Comment ça marche, une recherche expérimentale en neurosciences ? À l’Institut du cerveau (unité 1127 Inserm/CNRS/Sorbonne Université), Inserm pro a suivi pendant une journée Karim N’diaye, responsable de la plateforme Prisme dédiée aux études cognitives et comportementales, Shruti Naik, chercheuse en neurosciences et pilote de l’étude « EEG fatigue » et Maxime, participant à l’étude.
Shruti, pourriez-vous nous présenter le cadre de votre étude ?
S. N. : Aujourd’hui, nous allons simuler une journée de travail et étudier comment la fatigue accumulée au cours d’un jour dit « normal » affecte la prise de décision. Par exemple au niveau de l’impulsivité. Actuellement, nous ne savons pas vraiment quel rôle joue la fatigue sur ces aspects. Une meilleure connaissance des mécanismes liés à la fatigue nous permettra d’aider le plus grand nombre dans leur vie quotidienne. En déterminant de façon plus précise le rôle des pauses dans le travail, leur importance, l’effet produit selon leur durée… Nous souhaiterions également faire progresser les connaissances actuelles concernant l’imagerie et l’électrophysiologie en lien avec la fatigue : parvenir à identifier et enregistrer les signaux cérébraux liés à celle-ci. Mathias Pessiglione, investigateur principal de l’étude, a déjà constaté, via une imagerie par résonance magnétique (IRM), que le glutamate, molécule très importante pour l’activité cérébrale, s’accumulait au cours de la journée au fur et à mesure que la fatigue grandissait. Cependant, l’IRM ne peut être transposée dans des conditions d’activités réelles. Nous souhaitons donc trouver un autre type de marqueur de la fatigue, identifiable via l’électroencéphalographie (EEG). Cela nous permettra de détecter la fatigue de manière non invasive.
Maxime, pourquoi participez-vous à des études ?
Maxime : Au départ je voyais cela comme un petit complément financier, mais assez rapidement j’ai développé une vraie curiosité pour les études. Participer est pour moi une façon de suivre l’actualité des sujets d’études en sciences cognitives. Je suis souvent impressionné par les façons dont sont construites les expériences pour mettre en lumière telle problématique ou sujet de recherche. Je viens des sciences sociales, de l’archéologie, et connais le versant « recherche » de ce monde académique. J’ai tout naturellement eu envie de découvrir comment se bâtissait la recherche dans d’autres domaines. À présent, je dirais que la curiosité est ma première motivation. Je suis abonné à la plate-forme ExpéSciences du Relais d’information sur les sciences de la cognition (Risc), qui m’envoie des courriels toutes les semaines sur les études en cours et les besoins en volontaires. Dans ce cadre, j’ai reçu l’offre de l’Institut du cerveau (ICM) et j’ai postulé par mail, puis ai été sélectionné.
Karim, dans le cadre d’une recherche impliquant des participants, quel est le rôle d’une plate-forme ?
K. N. : Le but de la plateforme de recherche est d’aider le chercheur au maximum afin de fluidifier le déroulement des expériences. Nous essayons de le conseiller à toutes les étapes de la recherche, de la conception à la réalisation. Par exemple sur la façon de s’adresser aux participants, sur la formulation des courriels… Nous essayons d’être le plus précis possible. C’est d’autant plus important dans la mesure où nous accueillons souvent des chercheurs qui ne sont pas francophones. De manière générale, nous faisons toujours très attention aux participants, et encore davantage auprès de certains publics, par exemple les patients, qui peuvent avoir des attentes, ou être en difficulté. Nos équipes à l’ICM ont souvent une compétence clinique en plus de leur casquette de chercheur, donc elles ont l’habitude de travailler avec des patients.
De votre côté, Shruti, comment présentez-vous l’étude et les exercices au participant le jour J ?
S. N. : Nous précisons à quoi correspondent les données qui seront enregistrées lors des différents exercices. Nous partageons ces informations avec le participant, s’il le souhaite. Ce que nous ne pouvons pas partager, ce sont les résultats des autres participants ainsi que la façon dont nous analysons les données. Pour des raisons de confidentialité, mais également car cela créerait un biais et fausserait l’étude. Le participant ne doit pas être influencé par la façon dont un autre a participé. C’est une garantie de neutralité des données.
Maxime, comment se sont passées vos interactions avec le personnel encadrant lors de votre séance ?
Maxime : Et bien, je pose souvent la question de l’intérêt de l’étude, notamment sur les débouchés en matière d’applications concrètes, mais je le fais toujours à la fin, pour ne pas biaiser les résultats. Au niveau de l’accompagnement en amont, tout était clair, le système est bien rôdé : les envois de mails, le plan pour accéder au bâtiment. Shruti, qui pilote l’étude, était très attentionnée et m’a demandé régulièrement si tout allait bien. Même chose pour Arthur, son collègue, au moment de la pose des électrodes. Ils expliquent ce qu’ils font, posent des questions… Ce genre d’attitude est vraiment plaisant. Au déjeuner, j’ai reçu un sandwich, un fruit et de l’eau. Et sur la partie aval des études, certains chercheurs à l’ICM m’ont déjà communiqué des liens pour voir l’article scientifique faisant suite aux expériences. Pour cette étude en particulier, c’est encore trop tôt.
K. N. : Nous essayons d’être très précis concernant les critères d’inclusion de nos études : par exemple, si la séance implique des exercices sur vélo, un critère sera de pratiquer une activité sportive régulière. Au niveau organisationnel, nous essayons de penser à tous les détails : si nous posons un gel sur les cheveux du participant pour mettre en place un bonnet avec des capteurs, nous prévoyons un endroit où ils puissent se laver les cheveux, des serviettes… et un flacon de shampoing ! Nous essayons d’informer clairement sur chaque protocole : la durée, les contraintes, le montant de l’indemnisation. Si un participant décide de renoncer le jour de l’expérience ou au cours de celle-ci, il est toujours libre de le faire. Et en fin d’étude, nous invitons les chercheurs à produire un retour à destination des participants, pour qu’ils soient mis au courant des conclusions principales de l’étude. Ce n’est pas toujours facile parce les données demandent parfois des semaines, voire des mois d’analyse.
Shruti, de votre point de vue de chercheuse, comment percevez-vous l’accompagnement de la plate-forme Prisme de l’ICM ?
S. N. : L’équipe Prisme facilite considérablement la mise en relation entre le chercheur et le participant. En amont, la plate-forme réalise un gros travail de promotion afin de favoriser la participation. Au niveau de l’étude à proprement parler, je bénéficie de l’expertise technique de l’équipe sur les questions éthiques, par exemple pour ce qui touche aux formulaires de consentement, aux aspects légaux. En résumé, je fais part de mon besoin à l’équipe, à Karim, à l’attachée de recherche clinique, et ils me soutiennent sur la promotion, le recrutement, et l’encadrement des participants. L’ICM sert d’intermédiaire et permet une séparation entre les données liées à l’étude et les informations personnelles.
Maxime, comment vous êtes-vous senti pendant cette journée de tests ?
Maxime : En ce qui concerne les exercices, la journée a été longue, car nous avons fini à 19 h. Ce qui ne me paraît pas anormal puisque l’étude porte… sur la fatigue. J’ai effectué trois tâches dont deux sur ordinateur. Les deux tâches sur ordinateur étaient à réaliser en alternance durant les cinq sessions de 1 h 15. Ces tâches deviennent vite assez fastidieuses voire très pénibles. Ce ne sont pas les sensations les plus agréables, mais ça permet aussi de se « découvrir » et de tester sa capacité à rester dans l’expérience. La journée s’est conclue sur 30 minutes de vélo. Je trouve toujours enrichissant de voir les expériences, la façon dont elles sont construites. Les sujets de recherche, également. Parfois c’est vraiment surprenant.
Au-delà de l’aspect technique de l’étude, quels sont les défis que vous rencontrez lorsque vous réalisez ce type de recherche ?
S. N. : Le premier défi consiste à maintenir la motivation des participants car les exercices pour cette étude sont difficiles. Comme pour toutes les autres études, je reste avec eux durant le déroulement de l’expérience et les rassure, par exemple en expliquant qu’il est normal de ne pas réussir à certains tests au début ou de ne pas obtenir le résultat maximal. J’essaye également de les accompagner aux différents moments qui ponctuent la journée, pour qu’ils ne se sentent pas isolés ou perdus dans le bâtiment ou à la cafétéria. Nous essayons d’être attentifs à leur bien-être. Par exemple, à l’heure du repas, nous veillons à bien prendre en compte leurs éventuelles restrictions alimentaires, ce genre de détails.
Comment vous êtes-vous organisée pour aujourd’hui ?
S. N. : Toute cette étude est le fruit d’un travail d’équipe. Je pilote l’étude mais sur le plan scientifique et pratique, je m’appuie sur les connaissances et savoir-faire construits ici, à l’ICM. Le jour J, il y a généralement un « junior », aujourd’hui Arthur, qui m’accompagne et m’aide à gérer la mise en place des équipements : du gel, des électrodes… Quant à la partie analyse, j’ai de nombreux échanges avec d’autres équipes. Par exemple, avec Thomas, un collègue qui travaille sur le sommeil, nous mettons en commun nos résultats afin de faire émerger les différences et similarités entre le sommeil et la fatigue. Il y a des échanges d’idées mais aussi de personnes. Si un étudiant en master ou doctorat de son équipe souhaite travailler avec nous, il vient nous aider et nous irons également l’aider s’il a besoin de renfort.
Peut-on dire que le « cœur du réacteur » pour les études de l’ICM, ce sont les participants ?
K. N. : Oui, d’autant que pour des raisons méthodologiques, il est important de ne pas avoir les mêmes personnes pour toutes les études ! Sinon, nous aurions beaucoup d’informations sur le cerveau d’une personne, mais ce ne serait pas représentatif de la population. Parfois, il arrive que certains participants ne soient pas en mesure de faire toutes les séances d’un protocole. Forcément, nous perdons des données. Mais c’est un classique dans toutes les études. C’est ce que l’on appelle l’attrition : des participants que l’on perd de vue, qui arrêtent. Donc usuellement, l’on prévoit un peu plus de volontaires que le nombre minimal afin de sécuriser l’étude, d’autant que des impondérables se produisent toujours : un système qui ne marche pas un jour, une coupure de courant, une alarme incendie… C’est déjà arrivé pendant une expérience : il a fallu évacuer le bâtiment. Or si la séance d’exercices est interrompue, les données ne sont pas valables. Nous sommes donc en permanence à la recherche de volontaires pour participer aux études que nous organisons. D’autant que de plus en plus, certaines peuvent se faire en ligne sur ordinateur, depuis chez soi, ce qui élargit notre bassin de recrutement.
S. N. : Si davantage de personnes participent, nous pourrons mieux expliquer ce qu’est la fatigue. Actuellement, si vous dites que vous êtes fatigué, souvent les gens ne vous croient pas. Et pour les personnes dépressives, la fatigue est un symptôme majeur de la dépression, or, nous ne savons pas comment aider ces personnes sur cet aspect. Tout comme les personnes atteintes par un gliome (un type de tumeur du cerveau), qui ont également un symptôme de fatigabilité. Si nous parvenons à comprendre la signature de la fatigue, nous devrions être à même de les aider de manière plus adéquate.
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© Inserm / François Guénet