Le 25 septembre dernier s’est tenu à Bordeaux le premier colloque international du programme d’impulsion Exposome, dont le Work Package 3 est coordonné par Rodolphe Thiébaut, directeur du centre de recherche sur la santé des populations de Bordeaux (Bordeaux Population Health, BPH). L’événement a rassemblé la communauté scientifique pour discuter des avancées et des perspectives de la recherche sur l’exposome, avec un focus sur les inégalités sociales pour cette première rencontre.
La recherche sur l’exposome, dans toutes ses composantes, se situe à la croisée de plusieurs défis : techniques, réglementaires, méthodologiques et éthiques. Elle exige des approches rigoureuses, collaboratives et pluridisciplinaires, afin de garantir la fiabilité et la pertinence des résultats, au service d’une meilleure compréhension des déterminants environnementaux de la santé.
Le programme d’impulsion Exposome fédère une communauté scientifique pluridisciplinaire associant épidémiologie, biostatistique, toxicologie et biologie des systèmes. Son objectif : identifier les liens entre les différents éléments de l’exposome et la survenue de maladies, tant à l’échelle des populations que des territoires, tout en affinant la compréhension des relations causales entre ces variables.
L’exposome, c’est quoi ?
Introduit en 2005 par le chercheur britannique Christopher Wild, épidémiologiste, le concept d’exposome désigne l’ensemble des expositions environnementales auxquelles un individu est confronté tout au long de sa vie, de la conception à la mort. Ce concept englobe les expositions chimiques (polluants, perturbateurs endocriniens, …) via l’environnement ou l’alimentation, les expositions physiques (bruits, radiations, …), les expositions biologiques (agents infectieux, microbiote, …), ainsi que des facteurs comportementaux et psychosociaux (stress, inégalités sociales, …). Et les scientifiques montrent désormais que ces expositions influencent fortement notre santé ! En effet, les facteurs environnementaux, au sens large, seraient à l’origine de 70% des maladies non transmissibles, notamment les maladies cardiovasculaires, métaboliques, neurodégénératives, respiratoires ou encore les cancers. Autant de raisons qui font de l’étude de l’exposome une priorité majeure de recherche en santé publique.

Etudier l’exposome, qu’est-ce que ça change ?
Longtemps centrées sur l’analyse d’un contaminant unique et de ses effets sur la santé, les recherche épidémiologiques et toxicologiques s’orientent désormais vers une approche globale des expositions et de leurs interactions. Etablir des liens de causalité entre les expositions environnementales et les effets sur la santé constitue un enjeu majeur, indispensable à la mise en place d’interventions efficaces. Cécilia Samieri, chercheuse Inserm au sein du BPH, explique : « ce modèle vise surtout à mieux décrypter ces liens. Comme tout modèle, c’est un objectif à atteindre. Nous en sommes loin, mais cela nous aide à mieux formuler les choses, et modéliser les phénomènes. Le modèle d’exposome doit nous aider à décrypter dans son ensemble ces intrications complexes et démêler les vulnérabilités les plus importantes qui devraient être ciblées par les politiques de prévention. Mais il existe probablement de multiples modèles d’exposome, spécifiques à certaines pathologies ou situations. »
Comprendre les mécanismes derrière ces modèles permettrait de mieux prédire les risques de santé et de proposer des prises en charge ciblée aux personnes les plus vulnérables. « La vulnérabilité sociale est particulièrement prégnante. Les populations précaires sont plus à risque d’expérimenter des niveaux défavorables pour presque toutes les expositions préoccupantes », souligne Cécilia Samieri. Elle ajoute : « On a beaucoup étudié, ces vingt dernières années, les facteurs de risque individuels notamment via l’analyse du mode de vie, et moins les facteurs contextuels à l’échelle des communautés comme l’accès à des espaces verts, la pollution de l’air ou les aspects sociaux. De même, certaines composantes de l’exposome qui relèvent souvent d’expositions ubiquitaires, comme les pollutions chimiques, physiques ou les risques biologiques, sont encore à l’étude. »
Ce premier colloque international était centré sur les inégalités sociales. « L’exposome social est une composante importante de l’exposome, comprenant des facteurs primordiaux (c’est-à-dire initiaux) qui influencent de nombreuses autres expositions (si ce n’est toutes) : les comportements individuels liés au mode de vie, les expositions aux polluants, … » conclut Cécilia Samieri. De quoi ouvrir de nombreuses perspectives pour les recherches à venir !
Un défi méthodologique majeur
Décrire l’exposome dans sa totalité est un exercice d’une grande complexité, tant les expositions environnementales auxquelles un individu est confronté sont nombreuses et variées par leur nature (chimique, physique, biologique, psychologique, sociologique) et leur temporalité (précoce vs tardive, ponctuelle vs chronique, d’intensité croissante ou décroissante au fur et à mesure des années, etc…). Cette complexité représente un défi unique pour l’analyse statistique et l’inférence causale.
Les travaux de recherche du WP3 du programme Impulsion Exposome se concentrent précisément sur le défi de l’inférence causale en grande dimension. Quentin Clairon est chargé de recherche Inria au sein du BPH. Il explique que « l’analyse des expositions environnementales qu’un individu expérimente tout au long de sa vie demande des méthodes statistiques capables de gérer des données de grande dimension, composées de mesures de natures différentes, de les corréler entre elles de manière extrêmement complexe, sur de nombreux sujets, et suivant leur évolution dans le temps ». Quels outils utiliser alors ? « Plusieurs outils peuvent-être déployés en fonction des questions auxquelles on veut répondre. » indique Quentin Clairon. « Pour obtenir une vision globale des interactions entre les variables, les méthodes d’analyse de réseaux permettent d’inférer le graphe des associations entre elles. Cependant, ces approches se contentent de nous informer sur l’existence d’un lien entre variables mais pas sa direction, c’est-à-dire quelle variable agit sur quelle autre. Pour étudier l’évolution temporelle de certaines quantités en tenant compte de la variabilité interindividuelle, on peut s’appuyer sur les modèles longitudinaux à effets mixtes, qui peuvent être descriptifs ou causaux. »
Le workshop organisé en marge du colloque fut l’occasion pour les scientifiques d’échanger sur de nouvelles approches d’inférence visant à dépasser les limites des méthodes statistiques classiques, tout en s’adaptant aux spécificités propres aux données d’exposition. Les discussions ont notamment porté sur l’apprentissage de réseaux d’exposition à partir de mesures partielles ou incomplètes échappant aux méthodes traditionnelles de corrélation, sur la construction de structures causales simplifiées fondées sur l’information réellement disponible, ou encore l’estimation plus robuste de modèles marginaux face aux imprécisions issues des données de cohortes.
Quels obstacles et quels enjeux ?
L’analyse des données liées à l’exposome se heurte à plusieurs obstacles majeurs. Comme le souligne Robert Barouki, directeur de l’Institut thématique Santé publique de l’Inserm, « le volume très important d’informations à traiter engendre des coûts élevés, tant en matière de stockage que de traitement. À cela s’ajoutent des contraintes réglementaires particulièrement fortes, notamment celles imposées par le RGPD, qui encadrent strictement l’utilisation de données sensibles ».
Au-delà de ces aspects techniques et réglementaires, la complexité et l’hétérogénéité des données posent des défis analytiques importants. Les données proviennent de sources multiples et doivent être croisées pour produire des résultats fiables, ce qui nécessite des outils d’analyse puissants et des approches statistiques adaptées. « Un autre défi consiste à quantifier l’effet global d’une variable sur une autre, malgré le caractère retardé, indirect et souvent médié ou conjoint (l’action se fait en interaction avec d’autres variables, connues ou non) de cet effet. Cela requiert des modèles dit marginaux et des outils d’inférence causale comme la G‑computation et/ou de l’analyse de médiation. », précise Quentin Clairon.
Enfin, un enjeu éthique majeur concerne la communication des résultats auprès du grand public. Robert Barouki rappelle que « certaines associations peuvent être mises en évidence sans qu’il existe de solution concrète pour agir. La question se pose alors de savoir s’il convient de rendre publiques ces informations, au risque de générer de l’inquiétude sans perspective immédiate d’intervention ».