Carmen Garrido apparaît sur l’écran toute souriante, elle a de quoi être heureuse, elle vient de recevoir le Grand Prix Ruban Rose qui récompense chercheurs et médecins ayant contribué significativement à la recherche contre le cancer du sein. Ce Grand Prix ne tombe pas du ciel. Carmen est une travailleuse : sa vie, c’est surtout la recherche. Plus jeune, déjà, elle quitte son Espagne natale où elle a effectué toute sa scolarité ainsi qu’une thèse en co-tutelle avec la Harvard Medical School. De Madrid, elle passe à la Californie. Cette femme au caractère bien trempé, née à l’époque de Franco se battait déjà très tôt pour sa carrière : « À mon époque, les femmes ne partaient de la maison que pour se marier. Moi jeune demoiselle, je suis partie quand je voulais partir et je me suis révoltée contre une société qui avait sa propre idée de la femme parfaite. » Arrivée sur le continent américain, elle y effectue un post-doctorat à l’Université de Californie où elle rencontre des chercheurs de l’Institut Pasteur de Lille. Ces derniers la convainquent de venir en France.
Au pays de Charlemagne, elle tombe amoureuse de son futur mari, agriculteur travaillant dans l’Yonne. Un choix s’impose alors : travailler à la capitale ou partir à Dijon. Pour prendre une décision, elle visite la région bourguignonne et se familiarise aux différents laboratoires. Là-bas, elle y découvre l’unité Inserm dirigée à l’époque par le Pr. François Martin. L’accueil y est très chaleureux. Résultat : en 1993, elle s’installe dans la capitale des ducs de Bourgogne. Mais cette décision n’était pas sans critiques de la part de ses collègues : « Des gens de l’institut Pasteur me disaient que j’allais enterrer ma brillante carrière à Dijon, rigole-t-elle, mais je me suis donnée une chance et je ne regrette rien. De nos jours, nous pouvons faire de la recherche de qualité partout en France » se remémore-t-elle.
Petit à petit, elle monte les échelons grâce à sa détermination et sa passion, jusqu’à devenir directrice de recherche de classe exceptionnelle. Ses recherches sur les protéines de stress lui valaient alors déjà en 2017, le prix Ruban Rose Avenir. En 2021, ce sont ses découvertes sur une nouvelle méthode de diagnostic précoce du cancer qui sont récompensées et elle en est fière : « C’est une très belle récompense, de plus, c’est la première fois que le prix ruban rose avenir est suivie 4 ans plus tard par le Grand Prix. » Lorsqu’on lui demande pourquoi spécifiquement le cancer, elle nous répond que tout le monde connaît quelqu’un de son entourage touché par cette maladie et puis « Le cancer est un problème majeur, quand on fait de la recherche, on espère qu’on va aider la société, qu’on va être un petit grain de sable qui va faire avancer la mécanique ».
Cette réussite dans sa carrière, elle le doit notamment à sa sociabilité, son optimiste et sa vision toujours positive du monde. D’après elle, la recherche et la solitude seraient incompatibles : « Je n’ai pas peur qu’on me pique mes découvertes, j’aime partager mes recherches, collaborer, travailler avec des gens. Si ma carrière a avancé, c’est grâce à d’excellents chercheurs et chercheuses en France qui m’ont aidée. Et en retour, j’espère également leurs avoir apporté mon soutien ». Lorsque la question de ses conditions de travail en tant que chercheuse lui est posée, elle répond qu’elle a été chanceuse. Qu’être une femme dans le domaine de la recherche ne semble pas avoir joué dans sa carrière. « De toutes manières, dans le domaine public, nous sommes tous payés de la même manière » plaisante la chercheuse.
D’ailleurs, malgré la retraite qui se rapproche, elle espère pouvoir continuer à diriger son équipe de recherche travaillant sur divers thèmes avant de pouvoir passer le flambeau à quelqu’un d’autre « J’ai déjà accompli certaines choses, mais j’aimerais que cela continue. Mon rêve, c’est que mon travail permette aux patients d’aller détecter précocement des maladies telles que le cancer avec une simple prise de sang. J’aimerais que le jour où je prendrai ma retraite tout ce que j’ai fait n’ai pas servi à rien.»
Portrait réalisé par Ammra Tan