Quel est votre parcours professionnel ? Qu’est-ce qui a suscité votre curiosité pour les sciences ?
Laetitia Linares : Toute jeune, j’adorais regarder « Il était une fois la vie » et « C’est pas sorcier », deux programmes télévisuels de vulgarisation scientifique. J’aimais mettre ma logique à l’épreuve en résolvant des énigmes. Les mathématiques, la physique et les sciences de la vie étaient un jeu pour moi.
Sans surprise, je me suis inscrite à la faculté des sciences. Progressivement mon intérêt pour la biochimie est devenu une évidence. Voulant comprendre le fonctionnement des mécanismes moléculaires qui commandent les cellules, et comment ces mécanismes étaient altérés dans les cellules malades, j’ai fait un master 2 en biologie santé.
En 2000, je suis partie en Allemagne pour faire ma thèse.
J’ai eu la chance de travailler avec Martin Scheffner, scientifique de renommée dans le domaine des modifications post-traductionnelles des protéines, et Aaron Ciechianover, prix Nobel de chimie pour la découverte du protéasome.
Durant cette période scientifiquement heureuse, j’ai décidé de devenir chercheuse.
Je suis rentrée en France fin 2003 pour effectuer mon post-doctorat auprès d’Oliver Coux et de Moncef Benkirane, mon but étant toujours de comprendre les modifications post- traductionnelles pouvant changer le destin des cellules.
J’ai obtenu mon poste de chargée de recherche Inserm en 2007. J’ai alors intégré l’Institut de Recherche en Cancérologie de Montpellier (IRCM) dans le but de concilier science fondamentale et recherche appliquée dans le domaine du cancer. Je travaille toujours au sein de cette structure extrêmement dynamique. Je collabore en particulier avec les médecins de l’Institut du cancer de Montpellier, ce qui me permet de me rapprocher de leur besoin et de ceux des patients. C’est ce qui nourrit chaque jour ma motivation.
En quelques mots simples, en quoi consiste votre activité professionnelle ? Quel est l’enjeu de votre travail ?
L. L. : Je dirige une équipe de recherche, ce qui induit des responsabilités managériales, administratives et scientifiques. Je donne le cap. Nous levons des fonds auprès des organismes financeurs. Cet exercice que tout chercheur connait nous permet de faire fonctionner le laboratoire et d’avancer nos recherches. Cela prend du temps, beaucoup de temps.
Je valorise nos résultats scientifiques à travers des publications, des interventions en congrès. Enfin, je rends compte à la société, de l’état d’avancement de notre recherche en cancérologie.
Sur un plan plus scientifique, mon objectif est de comprendre le rôle du métabolisme dans le développement tumoral. J’ai décidé depuis quelques années de focaliser mon attention sur les
« sarcomes », cancers rares (moins de 2 % des nouveaux cas de cancers en France) très peu étudiés,
et pour lesquels il n’existe aucun traitement à l’heure actuelle.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
L. L. : Les sarcomes se développent dans les tissus de soutien comme les muscles, la graisse, le cartilage, les vaisseaux sanguins ou lymphatiques, les nerfs ou encore les os. Je cherche à comprendre très schématiquement ce que mange ces cellules cancéreuses pour grossir, évoluer. L’idée de fond est de les priver de cette nourriture pour les éliminer, tout en permettant au reste du corps de continuer à se nourrir.
Mon équipe fait pour partie de la recherche fondamentale afin de comprendre comment se comportent les cellules tumorales sur le plan métabolique, et développe en parallèle une recherche plus appliquée pour trouver de nouvelles méthodes diagnostiques et thérapeutiques contre les sarcomes.
Nous venons récemment de faire une découverte majeure concernant les liposarcomes (Cissé et al., Science Translational Medicine, 2020). Ces tumeurs des tissus adipeux qui se développent très vite, se nourrissent d’un seul acide aminé : la sérine. En bloquant le métabolisme de cet acide aminé, on parvient à tuer les cellules cancéreuses. Nous travaillons à l’heure actuelle au développement de nouveaux traitements basés sur ces résultats.
Quels sont les principaux défis que vous cherchez à relever dans votre métier ?
L. L. : Mon travail en lui-même est un défi permanent : fourmiller d’idées, faire le tri, suivre une hypothèse en allant toujours de l’avant, poser les bases des expérimentations, développer des collaborations, trouver des financements…Il faut avoir un peu l’âme d’un aventurier pour tenter de relever ces challenges, avec ce qu’ils ont de beau et de risqué. Mon plus grand bonheur serait qu’un jour une de mes recherches aboutisse à un traitement qui redonnerait espoir aux patients atteints de cancer.
Qu’appréciez-vous le plus dans votre métier ?
L. L. : Chercher des réponses aux questions que les médecins nous posent par exemple. Être dans le questionnement permanent, passer d’hypothèse en hypothèse, investiguer. Tout cela nourrit ma curiosité.
J’aime également arriver le matin au laboratoire et discuter avec l’équipe des idées qui ont germées durant la nuit. Lire les publications des autres groupes de recherche, avoir des discussions passionnantes avec les chercheurs du domaine sont autant d’éléments qui m’ouvrent l’esprit. Et puis bien sûr, avoir la joie de découvrir des choses que personne n’avait vues ou cherchées auparavant.
J’aime aussi transmettre mon savoir aux nouvelles générations par le biais de l’enseignement et de l’encadrement. Partager mon enthousiasme avec les membres de mon équipe et les voir concrétiser une histoire avec envie, plaisir et motivation est une grande satisfaction pour moi.
Chercheur : un métier engagé que l’on ne peut exercer qu’avec passion…
Les femmes sont sous-représentées dans les domaines de la science, la technologie, l’ingénierie, les mathématiques (Source ONU Femmes). Y’a‑t-il des obstacles à lever dans votre métier lorsque l’on est une femme ?
L. L. : En biologie, il y a une représentation correcte des femmes, et nous voyons de plus en plus de filles parmi les étudiants, ce qui me réjouit. A y regarder de plus près, il y a beaucoup de femmes ingénieures et techniciennes, mais pas assez de chercheuses. Les postes à responsabilités par ailleurs sont encore majoritairement occupés par des hommes. Lorsque les femmes souhaitent passer ce cap, elles doivent se justifier bien plus que leurs homologues masculins et prouver qu’elles sont capables.
Je ne suis pas pour la parité absolue sur les postes à responsabilités, le choix devant se faire avant tout sur la base du parcours, des qualités professionnelles et humaines. Mais le constat est là : le nombre de chefs d’équipe femme est véritablement déséquilibré comparé au nombre de femmes en science.
Au niveau de la société des choses évoluent, mais des idées machistes perdurent. Certains pensent encore qu’il est impossible qu’une femme concilie responsabilités familiales et professionnelles. Je suis mère célibataire de 2 enfants, et j’ai un métier exigeant. Ce n’est pas simple parfois, mais je suis au rendez-vous.
Je pense que nous sommes dans une phase de transition, du moins je l’espère. Il faut avoir confiance en tout cas.
Que représente pour vous la journée internationale des droits des femmes ?
L. L. : L’égalité des sexes reste un sujet en France. Mais, il est des endroits dans le monde où ce droit humain fondamental est encore plus bafoué. Il faut donc continuer à se battre en ayant ces femmes à l’esprit, pour que leurs perspectives d’avenir ne soient pas limitées.
Quels conseils donneriez-vous à une jeune femme souhaitant s’orienter vers le métier de chercheuse ?
L. L. : Si tu es passionnée, pleine de vitalité, que tu as l’esprit d’équipe et l’envie d’avancer, ne te censure pas. Vas‑y. C’est un métier qui peut susciter beaucoup de frustration et qui demande du travail, mais lorsque la réussite est au rendez-vous, quel bonheur !
Si vous n’aviez pas embrassé cette carrière, qu’auriez-vous aimé faire ?
L. L. : Je pense spontanément à deux choses. Médecin légiste tout d’abord, parce que ce métier a des codes similaires à celui de chercheur : analyser une situation, interpréter des résultats, trouver la cause.
Ou alors…cheffe cuisinière, ce qui n’a strictement rien à voir je vous le concède : être au service des gens, leur procurer un peu de bonheur le temps d’un repas, avec le sourire, toujours.
Un mot de la fin ?
L. L. : Passion. Pour moi c’est le mot qui symbolise le plus notre métier. Nous en avons besoin pour faire avancer la science et répondre aux espérances plus que légitimes des patients.
Claudia Pereira
Responsable Communication
Délégation Régionale Inserm Occitanie Méditerranée