Pourriez-vous nous présenter en quelques mots le contexte qui vous a amenées à ce projet d’étude ?
Clémence Lelaumier : Ma thèse est une thèse Cifre (Conventions industrielles de formation par la recherche), cofinancée par l’entreprise Wivy. À l’origine, cette société avait développé une application destinée aux animateurs en ehpad. Mais elle a rapidement été sollicitée par des proches de résidents, qui souhaitaient utiliser l’outil lors de leurs visites individuelles. Le problème, c’est que l’application n’était pas conçue pour cela. D’où l’idée de créer un outil spécifiquement pensé pour les proches aidants, afin de les aider à instaurer un lien de qualité avec leur proche lors de la visite.
Quelles difficultés spécifiques rencontrent les proches lors des visites en ehpad auprès de personnes atteintes d’Alzheimer ?
Mathilde Groussard : Face à un résident qui perd la mémoire ou qui rencontre des troubles du langage, une simple visite peut vite devenir délicate. La personne atteinte d’Alzheimer peut poser les mêmes questions à plusieurs reprises, oublier qu’une activité vient d’avoir lieu ou encore confondre ses proches. Ces situations entraînent des incompréhensions, des changements d’humeur et parfois un sentiment d’impuissance chez l’aidant. Pourtant, l’intention première reste de partager un moment agréable. L’application vise à donner des repères, des conseils et des propositions d’activités qui évitent de mettre en difficulté les résidents et les proches.
Comment avez-vous conçu et diffusé votre questionnaire auprès des aidants ?
M.G. : Nous avons d’abord élaboré une première version, enrichie par la suite des questions des cliniciens et développeurs qui nous accompagnent. Cette étape a permis de ne laisser de côté aucun point susceptible de freiner la suite du développement, qu’il s’agisse de l’interface ou des contenus. Ensuite, nous avons échangé avec des aidants directement concernés, pour qu’ils testent la compréhension des questions. Grâce à leurs retours, nous avons pu simplifier et clarifier les formulations.
Pour la diffusion, nous avons mobilisé nos réseaux liés à la recherche Alzheimer, les établissements d’accueil, ainsi que les canaux de diffusion de l’entreprise Wivy. Un article paru dans Ouest-France a aussi donné une forte visibilité au projet : de 200 réponses attendues, nous en avons finalement reçu 320, ce qui témoigne d’une réelle demande de la part des proches.
Comment avez-vous structuré votre questionnaire ?
C. L. : Le questionnaire est assez dense. Il dure une bonne trentaine de minutes et comprend principalement des questions fermées. Ce cadrage strict des questions nous permet d’avoir de l’information directement exploitable, et aussi de pouvoir rentrer dans le développement concret rapidement. Nous avons quand même intégré quelques questions ouvertes pour laisser émerger des sujets que nous n’aurions pas identifiés. À partir des résultats de ce questionnaire, nous organiserons des focus groups, puis lancerons des ateliers de co-construction pour concevoir les premiers prototypes de l’application avec les visiteurs eux-mêmes. L’idée est que cet outil soit pensé avec eux.
Les groupes de discussion sont prévus pour fin novembre et nous visons un premier travail de co-construction début 2026. Les retours préliminaires des aidants font déjà ressortir une forte demande de conseils pratiques : des astuces simples pour communiquer sans faux pas.
Quelles recherches préalables avez-vous menées sur les solutions existantes à l’international ?
C. L. : Avant de nous lancer, nous avons passé en revue les initiatives existantes. En France, une seule application avait été lancée, mais elle se limitait à proposer des activités, sans intégrer la question de l’interaction entre le visiteur et la personne atteinte d’Alzheimer. En Australie, une application existe mais elle ne guide pas suffisamment l’utilisateur. De même, en Allemagne et au Royaume-Uni, certaines interfaces se sont révélées trop complexes et n’ont pas été adoptées. Nous voulons éviter ces écueils : une ressource, aussi pertinente soit-elle, n’a d’impact que si elle est simple et réellement utilisable.
Et qu’en est-il des aspects éthiques ?
M.G. : Le protocole a été validé par un comité d’éthique. Les questionnaires sont anonymisés, sans collecte de données sensibles ni de localisation. Pour les groupes de discussion à venir, nous avons également prévu plusieurs garde-fous : les participants n’auront pas à donner leur nom et les entretiens seront menés par des psychologues.
Les Conventions industrielles de formation par la recherche (Cifre)
Les Conventions industrielles de formation par la recherche (Cifre), financées par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et gérées par l’ANRT, permettent à une entreprise de recruter un doctorant pour un projet de recherche mené en partenariat avec un laboratoire académique. L’entreprise emploie et rémunère le doctorant pendant trois ans et reçoit en contrepartie une subvention annuelle d’environ 14 000 euros. Ce co-financement vise à renforcer les liens entre recherche publique et secteur socio-économique, tout en offrant au doctorant une expérience à l’interface du monde académique et professionnel.