Dans le cadre de l’action Elles/Ils sont l’Inserm, Carole Rovère, chargée de recherche Inserm au sein de l’Institut de Pharmacologie Moléculaire et Cellulaire (IPMC – Université Côte d’Azur / CNRS), apporte son témoignage sur la parité femmes/hommes à l’Inserm. Elle revient sur son parcours en tant que femme, sa quête d’un équilibre entre vie personnelle et professionnelle et sa passion pour l’enseignement et la vulgarisation scientifique, encore trop peu valorisée.
Pouvez-vous vous présenter brièvement ainsi que les projets qui vous occupent actuellement ?
Je suis chargée de recherche (CR) Inserm au sein de l’IPMC sur le site de Sophia Antipolis. Je travaille dans une équipe intitulée « Génomique et Évolution en NeuroEndocrinologie (GENE) dirigée par le docteur Jean-Louis Nahon, également directeur de l’institut depuis le dernier quinquennat HCERES. Je m’intéresse aux dérégulations du comportement alimentaire et notamment comment le cerveau peut être responsable de ces dérégulations, à savoir la perte de poids ou l’obésité. Je gère un petit groupe dans l’équipe GENE constitué de quatre à huit personnes, selon le nombre d’étudiants (BTS et Master), de doctorants et post-doctorants que les financements nous permettent d’accueillir.
Pouvez-vous revenir sur votre parcours ?
Je ne voulais pas faire de longues études. Ce qui est réussi puisque je suis allée jusqu’au doctorat ! En revanche, j’ai toujours voulu faire de la biologie. J’y suis allée petit à petit, pas à pas. Au départ, j’ai fait un bac technologique dédié aux sciences de laboratoire (STL), appelé auparavant F7’. J’ai enchaîné sur un BTS d’Analyses Biologique à Cannes, puis une licence de biochimie et un Master de pharmacologie à la Faculté de Sciences Valrose de Nice. J’ai poursuivi en doctorat en neurosciences à l’IPMC. J’ai beaucoup hésité avant de me lancer, mais étant donné que j’étais passionnée par mon domaine de recherche, je me suis jetée à l’eau. Et finalement, après deux ans de post-doc à Montréal, j’ai décroché un poste de Chargée de Recherche à l’Inserm dans le laboratoire dans lequel j’avais fait ma thèse. J’ai créé mon petit groupe depuis 2001 au sein de l’équipe du Dr Nahon. J’apprécie particulièrement la gestion d’étudiants et l’enseignement. Je suis également très active dans les évènements de vulgarisation scientifique. Je regrette que cet aspect soit trop peu valorisé dans les candidatures, notamment dans les dossiers pour devenir Directeur de Recherche (DR). Pour la suite, je souhaite créer ma propre équipe au prochain quinquennat HCERES en 2024. Mon projet est de continuer à travailler sur les comportements alimentaires en se focalisant sur l’obésité et les comorbidités qu’elle engendre notamment le diabète et les risques cardio-vasculaires.
Nous allons aborder le thème de la parité femmes/hommes. J’ai une question concernant la conciliation de la vie personnelle et professionnelle. Avez-vous pris un congé maternité de longue durée à l’arrivée de vos enfants ? Comment avez-vous concilié vie personnelle et professionnelle dans le contexte de haute compétitivité du monde de la recherche ?
J’ai deux enfants un de 27 ans et l’autre qui va avoir 22 ans. Je pense que mon parcours n’est pas commun dans la recherche, en tout cas, en tant que femme. Comme je vous l’ai dit, je n’ai pas voulu faire de la recherche et un doctorat dès mon berceau. J’ai évolué pas à pas et j’ai mis un point d’honneur à concilier vie familiale et professionnelle en me disant que si cela ne fonctionnait pas, je ferais un autre métier comme professeur des écoles ou enseignante dans le secondaire. Je me suis mariée en première année thèse et j’ai eu un enfant en début de deuxième année. Je ne cache pas que cela n’a pas été très bien pris, au départ par mon directeur de thèse, mais il a rapidement très bien réagi. Disons qu’en 1993, ce n’était pas commun d’avoir un enfant pendant sa thèse. Mais j’ai eu la chance, honnêtement, d’avoir un directeur de thèse conciliant et bienveillant et qui s’est vite aperçu que, finalement, j’arrivais à concilier les deux. Effectivement, je n’ai pas pris un long congé maternité ; j’ai travaillé jusqu’au bout et je me suis arrêtée peu de temps après l’accouchement. Je me suis rapidement mise à la recherche d’une nounou qui pouvait garder mon fils tard le soir. Oui, elle lui a souvent donné le bain et je suis allée le récupérer tard, mais nous avons réussi.
Après ma thèse, j’ai fait une année de poste d’ATER puis je suis partie en post-doc. J’ai eu la chance que mon mari puisse me suivre pendant un an en travaillant à distance. Pour l’époque, c’était assez inhabituel et le télétravail n’était pas au goût du jour. Je pense que si cela avait été uniquement pour moi et pour des raisons professionnelles, je serais partie aux États-Unis ou dans un pays anglophone pour perfectionner mon anglais. Cela étant, j’ai choisi le Canada parce qu’il s’agit d’un pays francophone dans lequel mon mari pouvait évoluer plus facilement et où je pouvais trouver une école francophone pour scolariser mon fils, âgé de 3 ans. Je savais que le directeur du laboratoire serait conciliant vis-à-vis de ma situation de jeune parent, tout en étant reconnu au niveau international. Tout a été réfléchi par rapport à ma vie familiale ; je savais que le laboratoire que je visais au Canada était plus tolérant et souple que certains laboratoires super élitistes et compétitifs qui pouvaient m’intéresser aux États-Unis, qui m’auraient peut-être permis de produire plus de publications à haut impact factor et facilité mon entrée au CNRS ou à l’Inserm. J’ai essayé de faire un compromis, mais je crois que c’est quelque chose qui fait totalement partie de ma vie : essayer de faire des compromis entre la vie personnelle et professionnelle. Et cela a bien fonctionné puisque je suis rentrée au bout de deux ans avec un poste à l’Inserm, après deux candidatures. Quand je suis rentrée en France, je suis tombée enceinte de ma fille. A la base, je voulais avoir des enfants rapprochés mais avec mon cursus, cela n’a pas pu être possible et, finalement, ils ont six d’écart. Pour ma fille, je n’ai pas pris un long congé maternité non plus parce que je venais tout juste de rentrer et il y avait beaucoup de projets à lancer. J’ai toujours mis mes enfants au centre aéré, à l’étude ou bien chez la nounou. Et je le regrette un peu. Je pense que maintenant, avec le recul, j’aurais peut-être pris un temps partiel à 80%. Sur le moment, j’étais jeune, je ne l’ai pas fait et à l’époque on n’y pensait pas vraiment. Certes, je n’ai pas pris de long congé maternité mais, selon moi, ce qui est important ce sont les moments passés avec eux.
Au cours de votre parcours, vous êtes-vous heurtée à des remarques sexistes ou en avez-vous été témoin ?
Au moment de ma première grossesse, certaines personnes m’ont clairement fait ressentir que ce n’était pas normal d’avoir un enfant en thèse, que je n’aurai de poste ni au CNRS ni à l’Inserm. S’il m’arrivait de partir à 17h30 ou 18h, hyper pressée pour aller chercher mon fils, certaines personnes me souhaitaient un « bon après-midi » en me regardant de haut en bas. Heureusement, je l’assumais très bien à l’époque. J’évoluais dans un institut très reconnu, qui marchait très bien et qui sortait de très belles publications. Mais la contrepartie était d’arriver très tôt, partir tard et venir travailler les weekends. Il m’est arrivé de voir des hommes qui laissaient leur veste sur le dossier de leur chaise pour faire croire qu’ils étaient encore là, tard le soir. Ma quête d’un équilibre entre vie familiale et professionnelle m’a valu une sorte de jugement sur le fait que je n’étais « pas suffisamment motivée » pour consacrer ma vie uniquement à la recherche. Cela m’a certainement un peu porté préjudice quant à l’évolution de ma carrière mais j’ai toujours assumé mes choix.
Il est indiqué, dans le bilan social de l’Inserm, que 58 femmes sont Directrices d’Unité sur environ 300. 39% des femmes accèdent au grade de DR et 22% au poste de DU. Bien que 85% des personnes qui travaillent en soutien à la recherche soient des femmes. Comment analysez-vous ce constat ?
A l’IPMC, sur 20 équipes, seules 4 sont dirigées par des femmes. La question que je me pose c’est : pourquoi ? Pourquoi ce blocage hiérarchique ? Du point du vue institutionnel, il n’y a pas de blocage, si une femme souhaite être cheffe d’équipe, elle aura les mêmes possibilités qu’un homme. D’ailleurs, notre déléguée régionale pour le CNRS est une femme. Mais, je pense que la vie familiale est gérée différemment par les femmes et qu’elles pratiquent une certaine autocensure. Elles sont peut-être plus enclines à concilier leur vie familiale et professionnelle que les hommes. Par exemple, lorsque je postule au concours de DR, on m’a reproché un creux dans mes publications. Ce creux correspond à une période durant laquelle mon mari faisait beaucoup de déplacements. Il avait fait des sacrifices au moment de mon post-doc, j’ai donc fait le choix de prioriser ma vie de famille à ce moment-là. Mais des années plus tard, on me reproche encore ce choix et on me demande pourquoi je n’ai pas créé d’équipe à 40 ans… De leur côté, les hommes ont probablement des carrières plus linéaires. Puisque même si je n’ai pas pris de long congé maternité, même si je ne me suis pas mise à 80%, le fait de tout concilier ne m’a pas permis de partir à 20 heures du laboratoire ou de rester les weekends pour faire des demandes de financement. Quoiqu’on en dise, le milieu de la recherche est très élitiste. En revanche, maintenant que mes enfants sont grands, je suis plus à même de prendre ce type de rythme, mais ce creux dans mes publications bloque mon dossier. Je déplore ce diktat lié au nombre et au niveau des publications très présent à l’Inserm, au détriment d’autres aspects du métier de chercheur tels que l’enseignement ou la culture scientifique. Il y a, je pense, une nécessité de rendre les dossiers plus pluridisciplinaires.
Depuis que vous êtes titulaire à l’Inserm, avez-vous observé un changement des mentalités vis-à-vis de la place de la femme dans la recherche ?
Ce que nous pouvons noter en premier et qui est lié à la fonction publique, c’est que les salaires sont strictement égaux entre les femmes et les hommes, dans tous les secteurs de l’Inserm. Ce qui n’est pas le cas partout dans le privé. Comme nous l’avons évoqué, il y a des progrès à faire sur la compréhension du faible nombre de femmes à des postes hauts dans la hiérarchie. En ce qui concerne les remarques que j’ai pu entendre notamment pendant ma première grossesse, je pense que ce sont des choses qui ne seraient plus acceptées maintenant parce qu’il y a une libération de la parole sur la parité et le harcèlement au travail. Au niveau de mon institut, l’état d’esprit a changé. Quand je parle de mon métier dans les collèges et lycées, je remarque que les deux questions les plus posées sont 1/ évidemment, combien je gagne et 2/ arrivez-vous à concilier vie familiale et professionnelle. Il s’agit d’une préoccupation des plus jeunes.
Avez-vous noté des différences et des similitudes sur la place de la femme dans la recherche en France et à l’étranger ?
La seule expérience que j’ai eu à l’étranger est mon post-doc à Montréal entre 1996 et 1998. Je l’ai fait dans un laboratoire considéré comme très élitiste. D’ailleurs, on m’avait dit qu’y aller avec un enfant en bas âge serait ingérable. Finalement, j’y ai trouvé beaucoup de personnes bien plus ouvertes et conciliantes que pendant mon doctorat en France. Le directeur du laboratoire a fait en sorte de m’aider financièrement pour que je puisse payer une école privée pour scolariser mon fils avant ses 6 ans. Je n’ai jamais eu de remarques s’il m’arrivait de partir plus tôt parce que mon fils était malade ou s’il devait rester à la maison à cause d’une tempête de neige. En comparaison, j’ai des retours d’amis qui ont eu beaucoup de mal dans des laboratoires aux États-Unis où les chefs d’équipe n’appréciaient pas les doctorants, post-doc ou chercheures avec des enfants. D’après mon expérience, qui est par essence personnelle, je peux dire que le Canada a été une très bonne voie et j’ai des retours actuels qui m’indiquent que tout se passe toujours aussi bien. Il n’en demeure pas moins que j’ai toujours eu de très bons rapports avec mon directeur de thèse et d’autres personnes en France.
Avez-vous un ou des modèles féminins qui vous ont inspiré à poursuivre une carrière en sciences ?
Évidemment, je peux vous dire que j’ai lu des livres sur les recherches et la vie de Marie Curie mais je ne peux pas dire que cela m’ait réellement poussée vers la recherche. En revanche, si je me suis tournée vers la biologie, c’est grâce à ma professeure de SVT au collège. Elle avait fait une thèse, elle voulait faire de la recherche mais elle n’a pas pu et elle s’est tournée vers l’enseignement. J’avais 15 ans et nous avions longuement discuté. Après de cette conversation, je savais que je voulais m’orienter vers la biologie.