Julie Roques, assistante ingénieure au Centre recherche en cancérologie de Marseille, témoigne du double défi que représente la maternité et le handicap au travail.
Pouvez-vous vous présenter ? Parlez-nous de votre poste et des projets qui vous occupent actuellement.
Julie Roques : Je suis assistante ingénieure au sein de l’équipe pancréas du Centre de recherche en cancérologie de Marseille (CRCM – AMU/Inserm/CNRS/IPC). Je suis chargée de la gestion locale, de l’amplification et du maintien des échantillons de notre laboratoire. Je suis également assistante de prévention. A côté de mon travail je suis mère d’un petit un garçon de deux ans et demi, qui va à la crèche.
Quel est votre parcours universitaire ?
Julie Roques : Je suis titulaire d’un CAP esthétique mais après 1 an, j’ai souhaité donner une nouvelle impulsion à ma carrière et reprendre mes études pour travailler en laboratoire de recherche. J’ai donc obtenu un BAC Sciences et Technologies de Laboratoire option biologie puis j’ai ensuite fait un BTS en biotechnologies. Je crois que depuis toute petite je voulais travailler en laboratoire, à un de mes plus beaux cadeau de Noël a d’ailleurs été un microscope et tous ses petits objets : la petite pince, la petite loupe, les petites lamelles..
A la suite de mon BTS, j’ai intégré un laboratoire privé pendant 18 mois. J’ai ensuite envoyé un CV à une équipe de recherche Inserm et j’ai été retenue. C’était ma première expérience en recherche publique et j’ai apprécié la valeur d’intérêt public, d’aider autrement qu’en ayant un but financier. J’avais l’impression de faire de la recherche pour faire avancer la science et la médecine. C’est toujours ce qui m’anime au quotidien.
Dans le cadre de votre carrière, avez-vous été témoin ou l’objet de clichés sexistes ?
Julie Roques : Pour l’anecdote, quand j’ai voulu entamer ma reconversion professionnelle, certaines personnes m’ont dit qu’avec un CAP esthétique je n’arriverais pas à travailler en laboratoire. Le CAP est une formation peu valorisée et associée à la « voie de la facilité » surtout pour les femmes. Aurais-je entendu ce type de remarque si j’étais un homme ? Mais je ne me suis pas laissé décourager et aujourd’hui j’ai atteint mon objectif ! Ma famille m’a soutenue dans cette reconversion.
Par la suite, je n’ai jamais eu l’impression ou ressenti de pression ou de mal être parce que j’étais une femme. Mais peut-être que je ne le voyais pas ou que cela était trop dans les mœurs pour que je relève la chose. Je me souviens seulement d’une anecdote lors d’une conversation avec un collègue où j’ai relevé un propos sexiste.Je pense que nous avons tous des comportements inconscients qui peuvent être sexistes. Peut-être que le fait d’en parler peut faire changer les choses. En revanche, que ce soit dans le privé ou le public, je constate que ce sont bien souvent les hommes qui occupent les postes de direction.
Avez-vous été témoin d’autre type de discrimination ?
Julie Roques : J’ai été témoin de clichés vis-à-vis de mon handicap. Je souffre de douleurs chroniques survenues à la suite d’un accident grave qui s’est produit à mes 19 ans. Cela s’est traduit par des remarques sur mon appareillage ou de l’incompréhension sur un handicap qui ne se voit pas. Les remarques sont venues de mes professeur(e)s, de mes collègues de promotion ou de travail, même de mes anciens chefs. Mais depuis que je suis à l’Inserm, je n’ai quasiment jamais souffert de discrimination liée à mon handicap. Dès mon arrivée, j’ai été prise en charge par la médecine de prévention, qui a été très efficace. je suis reconnue travailleur handicapée, j’ai donc pu bénéficier d’un aménagement de poste au niveau de mon bureau et de la paillasse. De manière générale, en tant que femme et personne handicapée, je suis chanceuse d’évoluer au sein d’une équipe bienveillante.
Comment vous êtes-vous organisée au niveau personnel et professionnel lors de l’arrivée de votre enfant ?
Julie Roques : Après un congé maternité de neuf mois je suis revenue dès que possible. Mon retour au travail s’est très bien passé. Retrouver mon activité professionnelle était important pour moi. Je dois avouer que rester chez moi sans bouger n’est pas dans mon caractère ! Cette nouvelle vie s’est bien organisée grâce à la crèche.
Pendant mon absence, mes collègues ont pris la relève mais à mon retour j’ai tout de suite retrouvé mes responsabilités. J’ai eu l’impression de n’être jamais partie !
Trouvez- vous que les mentalités évoluent au sujet de la parité ?
Julie Roques : D’une manière générale, il faut faire bouger les choses autour de toutes les discriminations mais je trouve que les mentalités évoluent sur la place de la femme dans le travail avec la mise en place de commissions parité et davantage de communication.
Voyez-vous des améliorations à apporter vis-à-vis de la politique handicap de l’Inserm ?
Julie Roques : Malgré une communication plus régulière sur le handicap sur le site de l’Inserm, je ne vois pas d‘évolutions particulières au niveau de la prise en compte du handicap et je trouve cela dommage. D’après moi les raisons de l’embauche et les motivations ne sont pas bonnes, et le « coté quota » n’est pas efficace, on punit plutôt que d’encourager. Comment aller plus loin pour une meilleure visibilité et compréhension des situations de handicap ? C’est une réflexion à engager collectivement. Personnellement, je pense qu’il faut éduquer, discuter et en parler. Il faut aussi oser parler des personnes qui rencontrent des difficultés au travail à cause de leur handicap.
Avez-vous eu l’occasion de travailler à l’étranger ? Si oui, avez-vous eu l’occasion de faire des comparaisons entre la façon de travailler là-bas et ici ?
Julie Roques : J’ai fait un stage à Montréal pendant mon BTS. Au Canada on ne parle pas de « congé maternité » mais « parental ». Ce congé dure un an et les parents peuvent le répartir comme ils le veulent. Par exemple, ils peuvent faire 6mois/6mois. En revanche, il me semble que les femmes s’arrêtent très tard dans la grossesse. En France, le congé paternité est passé à 28 jours depuis l’an dernier. C’est mieux mais ce n’est toujours pas ça Prendre ses marques avec son nouveau-né n’est pas facile. Cela a été dur au début d’autant plus que le papa de mon fils n’a été là que 14 jours. Le papa n’a pas assez d’aides et de possibilités pour contribuer à la nouvelle organisation de la famille. Des efforts doivent encore être fais au sujet du congé paternité pour contribuer à diminuer les inégalités homme/femme.
Avez-vous des modèles féminins scientifiques ?
Julie Roques : Marie Curie ! Il s’agit de la scientifique la plus connue par le public, j’espère que d’autres femmes scientifiques deviendront aussi connues qu’elle … Et sinon, mon seul modèle féminin est ma mère, une battante.
Ma curiosité m’est venue de moi-même et depuis toujours je sais que je veux travailler en laboratoire même si au début cela était abstrait pour moi. Ma famille m’a toujours soutenue, ne m’a jamais imposé quoi que ce soit et on m’a toujours dit que je pouvais être qui je voulais.