L’Inserm lance son programme expérimental de mentorat pour les femmes scientifiques

Dans le cadre du plan d’action pour l’égalité professionnelle entre femmes et hommes de l’Inserm, un programme de mentorat destiné aux chercheuses titulaires et aux post-doctorantes est déployé dans les délégations régionales pilotes Paris Île-de-France Sud et Occitanie Méditerranée. Présentation de ce dispositif avec les scientifiques Florence Apparailly et Murielle Gaudry, respectivement à Montpellier et à Villejuif, et membres du comité de pilotage national chargé de sa mise en place.

Occitanie Méditerranée
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Pouvez-vous résumer vos parcours professionnels et vos domaines de recherche actuels ?

Murielle Gaudry : À la suite de ma thèse en biochimie, j’ai effectué un post-doctorat de cinq ans au Canada, au cours duquel j’ai été recrutée comme chercheuse à l’Inserm. De retour en France, j’ai orienté mes travaux de recherche sur les leucémies adultes puis pédiatriques, que j’étudie maintenant depuis une dizaine d’années au sein de l’Institut Gustave Roussy. Mes recherches portent plus spécifiquement sur les cellules souches hématopoïétiques. En parallèle, j’ai été membre de plusieurs commissions scientifiques spécialisées (CSS) et je siège actuellement au Conseil scientifique (CS) de l’Inserm. Enfin, je suis référente égalité-parité pour la délégation régionale Paris Île-de-France Sud de l’Inserm.

Florence Apparailly : Après mes études à la faculté de sciences de Tours, puis une thèse dans un centre Inrae (Nouzilly, Val de Loire) en physiologie de la reproduction, j’ai réalisé un post-doctorat de trois ans à New York (États-Unis) pour étudier les cascades de signalisation des cytokines et facteurs de croissance. Arrivée à Montpellier en 1997, j’ai mis en place, avec Christian Jorgensen, directeur actuel de l’Institut de Médecine Régénératrice et de Biothérapie (IRMB, unité Inserm 1183), un projet de thérapie génique anti-inflammatoire dans les maladies rhumatismales. Recrutée à l’Inserm en 2001, j’ai progressivement gravi les échelons de la carrière de chercheuse et suis aujourd’hui directrice de recherche de première classe. Actuellement directrice adjointe de l’unité, je me prépare à en prendre la direction en 2027. Parallèlement, je co-dirige l’une des quatre équipes du laboratoire, dont les travaux portent sur l’inflammation chronique dans différents contextes, notamment les maladies ostéo-articulaires. Ces recherches visent à développer des immunothérapies innovantes pour lutter contre l’inflammation chronique et prévenir l’érosion osseuse.

Pourquoi avez-vous décidé de vous engager dans ce programme de mentorat Inserm ?

M. G. : J’ai toujours été très impliquée dans l’accompagnement des chercheuses et des chercheurs au cours de ma carrière à l’Inserm, dont je connais bien le fonctionnement, et au travers de mes expériences comme membre de CSS et du CS. Je suis également investie dans le programme de mentorat de l’association Femmes & Sciences de l’Université Paris-Saclay, et ambassadrice pour l’association My Job Glasses, une plateforme européenne de rencontres professionnelles. J’ai ainsi eu l’opportunité de mentorer des personnes aux profils très variés, qu’il s’agisse des domaines de recherche, des parcours universitaires d’étudiants (de la licence au post-doctorat) ou de titulaires Inserm. Pour moi, le mentorat dépasse le cadre de l’expertise scientifique : c’est un espace d’écoute privilégié, hors contexte hiérarchique, permettant aux participantes de clarifier leur projet professionnel et de dépasser les obstacles rencontrés. En tant que référente égalité-parité pour la délégation régionale Paris Île-de-France Sud, j’avais à cœur de contribuer à la création du programme de mentorat Inserm.

F. A. : Membre de l’association Femmes & Sciences depuis dix ans, je suis engagée dans le programme de mentorat pour les doctorantes depuis le début. Il a été créé en 2015 à Montpellier et est aujourd’hui étendu à neuf universités françaises. En tant qu’adhérente, je suis également en charge des partenariats de l’association. J’avais très envie de développer un lien entre celle-ci et l’Inserm afin de soutenir pleinement la progression de carrière des chercheuses au sein de l’Institut. Le mentorat est l’un des outils essentiels pour promouvoir l’égalité professionnelle femmes-hommes dans la recherche scientifique, et doit s’accompagner d’un engagement fort de l’établissement. 

Quelles sont selon vous les principales difficultés rencontrées par les jeunes femmes scientifiques ?

F. A. : J’étais jeune chargée de recherche quand je suis rentrée dans les commissions scientifiques spécialisées (CSS), organes qui assistent la direction sur les questions relatives notamment à l’activité et la progression de carrière des chercheuses et chercheurs. J’ai constaté que les chercheuses étaient souvent confrontées à des freins structurels tels que l’effet « Matilda », qui désigne le déni ou la minimisation récurrente de la contribution de femmes à la recherche scientifique.

Beaucoup hésitent à se porter candidates à des concours tant qu’elles estiment ne pas remplir tous les critères. J’ai alors compris qu’il était essentiel d’agir pour lever ces obstacles, en créant des conditions qui permettent aux femmes de développer pleinement leur parcours scientifique. Cela passe autant par l’évolution des pratiques institutionnelles que par un accompagnement favorisant la confiance et la légitimité dans un environnement très compétitif.

M. G. :Dans le cadre de programmes d’accompagnement, j’ai souvent pu constater que les femmes avaient une méconnaissance des modalités de recrutement et de promotion à l’Inserm, et qu’elles renonçaient encore trop souvent à candidater aux concours ou aux promotions, pensant ne pas être prêtes. La construction d’un réseau professionnel, indispensable, leur fait aussi souvent défaut. Le mentorat permet de lever ces barrières, notamment en les aidant à consolider leurs savoir-faire et savoir-être pour renforcer leur confiance en soi et par conséquent leur légitimité.

Quels sont les principaux objectifs de ce programme ?

M. G. : L’objectif du mentorat Inserm est d’établir avec chaque participante une relation fondée sur la confiance et la confidentialité. Ces échanges offrent un espace aux femmes pour exprimer librement leurs questionnements, en toute bienveillance. Nous sommes là pour les écouter et les aider en partageant notre expérience. Je vois tous les jours et très concrètement les bénéfices du mentorat chez les personnes accompagnées.

F. A. : Le mentorat Inserm s’inspire largement du programme de mentorat de l’association Femmes & Sciences. Il a pour objectif principal d’accompagner les chercheuses dans la réflexion et le développement de leur projet de carrière au sein de l’Institut. Pour cette année pilote, nous allons nous concentrer sur le soutien à la fois pour l’entrée à l’Inserm et pour les candidatures aux promotions, en particulier aux concours de directrice de recherche (DR2).

Quel type d’accompagnement proposerez-vous aux jeunes chercheuses ?

M. G. et F. A. :Le programme de mentorat Inserm va s’étendre sur une année et prévoit plusieurs temps d’échanges destinés à accompagner les chercheuses dans leur parcours professionnel :

  • des rencontres mensuelles en binôme avec un mentor ou une mentore, offrant un suivi individualisé et un espace bienveillant et confidentiel pour échanger ;
  • des cercles de parole en non-mixité, regroupant mentors, mentores et mentorées, qui permettront d’aborder des sujets spécifiques tels que le manque de confiance en soi, l’équilibre vie professionnelle – vie privée, les stéréotypes de genre ou la prise de parole ;
  • des témoignages de jeunes chercheuses récemment recrutées ou promues, afin que les participantes puissent s’identifier à leurs parcours et bénéficier de retours concrets ;
  • des ateliers pratiques abordant des thématiques clés de la vie de chercheuse, comme développer son réseau professionnel, devenir responsable d’équipe ou d’unité ;
  • des témoignages de chercheuses au parcours varié et inspirant au sein de l’Inserm, afin de partager expériences et conseils.

Quelles sont les modalités à connaître pour candidater à ce programme ?

M. G. : Les candidatures s’effectuent sur la plateforme Eva 3, dans la rubrique dédiée Mentorat. Chaque candidate au mentorat renseigne ses attentes : faire un point sur sa carrière, bénéficier d’un accompagnement pour un concours… Les mentores et mentors expriment leur motivation et la contribution qu’ils pensent pouvoir apporter. En fonction des attentes de chacun et des choix exprimés, nous validerons les appariements des binômes en nous assurant de toute absence de relation hiérarchique et de conflit d’intérêt.

F. A. : Effectivement, les mentorées pourront consulter les profils des encadrants qui se sont proposés et formuler des choix qui seront validés par la coordination du dispositif pour un appariement pertinent. Les inscriptions sont ouvertes jusqu’au 8 décembre et le programme débutera début 2026.