Quel poste occupez-vous au sein de l’Inserm ?
Ana-Maria Lennon-Duménil : Je suis chef d’équipe Inserm depuis 2004 et, aujourd’hui, sur le point d’assumer la direction de notre unité « Immunité et cancer » (Unité Inserm 932) qui se trouve à l’Institut Curie, à Paris. C’est une unité de taille importante puisqu’elle compte 130 personnes. Sebastian Amigorena, qui a dirigé l’unité jusqu’à aujourd’hui, souhaitait passer la main.
Vous allez donc vous consacrer à la gestion de l’unité ?
A‑M. L‑D. : Pas seulement. Je dirige l’équipe « Dynamique spatio-temporelle des cellules du système immunitaire » au sein de l’unité.
Et heureusement ! Abandonner mes travaux serait la pire des punitions. Je vais continuer à diriger les recherches menées par mon équipe tout en faisant mon travail de directeur d’Unité.
Quel a été votre parcours ?
A‑M. L‑D. : Je suis chilienne et je suis arrivée en France à l’âge de 4 ans. À 18 ans, je suis retournée avec mes parents au Chili. J’y ai obtenu une maîtrise de sciences mention biologie. De retour en France, j’ai passé un DEA « génétique humaine » puis j’ai conduit ma thèse en immunogénétique à l’Institut Pasteur. En 1999, je suis allée à l’université d’Harvard à Boston afin d’y effectuer mon post-doctorat. Je suis revenue en France en 2003 pour intégrer l’Inserm dans l’unité dirigée par Christian Bonnerot et Sebastian Amigorena à l’Institut Curie. Un an plus tard, j’y créais ma propre équipe de recherche pour y conduire mes propres travaux qui portaient et portent encore aujourd’hui sur la biologie cellulaire des cellules présentatrices d’antigènes, les cellules dendritiques et les lymphocytes B. En résumé, la biologie cellulaire des cellules du système immunitaire.
Créer une équipe aussi rapidement, c’était rare ?
A‑M. L‑D. : À l’institut Curie, Daniel Louvard avait instauré une politique qui consistait à donner aux jeunes rentrant de post-doctorat l’opportunité de monter leur propre équipe de recherche pour y développer leurs idées. À l’époque, c’était un fonctionnement courant à l’étranger mais pas encore répandu en France. Aujourd’hui, c’est un mode de fonctionnement très largement adopté. Cela participe à la diversité de la recherche et ça l’enrichit. Je n’ai donc eu qu’à être entendue par le conseil scientifique de l’Institut Curie pour créer mon équipe.
Être une femme ne semble pas vous avoir causé de problème durant votre parcours ?
A‑M. L‑D. : C’est vrai. Je ne me suis jamais sentie discriminée parce que femme. En général, dans ma vie, je ne me suis jamais sentie diminuée ou inférieure parce que femme.
La société n’est pourtant pas toujours allée dans ce sens ?
A‑M. L‑D. : C’est quelque chose qui s’inscrit dans l’éducation, je pense. Mes parents ne m’ont jamais fait sentir une quelconque infériorité du fait d’être une fille. De ce fait, je ne me suis jamais vraiment posé la question par la suite. Je m’estime chanceuse de ce point de vue là. Mais j’ai bien conscience qu’autour de moi, des femmes se sentent discriminées et à juste titre : elles accèdent moins souvent aux postes de responsabilité et même si elles y accèdent, elles sont moins payées. Cela doit évidemment cesser. C’est inadmissible que des femmes soient moins rémunérées que des hommes à niveau de compétences et responsabilités égales.
Quelles solutions pour améliorer cela ?
A‑M. L‑D. : Il faut prendre l’habitude d’avoir des populations mixtes au travail, de la parité. C’est aussi valable dans des milieux essentiellement féminins. La mixité est une clé pour un meilleur fonctionnement du collectif, pour plus de tolérance et pour le mieux vivre ensemble. Le collectif a tout à gagner avec la diversité en général et la diversité des genres en particulier.
Est-ce que cela doit nécessiter la mise en place de quotas ?
A‑M. L‑D. : Je ne suis pas sûre. Si cela passe par des quotas, se poserait alors la question de la légitimité. Les femmes qui accèdent aux postes à responsabilité doivent se sentir légitimes. Or, les quotas n’y contribueraient sans doute pas. Peut-être que cela devrait plutôt passer par des encouragements à prendre et à réclamer ces postes. Notamment quand une femme et un homme sont en lice.
Y compris à l’Inserm ?
A‑M. L‑D. : les postes de direction n’y sont pas bien répartis entre les femmes et les hommes. Mais ce n’est pas forcément de la faute de l’institution. Culturellement, les femmes ont moins tendance à demander des postes de direction. C’est pourquoi la responsabilité des institutions est de les encourager.
Pourquoi cette réticence ?
A‑M. L‑D. : Je n’ai pas les réponses, il y en a probablement plusieurs. C’est un fait que les femmes ressentent souvent moins le besoin d’accéder aux postes de pouvoir. A quoi est-ce dû ? Est-ce que c’est parce qu’elles n’ont pas l’habitude d’avoir ces postes et qu’elles ne les envisagent donc même plus ? Est-ce que c’est notre culture uniquement qui les poussent vers ça, ou existe-t-il aussi des raisons plus profondes, d’ordre inné ? C’est un problème complexe car femmes et hommes sont différents aussi bien physiquement que dans leur comportement. En tant que scientifique, je pense que ce serait à étudier. Il est certain, toutefois, que cette moindre envie s’inscrit au moins en partie dans notre éducation et à une pratique culturelle et sociale. Il faut en prendre conscience pour que ça puisse changer.
Quid de votre expérience concernant la direction d’une unité ?
A‑M. L‑D. : Cela fait des années que notre collègue est directeur d’unité. Nous l’avons toujours encouragé à renouveler son mandat car il faisait très bien son travail de directeur. Quelque part cela nous arrangeait, aussi bien les hommes que les femmes. Nous sommes quatre femmes et quatre hommes responsables d’équipe dans l’unité. Pour moi, être directrice d’unité n’était pas un objectif de carrière. Un tel poste à mes yeux signifiait plus d’administratif et moins de science. Ma candidature s’est toutefois avérée être la plus évidente. Et depuis que je sais que je vais prendre cette fonction, j’en suis très contente et je fourmille d’idées. Avant, je n’y pensais même pas. Alors, sans doute que je réprimais cela. Peut-être qu’inconsciemment, il y a des choses que nous ne prenons pas en compte, comme l’idée de prendre des postes à responsabilités.
Qu’est-ce qui empêcherait ces pensées ?
A‑M. L‑D. : Dans la société, le collectif ne vous encourage pas à le faire parce que vous n’avez pas vu votre mère ou votre grand-mère le faire… Ce n’est pas parce que vous n’en avez pas envie mais c’est sans doute parce qu’il y a quelque chose qui ne laisse jamais émerger cette envie. Il faut laisser ces envies émerger. Pour ce faire, il y a l’éducation d’une part et aussi l’encouragement de la part des employeurs d’autre part.