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Les acouphènes : causes, symptômes…et espoir ?

Les acouphènes sont un problème majeur de santé publique. Quels sont les facteurs responsables de leur apparition ? Y-a-t-il des populations plus à risques que d'autres ? Existe-t-il des traitements efficaces ? Faisons le point avec Jean-Luc Puel, responsable de l'équipe "Surdité, Acouphènes et Thérapies » à l'Institut des Neurosciences de Montpellier.

Occitanie Méditerranée
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L’acouphène, ce bruit que l’on entend sans qu’il existe réellement – ©Adobe Stock

Qu’est-ce qu’un acouphène et quels sont les premiers signes annonciateurs ?

Jean-Luc Puel : Les acouphènes sont une perception auditive en l’absence de toute stimulation sonore extérieure. Le son perçu peut ressembler à un sifflement ou à un bourdonnement, ressenti dans la tête ou dans l’oreille, d’un seul côté ou les deux. Pour les décrire les patients les comparent à une ruche d’abeilles, au cliquetis de la montre, à une cocotte-minute, une ligne électrique à haute tension, etc.

Quand les sifflements durent quelques minutes, ce n’est généralement pas grave. Ces manifestations n’appartiennent pas à la catégorie des acouphènes. Lorsqu’ils apparaissent brutalement et qu’ils durent plusieurs heures par jour, on parle d’acouphènes aigus. Ils peuvent être temporaires et disparaitre dans les quelques heures, voire les quelques semaines qui suivent leur apparition. Au-delà de 3 mois, on parle d’acouphènes chroniques. Ils peuvent être permanents ou fluctuants au cours de la journée, plus forts au réveil ou à l’endormissement par exemple. Ils peuvent également être intermittents : un jour oui, un jour non.

Quels sont les facteurs responsables de l’apparition des acouphènes ?

J.-L. P. : La presbyacousie ou surdité liée à l’âge est la cause la plus importante du déclenchement des acouphènes. Les facteurs actuellement connus favorisant la presbyacousie sont l’exposition au bruit, le tabagisme, la prise de certains médicaments, l’hypertension artérielle, l’hypercholestérolémie, et les facteurs génétiques. Les formes les plus graves affectent la communication et contribuent à l’isolement social, à la dépression, et éventuellement à la démence(1). Parmi les sujets les plus âgés, la proportion de personnes se sentant handicapées dans leur vie quotidienne pourrait atteindre 24 à 45%(2).

Un autre facteur déclenchant est l’exposition accidentelle, fréquente ou continue à des bruits de niveaux élevés dans le milieu professionnel ou les lieux de loisir. Dans 23,6% des cas, les acouphènes sont associés à un traumatisme sonore chronique résultant d’activités professionnelles(3). Les principales catégories professionnelles concernées évoluent dans les domaines de l’industrie, de la manufacture, de l’agriculture : travail du bois, de l’acier, des minéraux, mécanique, pneumatique, tissage, broyage, concassage, utilisation d’explosifs.

Y‑a-t-il des populations plus à risque que d’autres ?


J.-L. P. : Oui. Celles exposées à de la musique amplifiée (concert rock : 53%, discothèque : 35%, port prolongé de casques ou d’écouteurs : 12%). Cette population est plus jeune que celle des patients consultant généralement pour des acouphènes.
Quand on interroge des disc-jockeys âgés en moyenne de 26 ans, et travaillant dans une discothèque 3 nuits par semaine, les trois quarts déclarent souffrir d’acouphènes(4).

© Adobe Stock

Viennent ensuite les militaire et les chasseurs qui manipulent des armes à feu (16,2%) avec une prédominance des acouphènes du côté gauche, suivis par les patients traumatisés par les alarmes (14%), les outils de bricolage (11,6%), voire les soins médicaux (dentaires ou autres : 9,3%).

Les traumatismes physiques (barotraumatisme, traumatisme crânien) sont également la cause de certains acouphènes, au même titre que certains phénomènes vasculaires ou infectieux.

S’ajoute à cela, certains médicaments ototoxiques comme certains diurétiques ou antipaludéens à base de quinine.

Quelles sont les gênes majeures occasionnées par les acouphènes ?

J.-L. P. : Une enquête publiée en 2021 et réalisée entre 2017 et 2018 auprès de 11 427 adultes âgés de plus de 18 ans appartenant à 12 pays de l’Union européenne(5) a mis en évidence une prévalence des acouphènes de 14.7%(6). Dans cette cohorte, 1.2% des personnes interrogées déclaraient leurs acouphènes comme très invalidants. La France se situe dans cette moyenne.

La présence d’acouphènes entraîne des modifications notables du comportement et une détérioration très nette de la qualité de vie. Irritabilité, tension, inquiétude, dégradation du sommeil sont fréquemment décrites par les patients eux-mêmes et par leur entourage. Les acouphènes ont un impact délétère sur les relations intrafamiliales, en particulier à cause des difficultés de compréhension du problème par l’entourage.

Comment mesure-t-on la gêne engendrée par les acouphènes ?

J.-L. P. : A l’aide de questionnaires. Le plus fréquemment utilisé est le Tinnitus handicap inventory (THI). Le patient est interrogé sur les conséquences des acouphènes dans sa vie quotidienne : « le soir, avez-vous du mal à trouver le sommeil à cause de vos acouphènes ? », « Êtes-vous souvent irritable, avez-vous du mal à lire à cause de vos acouphènes ? ». Le patient répond à chaque question par « oui », « parfois » ou « non ». Le score obtenu donne un niveau d’impact des acouphènes : léger, faible, moyen, sévère ou catastrophique.

Il existe d’autres questionnaires pour évaluer le handicap, le Tinnitus handicap questionnaire (THQ) ou la sévérité, Subjective tinnitus severity scale (STSS). Ces questionnaires sont principalement utilisés dans les études de recherche clinique.

Dans la pratique courante, un ORL utilise plutôt des échelles visuelles analogiques (EVA), créées à l’origine pour évaluer la douleur. Il demande au patient de noter sur une échelle de 1 à 10 la puissance de l’acouphène ou intensité subjective et le niveau de gêne. On remarque qu’il n’y a souvent pas de corrélation entre les deux(7) .

Comment traite-t-on les acouphènes ? Ces sensations auditives pénalisantes disparaissent-elles totalement ?

J.-L. P. : Il faut d’abord déterminer l’origine des acouphènes. On réalise dans un premier temps un bilan audiologique pour évaluer l’audition et vérifier le fonctionnement du système auditif. Si besoin, on poursuit les investigations en recherchant des signes cliniques ou neurologiques évoquant d’autres pathologies pas nécessairement liées au système auditif : neurinomes, problèmes cervicaux, hypertension intracrânienne. L’éventail des possibilités est large. La découverte d’une de ces pathologies pourra parfois donner lieu à un traitement par voie chirurgicale ou médicamenteuse, et contribuer ainsi à limiter l’acouphène. Mais le plus souvent, les dommages ne peuvent pas être réparés, notamment lorsque les cellules auditives de l’oreille interne sont détruites. Il faut alors vivre avec son acouphène.
Les prothèses auditives sont souvent proposées pour restaurer l’audition et soulager les acouphènes. Elles améliorent la communication et détournent l’attention des patients, diminuant aussi les symptômes souvent associés aux acouphènes, comme le stress ou l’anxiété.

Et tout ce qui a trait aux thérapies cognitives et comportementales (TCC) ?

J.-L. P. : Ces dernières ne visent pas à réduire l’acouphène, mais plutôt à modifier la réaction du patient face à ce bruit qui l’envahit et l’obsède. Plusieurs méta-analyses ont montré l’efficacité des TCC à moyen et long terme dans la prise en charge des patients acouphèniques. C’est certainement à ce jour la technique thérapeutique la plus efficace pour soulager la souffrance ressentie et limiter la prise de médicaments psychotropes.

Les personnes souffrants d’acouphènes peuvent-elles espérer à court-moyen terme bénéficier d’un traitement curatif ou…le chemin est encore long ?

J.-L. P. : De nombreuses pistes thérapeutiques sont explorées pour soulager les patients, ou même supprimer durablement les acouphènes. Des chercheurs du Karolinska Institute ont constaté que certains acouphènes pourraient être héréditaires. Si tel est le cas, on pourrait utiliser la thérapie génique pour remplacer ou réparer le gène défectueux.

Autre piste de recherche : produire de nouvelles cellules ciliées à partir de cellules de soutien restantes en réactivant une voie de différenciation ou en greffant des cellules souches afin qu’elles se différencient en cellules sensorielles. Hormis la difficulté de cibler les régions de la cochlée endommagées, les cellules « réparées » ou « transplantées » devront s’insérer correctement au sein d’un épithélium sensoriel très structuré. Un premier essai de thérapie génique a été lancé auprès d’une quarantaine de sourds profonds en octobre 2014 aux États-Unis. Objectif : obtenir la régénération des cellules ciliées. Malheureusement, aucun résultat n’a encore été publié.

Des essais de stimulation magnétique transcrânienne ont également été réalisés

J.-L. P. : En effet, cette stratégie vise à utiliser les stimulations magnétiques pour provoquer la réorganisation du cortex auditif et réduire les acouphènes. Les résultats obtenus jusqu’ici ne sont malheureusement pas convaincants. Des stimulations électriques ont également été testées dans le même objectif. Nécessitant l’implantation d’électrodes dans le cerveau, cette technique a été abandonnée car les acouphènes revenaient chez les quelques patients implantés.

Faute de mécanismes clairement identifiés, de nombreuses molécules commercialement disponibles ont été expérimentalement testées, et certaines font d’ores et déjà l’objet d’essais cliniques. Les molécules ou les médicaments testés visent à moduler l’activité de la voie auditive, à réduire l’anxiété et les symptômes associés. Cependant, pour être utilisé dans la pratique courante et prescrit par un médecin, un médicament doit passer un certain nombre d’étapes de validation en double aveugle, dans lesquelles ni les patients, ni les investigateurs ne savent si le traitement contient ou non la molécule testée. A ce jour, aucune molécule testée n’a vraiment fait preuve de son efficacité.

En conclusion

J.-L. P. : L’Exploration de toutes ces pistes de recherche est une bonne nouvelle pour les patients. Face à la diversité des situations liées à la problématique des acouphènes, il est probable qu’une solution unique de traitement ne pourra pas s’imposer. C’est en partie dû à la faiblesse des modèles expérimentaux, probablement trop simples pour refléter la réalité clinique complexe des acouphènes. Ce n’est qu’au prix d’un phénotypage long et difficile, que s’enrichiront nos connaissances et que nous pourrons trouver des molécules répondant efficacement à tel ou tel type d’acouphène.

Les découvertes fondamentales dans le domaine des neurosciences et l’apport du Big data dans le monde ORL, et plus largement en médecine, sont autant de connaissances qui permettront à l’avenir de proposer une médecine efficace et personnalisée adaptée aux acouphènes de chaque patient. 
Jean-Luc Puel
Responsable de l’équipe « Surdité, Acouphènes et Thérapies » – INM

1 Jayakody et al., Front Neurosci, 2018. 12 : p. 125
2 Sindhusake et al., Int J Audiol, 2003. 42(5): p. 289 – 94
3 Nicolas-Puel et al., Int Tinnitus J, 2006. 12(1): p. 64 – 70
4 Potier et al., Ear Hear, 2009. 30(2): p. 291 – 3
5 Bulgarie, Angleterre, France, Allemagne, Grèce, Irlande, Italie, Lettonie, Pologne, Portugal, Roumanie et Espagne
6 Biswa et al., The Lancet Regional Health- Europe 2022;12 : 100250
7 Peltier et al., PLoS ONE 2012, 7(12) : e5191