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Hyperacousie : un fléau invisible qui casse les oreilles

L’hyperacousie ou hypersensibilité auditive est un handicap qui ne se voit pas, mais qui affecte pourtant profondément le quotidien des personnes atteintes. Une cuillère qui tombe ou un verre qui cogne une assiette sont des bruits si insupportables que les personnes souffrant d’hyperacousie en sont réduites à manger avec des couverts en plastiques et dans des assiettes en carton. Quelles sont les causes de cette gêne auditive? Comment la soigner ou s'en préserver ? Faisons le point avec Jean-Luc puel, responsable de l'équipe "Surdité, Acouphènes et Thérapies » à l'Institut des Neurosciences de Montpellier.

Occitanie Méditerranée
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L’hyperacousie, qu’est-ce que c’est ?

Jean-Luc Puel : L’hyperacousie est une sensation d’intolérance aux sons ou à des bruits jugés pourtant tolérables par l’entourage. A ce jour, il n’y a pas eu d’étude de la prévalence de l’hyperacousie en France. On estime qu’il pourrait y avoir 10 millions de personnes exprimant une intolérance aux bruits : 600 000 touchées dans les formes plus ou moins modérées et 1200 dans les formes les plus sévères.

Les personnes atteintes d’hyperacousie sont sensibles aux sons quotidiens ordinaires tels que la musique ou les sons mécaniques. Cette sensation auditive peut toucher les deux oreilles pour 80 % des personnes atteintes, ou une seule. L’âge moyen des personnes atteintes est de 43,9 ans ± 15 ans (1). Dans 45 % des cas, cette sensation de sons trop forts est accompagnée de douleurs au niveau de l’oreille (2). Généralement, ces otalgies cessent quand la personne retrouve un environnement sonore confortable.

Quelles sont les causes de l’hyperacousie ?

J.L. P. : Les mécanismes à l’origine de ce phénomène restent mal compris. Il pourrait s’agir d’une mauvaise adaptation du cerveau en réponse à la surdité. Ces mécanismes adaptatifs sont un phénomène connu. En effet, le cerveau s’adapte en permanence en fonction de l’environnement. Lorsque l’on passe de l’obscurité à la lumière, on est ébloui et il faut un temps pour s’habituer à la pénombre. Pour le système auditif c’est pareil : la sensibilité aux sons est augmentée après le port prolongé de bouchons d’oreilles, alors que le port de générateurs de bruit la diminue.
Dans le cas de l’hyperacousie, le gain auditif central pour compenser la surdité serait inadapté, trop important. Le même mécanisme a d’ailleurs été proposé pour expliquer certains acouphènes. L’hyperacousie pourrait donc être une des complications des acouphènes et générer une intolérance aux bruits. 40 à 79 % de personnes atteintes d’acouphènes souffrent ou ont souffert d’hyperacousie. Les personnes ayant développé des otites durant l’enfance sont moins tolérantes au bruit à l’âge adulte.

Autre cause, la migraine : l’hypersensibilité aux bruits augmente de 60 à 100% durant les crises. Les troubles de l’articulation temporo-mandibulaire ou des paralysies faciales sont également des causes évoquées.

Quels sont les symptômes de l’hyperacousie ? 

J.L. P. : Dans l’immense majorité des cas, l’hyperacousie est liée à une surdité. Il est donc faux de penser comme on l’entend parfois que l’audition d’une personne souffrant d’hyperacousie est supérieure à la normale. Il ne faut pas non plus confondre l’hyperacousie avec :

  • la phonophobie ou la peur des sons forts, qui se traduit par des crises d’angoisse face à des bruits inattendus ;
  • la misophonie ou la peur d’être exposé à certains bruits liés à une expérience négative : bruit de mastication, cliquetis de l’ordinateur, tapotement des doigts.

Dans les deux cas, les voies auditives sont tout à fait normales et la réaction émotionnelle aberrante est créée par le système limbique et le système nerveux autonome.

Comme les acouphènes, l’hypersensibilité au bruit est le témoin d’une lésion et/ou d’un dysfonctionnement de l’oreille interne et des centres auditifs. On pourrait la qualifier de « douleur auditive ». Les sons semblent anormalement forts ou désagréables, voire douloureux. Cette douleur peut s’accompagner d’autres manifestations tels qu’une sensation de brûlure autour ou dans l’oreille, un engourdissement, une sensation de flottement ou une vibration du tympan, une douleur irradiant dans la face autour de l’articulation temporo-mandibulaire ou dans le cou, ou encore une fatigue anormale. Les patients atteints d’hyperacousie décrivent également souvent des troubles de l’équilibre, ou des instabilités accompagnées parfois de nausées.

Comment diagnostique-t-on l’hyperacousie ?

J.L. P. : On utilise l’audiométrie tonale. Elle permet de déterminer les seuils auditifs, c’est-à-dire les sons les plus faibles perçus par le patient pour évaluer les pertes auditives. Elle permet aussi de mesurer le seuil d’inconfort pour les différentes fréquences testées. Ce seuil d’inconfort correspond à l’intensité en décibels (dB) à partir de laquelle la perception devient désagréable pour le patient. Il se situe chez une personne normale aux alentours de 100 dB. Chez les patients souffrant d’hyperacousie, il peut descendre jusqu’à 60 dB. 

L’hyperacousie étant assimilée à une douleur, les échelles visuelles analogiques sont aussi couramment utilisées. Il suffit de demander à la personne atteinte de situer l’intensité de son hyperacousie sur une échelle de 0 « pas de gêne » à 10 « une gêne très profonde » sans lui montrer les correspondances de niveau de gravité. Enfin, il existe des questionnaires d’évaluation de la gêne et de la détresse engendrées par l’hyperacousie.

Existe-t-il un terrain favorable pour développer une hyperacousie ?

J.L. P. : En théorie, l’hyperacousie peut toucher toutes les classes d’âge, même les enfants. Elle touche toutefois principalement les adultes. Parmi les populations à risques, il y a les personnes exposées au bruit. Une étude de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie et de l’Institut de Veille Sanitaire effectuée cinq ans après l’explosion de l’usine AZF à Toulouse sur un échantillon de 3006 personnes, montre que 26 % des hommes et 35 % des femmes exposés ont souffert d’hyperacousie.

Les musiciens sont une population particulièrement à risques. L’hyperacousie serait quatre fois plus fréquente chez les musiciens que dans la population générale. Elle semble davantage toucher les femmes que les hommes. Une étude danoise réalisée chez des musiciens d’orchestres symphoniques montre que 25 % d’entre eux se plaignent d’hyperacousie dont 31 % de femmes et 21 % d’hommes.


Autre terrain favorable, les centres d’appels téléphoniques. Un tiers des opérateurs décrivent des douleurs aux oreilles, des acouphènes, des troubles de l’équilibre et de l’hyperacousie, principalement dus à des larsens. Ces sifflements dans les casques sont suffisamment intenses pour provoquer un traumatisme sonore de l’oreille(3).

© Freepik

La prévalence de l’hyperacousie est également plus importante chez les autistes. Une étude menée chez des enfants et adolescents autistes sans perte auditive montrent que 63 % d’entre eux ne supportaient pas l’écoute de sons supérieurs à 80 dB HL contre 27 % pour le groupe témoin(4). Dans le syndrome d’Asperger, la prévalence de l’hyperacousie est de 69 %.

Quelles sont les conséquences quotidiennes de ce trouble de l’audition ?

J.L. P. : L’hyperacousie a un impact social considérable. Les personnes atteintes se sentent mal à l’aise dans le bruit et présentent des difficultés de concentration. Cette souffrance auditive induit du stress. Les symptômes sont en général transitoires et disparaissent après quelques heures. Mais dans certains cas, ils peuvent devenir chroniques et générer des troubles psychologiques comme l’anxiété, dépression ou la peur du bruit.

Dans les cas les plus sévères, la perception du bruit peut être tellement forte que les personnes doivent fuir ou porter des bouchons de protection. Avec le temps, elles s’isolent, perdent toute la vie sociale. Si l’environnement sonore professionnel est supérieur à leur seuil d’inconfort, elles peuvent perdre leur emploi. L’hyperacousie est une pathologie difficile et lourde de conséquence entrainant des troubles anxieux et de la dépression qui peuvent conduire à des comportements suicidaires.

Quels sont les traitements existants contre ce symptôme incommodant et handicapant ?

J.L. P. : La première thérapie est bien sûr de se protéger du bruit, mais uniquement dans les environnements à risque (concert, chantier, chasse…). Il est conseillé de laisser le système auditif au calme pour qu’il récupère. Il ne faut pas pour autant s’isoler, ni se boucher les oreilles en permanence. Au contraire, une privation sensorielle excessive risquerait d’augmenter les symptômes.

Outre la prévention, il existe des techniques pour reprogrammer les voies auditives et diminuer l’hyperactivation cérébrale à l’origine de l’hyperacousie (même mécanisme que pour un acouphène). Le principe est d’exposer progressivement le patient au bruit, en contrôlant l’intensité de son environnement sonore. On peut utiliser des sons naturels (bruit de l’océan, de l’eau qui coule) des bruits colorés (bruit blanc, bruit rose) ou filtrés en fonction de la perte auditive suivant une procédure adaptée au patient. Cette rééducation peut se faire à l’aide d’un appareil auditif obturant complètement l’oreille. 

A cela peut s’ajouter une prise en charge émotionnelle avec des techniques de psychothérapie comme la thérapie comportementale et cognitive (TCC) ou la sophrologie pour apprendre à gérer l’anxiété. Pour les cas les plus graves, des traitements médicamenteux à base d’antidépresseurs, d’anxiolytiques ou de neuroleptiques peuvent être proposés.

Peut-on venir totalement à bout d’une hyperacousie ?

J.L. P. : A proprement parler, l’hyperacousie ne se soigne pas. Il n’existe pas de médicament ni d’intervention chirurgicale miracle pour faire disparaître totalement ce trouble. Exposer progressivement les patients au bruit ou consulter un psychologue ne suffisent pas pour guérir l’hyperacousie. En revanche, ce type de prise en charge permet de casser la relation négative, voire phobique que le patient entretient avec les sons modérés ou forts. Sa qualité de vie s’en trouve améliorée.

Quelles sont les dernières grandes évolutions sur le sujet en matière de recherche ?

J.L. P. : Il y a un travail de recherche important sur les processus adaptatifs du cerveau auditif permettant le rééquilibrage des connexions neuronales nécessaires pour optimiser les performances et le comportement dans des environnements sonores variants sans cesse.
Ces études portent sur toute la voie auditive, du nerf cochléaire en passant par les noyaux du tronc cérébral jusqu’au cortex cérébral et les structures non auditives, comme l’amygdale impliquée dans les émotions ou l’hippocampe impliquée dans la mémoire.
Elles démontrent une variété de mécanismes cellulaires et moléculaires opérant dans le cadre de troubles auditifs, qu’il s’agisse de pertes de cellules sensorielles, de traumatismes sonores, de prises de médicaments ototoxiques ou de surdités liées à l’âge. Ces mécanismes incluent des changements dans les réseaux excitateurs, inhibiteurs et neuromodulateurs dans les divers relais de la voie auditive, des altérations fonctionnelles de l’expression des gènes et des niveaux de protéines, ainsi que des perturbations des processus cognitifs et comportementales.

Des études sur un modèle expérimental d’hyperacousie chez l’animal ont montré une suractivation d’un sous-ensemble particulier de neurones très synchronisés du colliculus inférieur qui utilise le glutamate et l’acide γ‑aminobutyrique (GABA). Une hypothèse est que ces deux substances sont sécrétées de manière déséquilibrée. Si c’est le cas, on pourrait proposer un traitement pour rétablir l’équilibre.

Une autre étude chez le jeune rat montre qu’une altération précoce de la membrane tympanique induit une hyperacousie réversible de 2 semaines chez 80 % des animaux testés. Ici encore, on note une suractivité dans le colliculus inférieur qui disparait après une une injection de vigabatrine connue pour miner l’action du GABA (5) . Ces différentes études offrent les espoirs de futurs nouveaux traitements.


1 Sheldrake et al., Frontiers in Neurology 2015 : 6(105):1 – 7
2 Jüris et al., Behav Res Ther. 2014 Mar;54:30 – 7
3 Wescott, Acta Otolaryngol Suppl, no 556, 2006, p. 54 – 8
4 Khalfa, Hear Res. 2004 Dec;198(1 – 2):87 – 92
5 Sun et al., Hear Res. 2011 Dec ; 282(1 – 2): 178 – 183.