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Interview de Rémy Slama, nouveau directeur de l’institut thématique Santé publique

Nommé directeur de l'institut thématique Santé publique en pleine crise sanitaire, Rémy Slama revient sur son parcours et aborde les grandes lignes de son action pour les cinq années à venir.​​

National
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Pourquoi avoir choisi la santé publique ? 

Jusqu’au bac j’avais un intérêt égal pour les humanités et les mathématiques. J’ai opté vers des classes préparatoires « scientifiques » ; des mathématiques, un peu froides à mon goût, mon intérêt a glissé progressivement vers la chimie et la physique.

J’ai poursuivi dans cette veine à l’École​polytechnique, grâce à une majeure visionnaire intitulée « Planète Terre », et y ai découvert la biologie, grâce à d’excellents professeurs de génétique et d’immunologie. Mais un stage dans un laboratoire de biologie moléculaire m’a démontré que je n’avais pas de goût pour faire de la recherche face à une paillasse : il me fallait quelque chose de plus proche de la société.


« Mon intérêt se trouvait à l’intersectio​n entre les sciences de l’environnement, les questions de santé et les problématiques sociétales. »

Je suis allé compléter ma formation en sciences du vivant à AgroParis Tech (INA P‑G) et, à la fin de mes études d’ingénieur, j’étais convaincu que mon intérêt se trouvait à l’intersection entre les sciences de l’environnement, les questions de santé et les problématiques sociétales.

J’étais peu optimiste sur le fait qu’il existe un lieu où tout cela pouvait dialoguer – jusqu’à ma rencontre avec Alfred Spira, professeur à Paris-Saclay, qui m’a fait découvrir l’épidémiologie environnementale. Il m’a proposé de faire une thèse sur l’épidémiologie de la reproduction humaine, notamment pour aborder sous un autre angle les débats très tendus entre les points de vue scientifiques et sociétaux autour d’un cluster de leucémies de l’enfant à proximité de sites nucléaires.

C’était passionnant de partir de zéro et de découvrir toute la démarche allant de la conception du protocole d’une étude à l’écriture du questionnaire, la formation des enquêteurs, l’encadrement du terrain, l’analyse statistique et jusqu’au rendu des résultats à la population concernée.

Il faut dire que j’étais particulièrement bien entouré. J​“ai découvert une équipe de recherche en santé publique alliant épidémiologistes, sociologues, cliniciens, sexologues, spécialistes de la reproduction et du VIH, démographes, statisticiens, et cette image de disciplines cousines s’appuyant les unes sur les autres dans une même finalité consistant à comprendre comment améliorer le bien-être général m’a profondément marqué. J’ai profité de cette thèse pour creuser mes connaissances auprès de statisticiens à l’université Humboldt de Berlin et à celle de Copenhague. 

Après la soutenance, j’ai voulu développer des travaux consacrés aux effets de la pollution atmosphérique sur la reproduction et je suis parti apprendre l’épidémiologie des effets de la pollution atmosphérique au Helmholtz Center de Munich.


« Nous travaillons sur les effets de l’exposition précoce aux pollua​nts atmosphériques, aux perturbateurs endocriniens non persistants et, désormais, à l’exposome dans son ensemble »

Rentré en France, j’ai pu créer une équipe d’épidémiologie environnementale grâce au programme Atip-Avenir, à Grenoble, où nous travaillons sur les effets de l’exposition précoce aux polluants atmosphériques, mais aussi aux perturbateurs endocriniens non persistants et, désormais, à l’exposome dans son ensemble. Je suis très fier de cette équipe – que je vois malheureusement moins en ce moment – et de son implantation réussie au sein d’un centre où prédomine une recherche biomédicale plus fondamentale, l’Institut pour l’avancée des biosciences (IAB).

En parallèle de la recherche, je me suis investi dans la diffusion des connaissances et l​“expertise en santé environnementale au niveau national (dans les agences sanitaires notamment) et européen.

Vous êtes arrivé à l’institut thématique Santé publique en pleine de crise du Covid-19…

Arriver à l’institut thématique Santé publique à un moment où tout le p​ays, tous les habitants de la planète, ont le regard tourné vers les acteurs de la recherche biomédicale et ont soif de connaissances rigoureuses sur une maladie émergente, où des mesures de prévention d’une ampleur inédite sont prises, est une chance et une lourde responsabilité.

Cela s’est avéré passionnant. La crise a agi comme un révélateur, bien sûr du fonctionnement des systèmes de soin et de santé publique du pays ; mais elle a aussi été pour moi révélatrice des qualités de l’équipe de l’institut thématique Santé publique, qui, avec l’investissement de la dir​ection de l’Inserm et de ma prédécesseure Corinne Alberti, ont grandement facilité la transition.


« La crise m’a permis d’interagir avec un écosystème dont, en temps normal, je n’aurais probablement pas fait le tour en un an. »

La crise a aussi mis en lumière le fo​nctionnement des tutelles de l’Inserm et m’a permis, en deux mois, d’interagir avec un écosystème dont, en temps normal, je n’aurais probablement pas fait le tour en un an.

Le plus intéressant a été de voir et de stimuler autant que possible la réactivité du champ de la recherche en santé publique. Ma démarche a été à la fois de m’appuyer sur l’existant, et de compléter les limites en accompagnant de nouvelles études.

L’existant, c’est l’expertise des quelques centres travaillant en épidémiologie des maladies infectieuses – l’Institut Pierre-Louis d’épidémiologie et de santé publique et le Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations à Paris, ainsi que le Bordeaux Populati​on Health Research Center notamment – et surtout nos plus grandes cohortes en population, qui ont toutes répondu présentes et ont lancé le projet Sapris avec Fabrice Carrat et Nathalie Bajos.

Les limites de ce dispositif, à savoir la couverture géographique incomplète du territoire par ces cohortes et le fait qu’elles ne soient pas représentatives de l’ensemble de la population – ce n’est pas essentiel pour faire des études étiologiques –, ont été comblées par une nouvelle cohorte de santé publique à visée représentative, à la fois du point de vue sociodémographique et géographique : la cohorte EpiCOV.

Il y a eu bien sûr de nombreux autres projets, très créatifs, qui sont venus des équipes, et que nous avons vu se développer avec plaisir. Car il faut rappeler que l’IT Santé publique héberge le pôle Recherche clinique, porte d’entrée de toutes les recherches impliquant la personne humaine – y compris les essais thérapeutiques de nos collègues de l’IT Immunologie, inflammation, infectiologie et microbiologie (I3M).

Il abrite aussi le pôle Expertises collectives, qui, tout en continuant à travailler sur les expertises en cours, a relevé le défi d’identifier tous les travaux sur SARS-CoV‑2, les publications comme les
pre-prints – plusieurs centaines par semaine – pour les transmettre aux ministères et à l’équipe du consortium REACTing, qui analysaient les plus significatives. 

« J’ai découvert que cette aptitude à jouer collectivement pour la santé publique était là. » 

J’ai découvert que cette aptitude à jouer collectivement pour la santé publique était là, mais parfois un peu grippée par des réflexes de repli sur son équipe, vite dissipés.

C’est très beau de voir les équipes se rapprocher, les disciplin​es dialoguer, les échanges avec nos plus proches partenaires, dans les universités, à Santé publique France, Pasteur, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), l’Institut national d’études démographiques (Ined) ou encore le CNRS, se faire dans la fluidité. Ce n’était plus des équipes, des entités, des institutions fonctionnant avec leurs règles selon des circuits compliqués, mais un collectif d’humains tendus vers un même but.

Ce qui semble en temps normal lent – obtenir des autorisations éthiques, passer des marchés complexes, avoir des financements – devient, grâce au concours de chacun, rapide ; ce qui paraît impossible – monter une cohorte de plus de cent mille personnes sur tout le territoire et avec des prélèvements biologiques en s’appuyant sur une base de données contenant les coordonnées d’une grande partie de nos concitoyens constituée par l’administration fiscale – devient possible.

Je suis tenté de croire que dans cette crise, les chercheurs et leur administration ont été aussi exemplaires que les soignants et les autres professions en première ligne de la réaction à l’épidémie.

Quelle stratégie souhaitez-vous impulser pour les cinq ans à venir ? 

Il y a trois dimensions intriquées : celle des thématiques scientifiques, celle de la structuration du champ, et celle de notre vision.


« J’aimerais que nous avancions sur la question du lien entre changements climatiques et planétaires, société et santé. » 

Concernant les thématiques scientifiques, j’aimerais que nous avancions sur la question du lien entre changements climatiques et planétaires, société et santé. Ce champ est très peu exploré à l’Inserm, d’une importance majeure, identifiée dans l’ouverture du plan stratégique 2020 – 2025 de l’Institut. Un autre champ proche, celui de l’exposome, mérite aussi des développements. Pour les domaines que je connais moins bien, et sur lesquels la crise ne nous a pas laissé le temps de consulter, il nous faudra prioriser en dialoguant avec les équipes rattachées à l’IT Santé publique et nos partenaires.

Mener à bien des recherches ambitieuses dans ces champs nécessite une structuration. Ici, je constate qu’un formidable effort a été fait sous l’impulsion de Gilles Bloch, avec l’IT Technologies pour la santé et le département des systèmes d’information (DSI), concernant la structuration du soutien aux cohortes.

Ces cohortes sont des outils formidables. Plus de deux pourcent de la population du pays fait partie d’une de nos cohortes – en population ou clinique – et comme c’est la durée du suivi qui fait en général leur valeur, il y a un enjeu de pérennisation majeur. Or, jusqu’à maintenant, comme on dit, « quand un épidémiologiste part à la retraite, une cohorte disparaît ».

Avec France Cohortes, une nouvelle unité de services développée avec l’Ined et plusieurs universités, nous allons faire mentir cet adage et offrir les outils de suivi des volontaires ainsi que de stockage, de protection et d’accès sécurisé aux données. C’est un superbe chantier. D’une façon plus générale, il faut rendre plus transparent et fluide notre soutien, y compris réglementaire, aux études humaines, en instaurant un vrai « guichet unique ».


« Il faudra aussi renforcer nos alliances stratégiques, avec des partenaires comme Santé publique France. » 

Autre élément structurant niché à l’IT Santé publique, l’Institut pour la recherche en santé publique (IReSP), qui prend un nouveau départ et rassemble opérateurs et financeurs de la recherche en santé publique, avec différentes approches, dont les interventions en population, et sur des champs aussi importants que ceux de la perte d’autonomie, des addictions…

Il faudra aussi renforcer nos alliances stratégiques, avec des partenaires de premier plan, comme Santé publique France, avec qui nous allons mettre en place une convention de partenariat. La crise récente a montré la proximité de nos équipes et l’efficacité de leurs échanges, que ce soit sur les causes de décès et autres registres, les études sérologiques, les cohortes, la modélisation épidémique… il faut maintenant rendre cela plus visible et le soutenir à moyen et long terme.

Enfin, mais j’aurais pu commencer par cela, se pose la question de la vision qui sous-tend et justifie tous ces efforts. Bien q​ue les questions de santé publique soient anciennes comme l’invention de la politique, notre champ est relativement jeune sur le plan académique – l’épidémiologie, la sociologie, les statistiques, l’économie n’ont pas eu de présence forte dans le monde universitaire avant le milieu du vingtième siècle, au moment de la naissance de l’Inserm.


« Les questions abordées en santé publique ont profondément changé au cours des dernières décennies. » 

Comme pour beaucoup de disciplines jeunes, les approches, les questions abordées ont pr​ofondément changé au cours des dernières décennies. L’épidémiologie s’est par exemple beaucoup rapprochée de la biologie plus fondamentale, cellulaire et moléculaire, car l’évolution des outils d’analyse biochimique ou d’imagerie ont rendu ces échelles accessibles aux études en population, rapprochement qui donne tout son sens à l’Inserm, où ces disciplines coexistent.

Le champ de nos travaux et de nos collaborations s’est incroyablement étendu, ce qui est fascinant, mais qui pose la question de notre identité, ou de nos identités. Qu’est-ce qui nous rassemble ? Car un institut thématique, ce n’est pas une addition d’équipes indépendantes qui sont en compétition pour le​s mêmes financements. Nous devons créer davantage de collectif – le collectif que j’ai vu à l’œuvre depuis le début de la crise du Covid-19. Un IT ce n’est pas qu’un arbitre ou un pompier, cela devrait aussi être un lieu où on se rassemble, partage, réfléchit, et un incubateur d’idées et de projets.

Nous avons certains handicaps, dont celui de nous intéresser à des thématiques extrêmement variées, puisque les équipes de santé publique accueillent près de cinq mille personnes sur tout le territoire et travaillent aussi bien sur la périnatalité et le développement que le vieillissement et la mortalité ainsi sur tous les troubles pouvant surgir entre ces deux moments de la vie… Mais nous avons aussi un avantage majeur : la passion de la santé publique qui anime nos équipes.