Quel est votre parcours professionnel ? Qu’est-ce qui a suscité votre curiosité pour les sciences ?
Stéphanie Ventéo : Mon goût pour les sciences du vivant s’est révélé à l’âge de 12 ans en regardant « Il était une fois la vie », un dessin animé qui expliquait le fonctionnement du corps humain. Avec la naïveté qui caractérise cet âge, je me suis alors dit que lorsque je serai grande je porterai moi aussi une blouse et travaillerai dans un laboratoire. Cette idée ne m’a jamais quittée.
Pour mes parents avoir un emploi stable rapidement prévalait sur un parcours universitaire long. Suivant les orientations familiales, j’ai passé un baccalauréat technologique, suivi d’un BTS. J’avais des facilités et j’ai fini major de ma promotion.
Je me suis inscrite ensuite à l’École Pratique des Hautes Études, établissement d’enseignement supérieur qui propose des formations à la recherche, par la pratique en laboratoire. Cette expérience en immersion a été formidable.
En seconde année, une collègue ingénieure m’a informée que l’Inserm recrutait des techniciens de la recherche par voie de concours. J’ai tenté l’expérience et j’ai été reçue. J’avais 21 ans, des envies de quitter Lunel pour m’installer à Paris. J’ai été affectée…à Montpellier !
Trois femmes inspirantes…
J’ai rejoint une équipe axée sur les effets de la microgravité dans la mise en place et le développement du système vestibulaire de l’oreille interne. Cette équipe était dirigée par trois Directrices de recherche : Jacqueline Raymond, Danielle Demêmes et Claudie Dechesne. Indépendantes et passionnées elles m’ont transmis leur savoir-faire dans les domaines de l’histologie et de l’imagerie confocale. En retour, je leur ai apporté mes compétences en biologie moléculaire et en biochimie.
et une mission pas comme les autres !
Un an après mon arrivée au laboratoire, elles m’ont confié une mission assez exceptionnelle : Lauréates de l’appel d’offre international « NeuroLab », elles m’ont envoyée 2 mois à Cap Canaveral, base de lancement de la Nasa.
En quelques mots simples, je devais mettre au point une manipulation technique reproductible en situation de vol par les astronautes, et réaliser les manœuvres de contrôle au sol en simultané avec eux.
Cette expérience, au-delà de sa nature risquée et de la pression qu’elle aurait pu engendrer, m’a donné confiance en moi et en mes capacités. Pendant cette mission, j’ai rencontré Claudie Haigneré, célèbre astronaute française, qui a eu la gentillesse de me dire qu’elle était admirative de mon travail. C’était un peu le monde à l’envers !
Parlez-nous de votre rencontre avec Patrick Caroll ?
S. V. : A la création de l’Institut des Neurosciences de Montpellier (INM), j’ai rejoint Patrick Carroll pour étudier le développement du système somatosensoriel. Patrick a eu un rôle essentiel dans mon parcours professionnel. Il m’a permis de prendre de la hauteur, d’aller au-delà de mon rôle de technicienne. Il n’a pas hésité à me confier un projet de recherche. Il m’a proposé de réaliser une thèse, que j’ai soutenue en 2007.
En parallèle j’ai passé les concours internes et suis aujourd’hui Ingénieure de recherche.
Lorsque je me retourne sur les années écoulées, je m’estime professionnellement chanceuse d’avoir croisé le chemin de ces chercheurs exceptionnels. Je me dis également que je suis un peu un « bébé Inserm.
En quelques mots simples, en quoi consiste votre activité professionnelle ? Quel est l’enjeu de votre travail ?
Je suis tout d’abord responsable de la plateforme d’expression génique de l’INM. Mon travail consiste à proposer la meilleure offre technologique possible pour répondre aux questions scientifiques émanant des chercheurs de la communauté montpelliéraine et au-delà .
Dans un second temps, je porte un projet de recherche qui vise à développer un traitement innovant contre les douleurs neuropathiques chroniques. Ces douleurs touchent environ 5 millions de personnes en France et il n’existe aujourd’hui aucun traitement réellement efficace pour les soulager. L’enjeu de mon travail est d’essayer d’enrayer cette tendance.
Quels sont les principaux défis que vous cherchez à relever ?
S. V. : Durant ma thèse, j’ai mis en évidence l’expression d’un gène qui n’avait jamais été décrit dans le système nerveux périphérique. J’ai très vite été convaincue par le potentiel thérapeutique de ce gène candidat. Mais sans financement, mon projet risquait de ne pas dépasser le stade de l’hypothèse.
J’ai donc dû trouver les soutiens nécessaires pour faire avancer ma recherche. J’ai décroché plusieurs financements…mais il en faut toujours plus ! Alors oui, un de mes défis est de répondre régulièrement aux appels d’offres.
Plus concrètement, amener ce gène identifié grâce à une technologie de criblage que j’ai développée au laboratoire jusqu’au développement d’un médicament pour le patient, voilà mon véritable défi.
Qu’appréciez-vous le plus dans votre travail ?
S. V. : Chercher la solution à une problématique scientifique donnée, être dans le questionnement, investiguer. La curiosité mêlée à l’envie de faire quelque chose pour aider les patients sont des vecteurs puissants pour faire avancer mon projet de recherche.
J’accorde également une place importante à la transmission des savoirs. J’anime par exemple des ateliers de formation en hybridation in situ. Je participe par ailleurs chaque année à des opérations de médiation scientifique destinées aux collégiens et lycéens comme l’action « Déclics » ou encore « les apprentis chercheurs ».
Mon goût pour la technologie, la formation et l’animation a de fait amené la direction de l’INM à me confier des missions de coordination et d’animation des plateformes technologiques de notre Institut.
Les femmes sont sous-représentées dans les domaines de la science, la technologie, l’ingénierie, les mathématiques (Source ONU Femmes)…Y’a‑t-il des obstacles à lever dans votre métier lorsque l’on est une femme ?
S. V. : Dans mon métier et plus généralement dans le corps des ingénieurs, je n’ai pas le sentiment qu’il y ait une sous-représentation des femmes. La question se pose davantage au niveau des postes à fortes responsabilités managériales. Depuis quelques années, je trouve néanmoins que les choses changent, en partie grâce aux actions menées par les femmes elles-mêmes.
Dans mon entourage professionnel, je peux citer en particulier le travail remarquable d’Agnès Fichard Carroll, Vice-Présidente déléguée à la responsabilité sociale de l’Université de Montpellier et Florence Apparailly membre active de l’association « Femmes & sciences ». Je suis très admirative de leur détermination dans ce combat pour l’égalité femme-homme.
Que représente pour vous la journée internationale des droits des femmes ?
S. V. : Je viens d’une famille où la place des femmes n’est pas un sujet. J’ai toujours été libre de mes choix, libre de m’exprimer. Pour moi, cette ligne directrice est tellement la norme que j’en viens parfois à oublier que ce n’est pas le cas pour toutes les femmes. Cette journée me rappelle que nous ne sommes pas nées avec les mêmes cartes en main et qu’il faut encore lutter pour nos droits. Je sensibilise beaucoup mes deux filles sur le sujet.
J’ai choisi d’avoir une carrière c’est vrai, qui ne laisse que peu de place pour d’autres activités. Ce choix, je l’ai fait en conscience. Je n’apprécierai pas que l’on vienne me le reprocher au prétexte que je suis une femme, et sous-entendu, la garante de l’équilibre familial.
Quels conseils donneriez-vous à de jeunes ingénieurs qui souhaiteraient s’investir comme vous dans la recherche ?
S. V. : Je leur conseillerai de saisir toutes les opportunités, de foncer pour n’avoir aucun regret. En suivant cette ligne de conduite, j’ai pour ma part fait de belles rencontres professionnelles et obtenus des résultats scientifiques très prometteurs. C’est une immense satisfaction.
Je leur dirai aussi qu’ils ne sont pas que « des mains ». Les ingénieurs ont des missions souvent transversales dites de « soutien ». Pour autant, ils sont également capables de formuler des idées, de porter des projets de recherche. Cette part de créativité doit être respectée et encouragée.
Si vous n’aviez pas embrassé cette carrière, qu’auriez-vous aimé faire ?
S. V. : Plus jeune, je rêvais d’être artiste peintre. Avec le recul, un métier au service des personnes en difficulté ne m’aurait pas déplu. Coach par exemple. Les gens viennent assez facilement vers moi. Je les écoute, j’analyse leurs difficultés et je cherche avec eux des solutions…car il y a toujours une solution. Je crois que je suis une éternelle optimiste.
Dans cette logique d’accompagnement, j’ai participé à de nombreux jury de concours de recrutement et de promotion Inserm et université. C’est une mission à laquelle j’accorde beaucoup d’importance.
Un mot de la fin ?
S. V. : Le mot « patient » m’a toujours interpellée. Il se rapproche étymologiquement du mot patience qui est l’action de supporter, d’endurer. Le patient endure les étapes de l’attente d’un diagnostic, de l’attente d’un traitement. J’aimerais pour contrebalancer accélérer mes recherches pour lui apporter enfin LA solution. Le travail, la passion, la persévérance, l’abnégation finiront je l’espère par payer.
Claudia Pereira
Responsable Communication
Délégation Régionale Inserm Occitanie Méditerranée