S’orienter dans l’espace, savoir où l’on se trouve, suivre un chemin ou encore retrouver un lieu connu : toutes ces capacités nous paraissent naturelles. Pourtant, elles reposent sur des mécanismes complexes du cerveau, que les chercheurs tentent de mieux comprendre. À l’Institut de Neurobiologie de la Méditerranée (Inmed – AMU/Inserm) à Marseille, l’équipe dirigée par Jérôme Epsztein, directeur de recherche à l’Inserm, s’est penchée sur une question passionnante : comment notre cerveau mesure-t-il la distance parcourue, même quand nous n’avons aucun repère visuel autour de nous ?
Cette capacité repose sur une région bien connue du cerveau : l’hippocampe, impliquée à la fois dans la mémoire et dans l’orientation spatiale. Dans l’hippocampe, certaines cellules appelées « cellules de lieu », s’activent quand nous nous trouvons à un endroit précis. Mais que se passe-t-il lorsque nous sommes dans un environnement vide, sans objets ni points de repère ? Comment ces cellules savent-elles encore où nous sommes ?
Pour répondre à cette question, Julie Koenig-Gambini, maître de conférence à l’université Aix-Marseille et Mathilde Nordlund étudiante en thèse dans l’équipe, ont mené des expériences originales sur des souris, en utilisant la réalité virtuelle. Cette technique leur a permis de contrôler entièrement ce que l’animal voyait et de créer des environnements pauvres en repères visuels. Grâce à des enregistrements très précis de l’activité cérébrale, elles ont pu observer comment l’hippocampe réagissait dans ces conditions.
Les chercheurs ont découvert que, même en l’absence de repères visuels extérieurs, l’hippocampe est capable de calculer la distance parcourue en se basant uniquement sur des informations liées à nos propres mouvements à partir d’un point de repère fixe. Autrement dit, le cerveau utilise un système de navigation interne, fondé sur les sensations corporelles liées au mouvement, comme si l’on comptait nos pas mentalement, sans avoir besoin de regarder autour de nous.
En collaboration avec les physiciens Hervé Rouault du Centre de Physique Théorique à Marseille et Rémi Monasson du département de physique de l’École Normale Supérieure à Paris, les chercheurs ont découvert que ce système de codage de la distance est très structuré et précis. L’activité des cellules de lieu de l’hippocampe suit une organisation rigide, qui semble reposer sur un mécanisme proche de celui à l’origine des cellules de grille du cortex entorhinal, connues pour former une sorte de carte en quadrillage dans le cerveau. Cette régularité laisse penser à l’existence d’une « dynamique d’attracteur », autrement dit d’un système interne très cohérent qui contraint la représentation des distances parcourues. Pour tester le rôle de ces cellules de grille, les chercheurs ont temporairement inactivé une autre zone du cerveau, le septum médian, qui influence directement leur fonctionnement. Résultat : le codage de la distance dans l’hippocampe devenait moins fiable, confirmant que ce système dépend bien, au moins en partie, de ces fameuses cellules de grille.
Mais le cerveau ne s’arrête pas là. Quand les chercheurs ont ajouté des repères visuels dans l’environnement, ils ont constaté que certaines cellules, notamment dans les couches profondes de l’hippocampe, pouvaient utiliser ces repères pour se localiser. Et même après avoir perturbé le système des cellules de grille, ce codage reposant sur des informations visuel persistait. Cela montre que le cerveau est capable de s’adapter, en combinant différentes sources d’information pour maintenir une représentation fiable de l’espace.
En résumé, les travaux de l’équipe de Jérôme Epsztein à l’INMED révèlent que le cerveau possède un véritable GPS interne, capable de mesurer la distance parcourue même sans rien voir. Ce système repose en grande partie sur l’interaction entre les cellules de lieu de l’hippocampe et les cellules de grille du cortex entorhinal, mais il peut aussi s’appuyer sur des repères visuels quand ils sont disponibles. Ces découvertes pourraient avoir des implications importantes pour mieux comprendre les troubles de la mémoire et de l’orientation, comme ceux observés dans des maladies neurodégénératives.
Contact Chercheur
Jérôme EPSZTEIN
Directeur de recherche Inserm
Institut de neurobiologie de la Méditerranée (Inmed – AMU/Inserm)
Equipe Mécanismes neuronaux de la cognition spatiale
Tél. 04 91 82 81 47
Mail : jerome.epsztein@inserm.fr