Un parcours scientifique d’exception
La carrière scientifique de Thierry Léveillard avait démarré par l’obtention d’un doctorat soutenu à l’université de Rouen, suivie de deux stages post-doctoraux réalisés en Californie (États-Unis) : le premier à San Diego, sous la direction du spécialiste mondial de la régulation des gènes Peter Geiduschek, et le second au Salk Institute, sous l’encadrement d’Inder Verma, expert reconnu dans le domaine des vecteurs viraux pour la thérapie génique. À son retour en France, il intègre le prestigieux Institut de Génétique et de Biologie Moléculaire et Cellulaires (IGBMC) de Strasbourg, alors dirigé par Pierre Chambon, avant de rejoindre en 1997 le laboratoire « Physiopathologie cellulaire et moléculaire de la rétine » sur le campus de l’université Louis Pasteur, une équipe qui fut au cœur de la création en 2008 de l’Institut de la Vision sur le site de l’Hôpital des Quinze-Vingts, à Paris.
En 1996, l’équipe de José-Alain Sahel venait de démontrer l’existence d’interactions cellulaires entre les photorécepteurs à bâtonnets et les photorécepteurs à cônes. Ces interactions, de type paracrine, sont essentielles à la survie et à la fonction des cônes, et donc de la vision diurne et de la vision centrale (acuité visuelle, reconnaissance de visages et d’objets). Souhaitant caractériser la signalisation sous-jacente, José Sahel approcha Pierre Chambon, afin de l’aider à recruter un jeune chercheur susceptible de développer les stratégies appropriées : c’est Thierry Léveillard qui fut sélectionné, marquant le lancement d’une collaboration très forte, qui dura plus de 25 ans jusqu’à sa disparition prématurée.
Grâce à ses compétences remarquables, à sa créativité et à sa rigueur, Thierry a introduit et appliqué des approches scientifiques très variées, couvrant les champs de la biochimie, de la génétique moléculaire et de la génomique fonctionnelle. Leur équipe, au terme d’un travail ambitieux et systématique, a pu mettre en évidence et caractériser une protéine spécifiquement exprimée et sécrétée par les bâtonnets, le Rod-derived Cone Viability Factor (RdCVF) codé par le gène Nxnl1., jusqu’alors inconnu.
Des travaux pionniers dans le domaine des maladies de la vision
Cette découverte majeure a permis de démontrer et d’analyser le rôle inédit et crucial de RdCVF pour la survie des cônes. Par la suite, Thierry Léveillard et l’équipe dont il prit la direction, ont été les premiers à identifier la bi-fonctionnalité du gène Nxnl1 qui code notamment pour une enzyme, RdCVFL avec une activité thiol-oxydoréductase. La nouvelle signalisation mise en évidence par ces travaux ne se limite pas seulement à la rétine, mais aussi à d’autres organes sensoriels et potentiellement au cerveau. Thierry a également conduit les efforts conduisant à l’identification du récepteur de RdCVF à la surface des cônes et montré qu’il interagit avec le transporteur du glucose GLUT1. Ces recherches, publiées et commentées dans les revues réputées Cell et Nature, offrent la première démonstration univoque que les photorécepteurs à cônes métabolisent le glucose par la voie de la glycolyse aérobie.
La réputation internationale de Thierry Léveillard a permis d’initier de nombreuses collaborations académiques et avec l’industrie pharmaceutique de très haut niveau, en France comme à l’international. Les perspectives ouvertes par ses travaux sont d’une importance majeure puisqu’elles ouvrent la voie à des progrès thérapeutiques dédiés à la lutte contre la cécité et la malvoyance dans les maladies dégénératives de la rétine. Son travail a été récompensé par plusieurs prix prestigieux, comme en 2005 par le Trustee Award de la Foundation Fighting Blindness et par le Prix de l’Œil de la Fondation de France en 2016. Cette même année, il co-fonde avec José-Alain Sahel la société Sparing Vision grâce au soutien des fondations Fighting Blindness et Voir et Entendre, ainsi que celui de la Banque Publique d’Investissement (BPI), aujourd’hui à l’avant-garde de la médecine génomique de la rétine. Peu avant sa disparition prématurée, Thierry Léveillard se réjouissait de l’entrée en clinique de cette stratégie thérapeutique à laquelle il a tant contribué.
Thierry Léveillard était un membre éminent et respecté de la communauté scientifique, un chercheur brillant, et, au-delà de ses accomplissements scientifiques, un collègue apprécié de tous. Figure historique de l’Institut de la Vision, il était reconnu pour son intégrité, sa culture, sa rigueur exemplaire et sa grande générosité avec ses collaborateurs. Il laisse derrière lui un fort héritage, tant scientifique qu’humain.
L’Inserm adresse ses plus sincères condoléances à ses proches, aux membres de son équipe ainsi qu’à tous ses collaborateurs.