Comment en êtes-vous venu à faire de la recherche sur les maladies de l’oeil ?
Frédéric Michon : Au lycée, mon meilleur ami était atteint d’une neuropathie optique congénitale. Je lui ai dit que je chercherai un moyen de le soigner. Cette histoire est certainement restée dans un coin de ma tête.
Après une thèse sur la mise en place des annexes de la peau au sein d’un laboratoire travaillant également sur la cornée, je suis parti en Finlande pour effectuer mon post-doctorat. Mon projet portait alors sur le développement de la dent et ses cellules souches.
En 2012, j’ai monté mon équipe de recherche à Helsinki. Après 10 ans focalisés sur les organes ectodermiques, j’ai décidé d’axer mon travail sur la cornée, ses cellules souches, et son microenvironnement.
C’est sur ce projet de recherche que j’ai obtenu en 2019 un financement ATIP-Avenir qui m’a permis de revenir en France. Mon équipe s’est agrandie…et avec elle notre champ d’activité sur la thématique « œil ».
Les maladies de l’œil sont nombreuses et peuvent toucher différentes structures anatomiques. Sur quoi travaillez-vous précisément ?
F. M. : Il existe des dizaines de pathologies de l’œil, les plus connues étant le glaucome, la dégénérescence maculaire et la cataracte. Lorsque l’on parle de recherche sur l’œil, la rétine est souvent l’élément premier auquel on pense. Pourtant, sans le segment antérieur – cornée, iris, cristallin laissant pénétrer la lumière – et sans le nerf optique conduisant l’information lumineuse jusqu’au cortex visuel, nous ne verrions pas. Mon équipe étudie les désordres ophtalmologiques pouvant toucher ces structures.
Quelles sont les particularités de l’équipe que vous encadrez ?
F. M. : elle est tout d’abord constituée de chercheurs académiques et d’ophtalmologistes, neuro-pédiatres, généticiens du CHU de Montpellier. Ce pont entre recherche fondamentale et clinique permet à notre recherche d’être totalement tournée vers les patients.
Notre équipe a le label ATIP-Avenir. Ce programme est un tremplin pour les jeunes chercheurs. Les équipes créées par ce dispositif sont naturellement de taille modeste. A nous de les faire évoluer. J’ai eu la chance d’être rejoint par des chercheurs et cliniciens passionnés, si bien qu’aujourd’hui nous sommes une vingtaine.
La dernière particularité vient sans doute de mon parcours. Ayant passé 12 ans en Finlande, j’ai une approche très internationale de la recherche. Cette ouverture est primordiale pour le partage de la connaissance.
Cette expérience finlandaise m’a par ailleurs fortement sensibilisé sur la question de l’égalité professionnelle femme-homme. Les valeurs que j’ai apprises là-bas sont au cœur de ma direction d’équipe actuelle.
Vous avez créé une banque de larmes en partenariat avec le service d’ophtalmologie du CHU de Montpellier ? de quoi s’agit-il et pourquoi tenez-vous tant à nous faire pleurer ?
F.M. : Si vous pleurez, vos yeux sont en bonne santé. Les larmes contiennent les facteurs de croissance nécessaires au bon renouvellement de l’épithélium de la cornée. Environ 30% des seniors sont touchés par le syndrome de l’œil sec. Sans larmes, le renouvellement ralentit et progressivement la cornée s’opacifie, allant jusqu’à la cécité.
En collaboration avec le Pr. Vincent Daien, Chef du service ophtalmologie du CHU de Montpellier et membre de notre équipe, nous avons créé une banque de larmes. Dans le cadre de certaines pathologies, nous récupérons les larmes des patients à l’aide de petites languettes de papier absorbant.
Grâce à ce prélèvement non-invasif et indolore, nous déterminons les désordres de facteurs de croissance des larmes afin de les associer à des pathologies. Cela permet d’en savoir plus sur les phénomènes pathologiques affectant la surface de l’œil, menant à de nouvelles voies de diagnostic et de traitement.
Sachant que la cécité cornéenne est la 4ème cause de cécité dans le monde, vous comprendrez que vous faire pleurer est un enjeu de taille pour notre recherche.
Être en lien avec les associations de patients souffrants de désordres oculaires : est-ce une nécessité pour l’avancement de vos projets ? cela donne-t-il du sens à votre travail ?
F. M. : Nous nous sommes rapprochés du service ophtalmologie du CHU de Montpellier, pour que notre travail justement réponde aux besoins les plus urgents des patients. Deux des cliniciens de l’équipe sont impliqués en ce moment même dans des essais cliniques importants pour la qualité de vie de ceux souffrent de pathologie de l’œil.
Au-delà de donner du sens à notre travail, le lien avec les patients est un moteur. Nos échanges avec eux sont riches : nous entendons leurs attentes, et pouvons très directement leur faire part de l’avancée de nos travaux. On est un peu dans un système de recherche participative, où le patient est un acteur à part entière du travail réalisé dans le laboratoire.
Greffe de cellules souches, thérapie génique, implants bioniques : autant de techniques révolutionnaires dont on entend de plus en plus parler. Pouvez-nous nous aider à faire le point ?
F. M. : Chaque structure de l’œil peut être affectée par une ou plusieurs pathologies. Chaque pathologie aura un ou plusieurs traitements possibles. Prenons l’exemple de quatre structures différentes :
La cataracte est une opacification du cristallin. Son remplacement par un implant synthétique permet de retrouver une vue claire. Cette opération bien supportée permet par exemple de reconduire la nuit.
En ce qui concerne les atteintes cornéennes, lorsque les traitements médicamenteux ne fonctionnent plus, le dernier recours est la greffe. Par manque de donneurs, des approches alternatives sont à l’étude. Alors qu’il existe des implants synthétiques en phase d’essais cliniques, les avancées en biologie cellulaire et moléculaire nous permettent d’envisager la greffe de cellules souches cornéennes dérivées du patient (technologie iPS, qui a donné lieu à un Prix Nobel en 2012). Cette technologie, qui permet de s’affranchir du risque de rejet, est aussi envisagée pour la réparation de la rétine.
Réparer une rétine endommagée reste difficile, du fait de la complexité de sa structure, et du type cellulaire atteint. Trois voies sont étudiées :
- la technoloqie iPS. Quelques essais cliniques ont été effectués, malheureusement sans grand succès.
- L’approche de thérapie génique, très prometteuse : au printemps 2021, un essai de thérapie génique, promu par un consortium international conduit par l’Institut de la Vision, le centre hospitalier des Quinze-Vingts, à Paris, a permis à un patient aveugle de recouvrer la perception de la lumière, ce qui est incroyablement enthousiasmant.
- les implants bionique, sous la forme de capteurs de caméra miniaturisés capable de transmettre l’information au cortex visuel. Là aussi, des patients aveugles retrouve la perception de la lumière, mais les formes ont la définition de l’implant. C’est comme voir une photo ayant au maximum 300 pixels, alors qu’il en faut le double pour voir autre chose que des carrés lumineux.
Enfin, la dernière structure est le nerf optique. En coupant la communication entre l’œil et le cerveau, aucune image ne se forme. Des approches de thérapies géniques sont en cours d’évaluation, et semble être plus adaptées que les thérapies cellulaires ou l’implant synthétique.
Pour résumer, chaque élément de l’œil, de par sa physiologie et sa structure, a une ou plusieurs voies de recherche thérapeutique, mais toutes les thérapies ne seront pas adaptables à chaque élément.
Pensez-vous parvenir un jour à rendre la vue à ceux qui l’ont perdue ?
F. M. : Rendre UNE vue serait plus réaliste que rendre LA vue. Pour les patients souffrant de cécité totale, les derniers essais d’implants ont montré un début de restauration de la capacité de voir des formes, en noir et blanc.
A l’avenir, les progrès de la physique et de l’électronique permettront de lever les limitations technologiques. D’ici 10 – 15 ans je pense, les avancées en thérapies « biologiques » couplées à la miniaturisation des implants bioniques permettront de recouvrer une forme de vue. Sur le long terme, la cécité ne sera plus qu’un mauvais souvenir. Je l’espère en tout cas.
Vous aimez la photo. Pouvez-vous nous montrer un cliché qui vaut le coup d’œil ? Dites-nous pourquoi ?
F. M. : c’est une photo de mon fils le plus jeune faisant ses premières armes avec mon appareil photo. Ce cliché symbolise je crois le sens de mon engagement dans la recherche : Fournir aux prochaines générations de scientifiques le savoir-faire pour développer les traitements qui répondront aux besoins des patients, est une mission importante. Cette photo a un an, et depuis, mon fils a son propre appareil photo, et un style bien à lui.
Depuis mon retour en France, j’ai deux étudiantes qui ont soutenu leur thèse, et quatre autres qui ont commencé leurs travaux. Tout comme mon fils me montre de nouvelles techniques peu orthodoxes dans la prise de photos, chaque membre de l’équipe, quel que soit son niveau, apporte son point de vue, ses idées. Ces prismes différents ouvrent de nouvelles perspectives de recherche de traitements.
Liens utiles :
Site de l’Institut des Neurosciences de Montpellier
Vidéo « Tu cherches – Trouves-tu » de Frédéric Michon
Crédit photo : Frédéric Michon