du temps réellement productif. Cela se traduit par une tendance à faire du sur-reporting ou du sur-présentiel, c’est-à-dire à montrer que l’on est présent.
Enfin, le dernier point, et peut-être le plus important pour le manager, c’est d’être attentif au style de ses collaborateurs car il n’y a malheureusement pas de bonne recette en soi. Par exemple, l’autonomie n’est pas forcément désirable pour tout le monde, et certaines personnes peuvent se sentir abandonnées lorsqu’elles sont seules face à une tâche. Si une personne est habituée aux tâches répétitives ou aux cadres contraints, le télétravail peut mal fonctionner. C’est toute la valeur ajoutée du manager : sa connaissance de l’équipe lui permet de trouver le bon compromis pour chacun.
Pour les managers, comment mieux prévenir les risques psychosociaux de son équipe ?
Y. R. : Le premier levier de prévention des risques psychosociaux repose sur le style de management. Si le management est participatif, par exemple s’il est possible de discuter des objectif ou, a minima, de faire le choix de la méthode pour les atteindre, le télétravail a toutes les chances de bien fonctionner.
La justice managériale est également clé pour la prévention des risques psychosociaux : est-ce que le collaborateur dispose d’une autonomie suffisante par rapport à ce qu’on lui demande ? Est-ce que ses efforts sont reconnus par le manager ? Une bonne pratique managériale, simple à mettre en œuvre dans le cadre du télétravail consiste à s’interroger sur le biais que produit la distance avec le collaborateur : est-ce qu’en tant que manager, je manifeste des marques de confiance ? Est-ce que la façon de distribuer le travail est juste entre les collaborateurs en télétravail et ceux qui ne le sont pas ? Ce genre de questions constitue le premier jalon vers une meilleure communication et une meilleure organisation du travail.
Pour le manager, mon conseil serait de penser son management également en matière de prévention, c’est-à-dire de faire l’effort de penser, au moins de temps en temps, aux risques psychosociaux possiblement induits selon la situation du collaborateur, et d’adapter son management en conséquence. Les plans de prévention ou encore les conseillers en prévention peuvent aider à organiser une veille des risques. Plus simplement, le management souhaitable est porté par trois axes : respect, bienveillance et reconnaissance. Si ces conditions sont respectées en laissant des espaces de discussion sur les conditions du travail, il ne devrait pas y avoir trop de problèmes.
En tant qu’épidémiologiste spécialisé sur la santé au travail, quel est votre regard sur l’évolution de la santé des chercheurs ?
Y. R. : La prise en compte des risques dans le domaine de la recherche s’est globalement améliorée. Il y a les bilans santé-travail, des possibilités de recours en cas de troubles du comportement managériaux qui sont de plus en plus souvent suivis d’actions. Sur le plan de la santé, la situation s’améliore, même si ce gain est partiellement invisibilisé en raison d’un contexte global qui semble plus dur pour les chercheurs : il y a eu une forte inflation administrative, les budgets sont davantage contraints… Mais les risques chimiques sont mieux maîtrisés, les espaces de discussion sont plus nombreux, par exemple grâce aux conseils de laboratoire, qui intègrent un volet sur la santé. De manière générale, la santé des chercheurs est globalement meilleure que celle de la population générale. Cela peut s’expliquer par le fait que les personnels de recherche sont plus sensibles aux actions de prévention. De plus, il est prouvé que le fait d’avoir un travail qui permet d’apprendre des choses nouvelles, de faire des découvertes, d’entretenir sa curiosité, est constructeur de santé, ce qui est un peu l’essence de notre travail.
La prévention des risques psycho-sociaux à l’Inserm
En complément des dispositifs existants et du travail mené par le réseau des chargés de prévention en délégations, un plan de prévention des risques psychosociaux est en cours de déploiement. Ce plan, initié par la direction de l’Institut, vise à mieux structurer et renforcer la démarche de prévention des risques psychosociaux au sein de l’Inserm.