Être ou ne pas être… dans un registre d’essai clinique

Selon le dernier Baromètre de la science ouverte, près de 56 % des essais cliniques nationaux n’ont pas vu leurs résultats publiés ou déposés dans un registre public dans les trois ans suivant leur achèvement. Ce déficit de transparence soulève des questions sur la traçabilité des essais et la reproductibilité des résultats. Pourtant, déposer les résultats dans un registre suffit pour respecter les principes éthiques et gagner en visibilité scientifique.

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Dans le secteur académique, la diffusion des résultats d’essais cliniques repose le plus souvent sur les épaules des chercheurs eux-mêmes. Contrairement aux entreprises privées, qui disposent de personnels spécifiquement dédiés à cette tâche, les équipes académiques doivent composer avec des moyens limités et une charge de travail déjà élevée. Par conséquent, le dépôt des résultats dans un registre clinique apparaît comme une tâche supplémentaire, parfois reléguée au second plan.

Des registres de dépôt aux fonctionnalités inégales

La visibilité d’un essai dépend d’abord de la diffusion effective de ses résultats. Ce sont avant tout les absences de dépôt ou de publication qui rendent les essais invisibles dans les synthèses, revues systématiques ou outils de surveillance. Poster ses résultats, y compris lorsqu’ils sont non concluants, reste donc la première étape incontournable.

Cependant, certaines limites techniques liées aux registres peuvent aussi freiner la transparence des résultats d’essais. Tous les promoteurs n’utilisent pas les mêmes plateformes. ClinicalTrials​.gov, registre américain largement adopté, permet aux investigateurs de poster directement les résultats d’un essai sous forme structurée, au sein de champs standards, plutôt que sous forme d’un document libre comme un PDF ou un texte non formaté. À l’inverse, le registre européen EUCTR ne propose pas encore cette fonctionnalité, ce qui limite sa capacité à jouer pleinement son rôle en matière de transparence et de diffusion des données issues des essais.

Par ailleurs, ClinicalTrials​.gov est partiellement interopérable avec PubMed : lorsqu’une publication mentionne l’identifiant de l’essai (NCT), elle peut être automatiquement reliée à l’enregistrement d’origine, ce qui améliore sa traçabilité. Cette possibilité est moins développée dans EUCTR, qui repose principalement sur le téléchargement de documents (PDF) peu exploitables par des outils de veille.

Publication et postage : deux démarches, deux réflexes

Publier dans une revue ne garantit pas à elle seule la visibilité institutionnelle de l’essai. Pour qu’un article scientifique soit correctement relié à son enregistrement initial — et donc repérable dans les bases de suivi automatisé — certaines bonnes pratiques doivent être adoptées dès la soumission. Elles permettent d’assurer une vraie continuité entre le registre et la publication :

  • dans le résumé (abstract) de l’article, idéalement à la fin du texte, sous la forme d’une phrase claire du type : « Cet essai est enregistré sous le numéro… »
  • dans les métadonnées, lors du dépôt dans les bases de données (comme PubMed Central ou HAL), en renseignant l’identifiant d’essai dans le champ dédié si celui-ci existe, ou dans la section « notes » ou « commentaires » le cas échéant.

Ce simple ajout permet aux outils automatisés de faire le lien entre un essai enregistré et sa publication.

Le International Committee of Medical Journal Editors, qui regroupe les éditeurs de plusieurs grandes revues médicales, comme The New England Journal of Medicine, ou The Lancet a publié un ensemble de recommandations pour garantir la transparence, l’éthique et la rigueur dans la publication médicale. 

Par ailleurs, le dernier rapport interministériel sur l’importance de la communication des résultats des essais cliniques en France, publié par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, souligne l’importance de ces bonnes pratiques pour garantir la transparence, la traçabilité et la confiance du public dans la recherche clinique.

Le risque de données biaisées

L’absence de publication d’un résultat de recherche, ou de lien explicite entre la publication d’un essai et son enregistrement dans un registre fausse les méta-analyses, les revues systématiques et les rapports d’évaluation. En effet, ces derniers se fondent la plupart du temps sur les données répertoriées au sein des registres pour identifier tous les résultats disponibles. Par exemple, une équipe effectuant une analyse systématique des études scientifiques disponibles sur un médicament, type revue Cochrane, ne trouvera pas l’essai publié si celui-ci est invisible dans les registres. Elle risque alors de tirer des conclusions biaisées. Dans le même esprit, les autorités de santé ou les institutions internationales qui élaborent des recommandations cliniques, telles que la Haute autorité de santé (HAS) ou l’Organisation mondiale de la santé (OMS), s’appuient elles aussi sur les registres d’essais cliniques.

Si certains résultats publiés ne sont pas reliés à leur enregistrement initial, ils peuvent passer inaperçus, ce qui peut avoir un impact majeur sur les politiques publiques, par exemple lors de l’évaluation d’un médicament en vue d’une autorisation de mise sur le marché ou lorsque la question du choix de rembourser ou non un traitement se pose.

Au-delà des aspects techniques et humains, la transparence des résultats d’essais cliniques est avant tout une question d’éthique et de responsabilité scientifique. Par exemple, bien que l’Inserm enregistre 100 % de ses essais, seulement environ 40 % font l’objet d’une publication ou d’un dépôt des résultats. Pourtant, la publication et le dépôt dans les registres sont les premiers garants de la crédibilité et de l’utilité des connaissances produites.