Les contenus de la région '' vous seront proposés par défaut, en plus des contenus nationaux sur tout le site. Ce choix s'appliquera également lors de vos prochaines visites.

Vous disposez d'une adresse @inserm.fr, @aviesan.fr, @anrs.fr,
Connectez-vous pour accéder aux pages réservées, pour voir directement
les contenus de votre délégation et pour organiser vos outils Inserm.

Entretien avec Franck Mouthon, directeur exécutif de l’agence de programmes pour la recherche en santé Inserm

En décembre 2023, le président de la République annonçait la création d'agences de programme thématiques, pour transformer l’organisation de la recherche en France. L’agence dédiée à la santé a été confiée à l’Inserm, en complément de ses missions traditionnelles. Didier Samuel, président-directeur général l’Inserm et président de l’agence a nommé, en avril 2024, Franck Mouthon pour en être le directeur exécutif. Ce dernier revient, dans une interview, sur les missions, l’organisation et les premières actions de la nouvelle agence.

National
A+ / A-

Quel a été votre parcours avant votre arrivée à l’agence ?

Normalien de formation spécialisé en neuroscience et en neurovirologie, j’ai animé pendant une quinzaine d’années une équipe de recherche au sein du CEA, sur les maladies à prions, qui ont été à l’époque au cœur d’une autre crise sanitaire. Dans le cadre des recherches que nous menions sur les interactions entre les neurones et les cellules gliales, nous avons identifié de nouvelles stratégies thérapeutiques applicables et valorisables dans différentes maladies neurologiques.

À la suite de ces travaux, avec Mathieu Charvériat, nous avons pu bénéficier du dispositif à l’essaimage du CEA et avons cofondé l’entreprise biopharmaceutique Theranexus en 2013. Cette entreprise développe des candidats-médicaments pour répondre aux besoins médicaux des maladies neurologiques pédiatriques graves.

En parallèle, j’ai pris la présidence de France Biotech, une association professionnelle qui réunit près de 700 adhérents sur tout le territoire. Elle fédère et anime l’écosystème des entrepreneurs de la healthtech (biotech, medtech et numérique en santé). La grande majorité des innovations que porte les entreprises adhérentes de France Biotech est issue de la richesse et de la diversité des acteurs de la recherche académique française. Je reste très attaché au maintien des activités de recherche et développement en France, notamment en favorisant les partenariats public-privé de la recherche jusqu’au soin. J’ai également été nommé ambassadeur du plan innovation en santé France 2030. 

Pourquoi avoir rejoint l’agence ?

La recherche biomédicale constitue les fondations et le trait d’union des différentes expériences qui ont jalonné mon parcours. Je reste émerveillé par la créativité et la qualité de la recherche de notre pays dans ce domaine et l’Inserm en est un acteur majeur. Je partage également cette vision commune que nous avons aujourd’hui tous les ingrédients et besoin d’un élan collectif pour que la recherche biomédicale française, dans toute sa diversité, rayonne davantage par ses impacts scientifiques, technologiques, médicaux et économiques. C’est donc très naturellement que je me suis intéressé aux ambitions et aux défis que représentent les missions de l’agence de programmes de recherche en santé confiée à l’Inserm. 

Sans réel plan de carrière, mon engagement a toujours été motivé par des expériences humaines et je considère que cette agence à construire est le début d’une très belle aventure. À ce titre, je veux exprimer ma reconnaissance à Didier Samuel pour sa confiance et dire combien les équipes m’ont aidé à franchir cette étape et m’épaulent aujourd’hui dans la construction. 

Comment définiriez-vous le rôle de l’agence ?

Il y a un fort enjeu de structuration du bloc recherche biologie-santé en France. La recherche en santé est très diversifiée, elle inclut beaucoup d’acteurs de différentes natures, une certaine forme d’éparpillement des forces et il est essentiel de les fédérer. C’est selon moi le premier objectif : construire un collectif avec et pour les acteurs pour davantage d’impact sur le développement des connaissances et, in fine, la santé. Cela nécessite également d’arriver à impulser une vision programmatique partagée au niveau national en cohérence avec les politiques de sites. Un second objectif est la construction de programmes ambitieux qui permettent à la France d’avoir un coup d’avance tout en répondant aux besoins en matière de préservation de la santé. Aussi, le rôle de l’agence est d’éclairer l’État à tout moment, sur un domaine donné : pouvoir dire quelles sont nos forces et nos faiblesses et les trajectoires à élaborer pour maximiser nos chances d’accroitre l’attractivité et la compétitivité de la France dans ce domaine. 

L’agence est un catalyseur. Elle vient en soutien et ne doit pas apporter une couche supplémentaire aux organisations. Celles-ci disposent d’une structuration et d’un professionnalisme qui permettent de mener beaucoup d’actions aujourd’hui et il ne faut surtout pas dupliquer. J’y suis très attentif car nous sommes dans une période où les financements publics sont contraints et où il nous faut gagner en efficience.

En résumé, en tant que catalyseur, cette agence constitue à mes yeux une véritable opportunité de favoriser la confiance entre les différentes parties prenantes, d’inciter les synergies au sein d’un collectif fort au profit d’une vision programmatique de la recherche, et finalement d’offrir une nouvelle dynamique aux chercheurs afin de les mettre en capacité de leadership dans des domaines prioritaires.

Des actions sont-elles déjà engagées ?

Oui nous avons déjà engagé plusieurs actions. L’agence va porter le programme France Vaccins. Nous allons définir ce programme avec les différents partenaires en fonction du budget proposé par l’État. Il porte autant sur le développement d’une recherche translationnelle de premier plan pour de nouvelles stratégies vaccinales que sur la capacité à développer rapidement des vaccins en fonction des enjeux sanitaires infectieux. Il doit être réalisé en interface avec d’autres actions de France 2030, telles que la stratégie d’accélération sur les maladies infectieuses émergentes et les bioclusters.

Par ailleurs, l’Agence d’innovation en santé (AIS) va piloter la stratégie d’accélération en prévention, dont le volet recherche va être confié à l’agence de programmes en santé Inserm. L’idée est de se coordonner et de s’articuler avec l’AIS pour veiller à la cohérence entre les trois niveaux : recherche, développement et déploiement industriel. 

Enfin il nous est demandé de proposer à l’État trois nouveaux grands programmes, évidemment différents de ceux des Programme et équipements prioritaires de recherche (PEPR) existants, de la prévention et de France Vaccins. Le comité des partenaires a déjà émis 46 propositions. Il faut saluer l’engagement et la dynamique qui se sont installés en seulement quelques semaines. Nous avons priorisé sept grandes thématiques qui vont être travaillées en sous-groupes. Ces « tasks forces » sont ponctuelles, dédiées à la structuration d’une proposition concise et auditable par un comité scientifique ad hoc. Le comité des partenaires sélectionnera les trois programmes et nous les proposerons à l’État avant la fin juillet. Nous sommes dans un régime très accéléré qui ne sera pas le régime de croisière de l’agence.

Comment est organisée l’agence ?

À ce stade, l’Agence est constituée d’un comité de liaison avec l’État, qui définit les différentes missions confiées à l’agence et qui porte les enjeux de financement. Elle comprend également le comité des partenaires déjà évoqué. Celui-ci regroupe une trentaine de représentants des organismes nationaux de recherche (qui sont tous représentés), de l’ensemble des universités, des grandes écoles, du monde du soin, des agences en lien avec la recherche en santé et enfin du monde socio-économique. 

Pour finir, le bureau exécutif est actuellement constitué du PDG de l’Inserm, de deux vice-présidents, Nicolas Revel, président de l’AP-HP et Régis Bordet, président de l’université de Lille et représentant de France Universités et du directeur exécutif de l’agence. 

Dans un second temps, nous allons mettre en place un certain nombre de comités opérationnels qui vont mobiliser le collectif des partenaires sur les missions transversales de l’agence comme les relations internationales, la réflexion et capacité prospective, les infrastructures… L’idée est de rester le plus agile possible, encore une fois il n’est pas question de dupliquer, mais de bénéficier de ce que nos partenaires savent faire. Cela permet de créer la transparence nécessaire pour toujours veiller à une dynamique collective.

À ce stade, nous prévoyons une équipe opérationnelle resserrée au sein de l’agence sous forme de chefferie de projet.

Quelles sont les ambitions de l’agence ?

Elle doit ancrer une nouvelle façon de réfléchir le bloc santé-recherche et impulser une dynamique pérenne. Cette transformation est attendue et nous devons nous donner les moyens de la conduire. C’est toute la question des critères de performance, comme par exemple la capacité à structurer et à animer les communautés pour répondre, avec les meilleurs standards en matière d’exigence scientifique, aux défis actuels et à venir en matière de santé. Un autre critère est la satisfaction des partenaires et il faut veiller à ce que le collectif soit engagé au bon niveau et à ce que la transparence soit la plus grande. Enfin, la satisfaction des chercheurs est évidemment un critère essentiel. J’espère que nous pourrons, par la confiance, leur simplifier au maximum la tâche administrative et financière et libérer tout le potentiel de créativité que nos chercheurs peuvent nous offrir. Cela rejoint les grands chantiers du gouvernement sur la simplification. Il s’agit, à mes yeux, de redonner de la confiance. : la confiance entre l’État et la recherche, celle entre les chercheurs et ceux qui doivent les aider à la mettre en œuvre. Cela ne va pas se faire instantanément. Je reste convaincu que si les chercheurs constatent déjà des réels progrès en matière de coopération et de co-construction, ce sera plus lisible et efficient pour eux. 

Des ponts sont-ils prévus avec les autres agences de programmes ?

Il en existe déjà. Nous nous sommes réunis avec les autres agences plusieurs fois. Soit en groupe, soit en bilatéral. Cette configuration est très fréquente, surtout dans les domaines où la santé est connexe à leurs activités, par exemple avec l’agence Climat, biodiversité, société durable du CNRS ou l’agence de l’Inria ou encore celle d’INRAE avec lesquelles nous avons des ponts naturels et historiques. Nous avons des échanges très fluides entre directeurs exécutifs. Nous avons partagé nos visions respectives du rôle des agences, leurs particularités dans leur domaine, leurs mises en œuvre, les bonnes pratiques. Par ailleurs, une des missions de l’agence est de veiller aux infrastructures dont certaines sont communes aux différentes agences, donc nous travaillons main dans la main.

Nous sommes tous conscients que si nous n’arrivons pas à travailler ensemble, les arbitrages financiers se feront au profit d’autres domaines mieux structurés. Nous avons tous intérêt à ce que le collectif fonctionne, y compris inter-agences. 

Au regard de vos expériences passées, si vous deviez rêver sur les découvertes qui vont révolutionner la recherche en santé, qu’elles seraient-elles ?

Il y a tellement de sujets ! Nous faisons face aux défis de la prévention et de la prise en charge des maladies chroniques, aux enjeux de l’autonomie au cours du vieillissement, des maladies psychiatriques, des addictions. Ces sujets de santé publique doivent être abordés de façon exhaustive, de la biologie la plus fondamentale jusqu’à la clinique en passant par les sciences humaines et sociales, Plus fondamentalement, en matière de biologie synthétique, de modélisations multi-échelles du vivant, largement fondées sur l’interdisciplinarité et l’IA : nous assistons à de véritables révolutions. 

Mais je pense aussi, et c’est très personnel, que tout ce que nos chercheurs découvriront sur la période de vulnérabilité de la petite enfance et l’adolescence, aura un impact fondamental dans les 50 prochaines années. Je pense par exemple au sujet scientifique du neurodéveloppement normal et pathologique. Il a vocation à avoir une influence à la fois sur une médecine de précision mais aussi sur une éducation de précision. Mieux comprendre les mécanismes d’adaptabilité, d’apprentissage, c’est prévenir un certain nombre de maladies. Vous imaginez l’impact dans 30 ou 40 ans d’infléchir de quelques pourcents les capacités d’apprentissage et les risques de développer des maladies chroniques chez l’ensemble de nos enfants ?