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Le confinement a‑t-il eu un impact sur les symptômes atténués de psychose ?

Anne Giersch, directrice du laboratoire Inserm Neuropsychologie cognitive et physiopathologie de la schizophrénie / Université de Strasbourg vient de publier un article sur les effets de la pandémie sur l'émergence de symptômes atténués de psychose. Ces résultats sont publiés dans npj Schizophrenia.

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Pouvez-vous nous expliquer ce que sont les symptômes atténués de psychose et le contexte de vos recherches ?  

Les symptômes atténués de psychose sont des symptômes légers que l’on retrouve dans la période qui précède l’émergence d’épisodes psychotiques comme la schizophrénie ou les troubles bipolaires. L’évolution vers une psychose n’est pas inéluctable, cependant, et dans la majorité des cas, ils disparaissent ou restent en l’état. Les symptômes que nous avons explorés sont principalement des éléments délirants atténués ou des perceptions anormales, qui peuvent précéder des hallucinations. 

Mon étude était principalement destinée à évaluer les symptômes atténués de psychose dans la population générale. Elle consistait à savoir si ces symptômes atténués de psychose étaient plus fréquents pendant la pandémie. Dans la littérature, il est souvent indiqué que l’angoisse, ou l’isolement, favorisent l’émergence de la psychose, et ceci nous a poussé à lancer nos recherches. Nous avions toutes les raisons de penser que l’association de l’angoisse liée à la pandémie et l’isolement lié au confinement était susceptible de faire naître des symptômes.  

Notre population était constituée de 70 à 80 % de femmes avec un âge moyen de 42,9 ans. Nous avons demandé à notre population de répondre à des questionnaires 4 fois entre le début du confinement en mars et mi-juillet 2020. Bien sûr, ce ne sont pas des outils de diagnostic, mais plutôt de screening. Ces questionnaires étaient très codifiés, ils permettaient de quantifier le nombre de symptômes atténués présents chez chacun des participants et de catégoriser ces ressentis. Ces sujets pouvaient en parallèle, s’ils le voulaient, écrire quotidiennement et anonymement sur un site dédié leurs émotions et leurs vécus de la journée, environ 10 lignes de texte. Nous nous sommes dit que cela pouvait permettre de mesurer des expériences plus plaisantes que celles explorées dans les questionnaires. Ces narrations capturaient ces expériences, positives ou négatives. Cette approche était possible parce que nous avons dans notre laboratoire des spécialistes de la narration. Sur toute la durée de l’étude, nous avons réussi à en avoir pas moins de 5 000, et ce sont des données précieuses. 

Que déduisez-vous de votre étude ?  

Les symptômes atténués de psychoses étaient présents chez 18,5 % de notre population. Ce qui en fait une part non-négligeable. Nous trouvons ce taux élevé de symptômes en début d’étude qui correspond au commencement du confinement. C’est à ce moment-là que les sujets ont rempli le premier questionnaire. 
Le point positif, était que nous avons observé une régression des symptômes au cours du confinement. Nous avions initialement pensé que le confinement aurait plus d’impact, mais une évolution positive a aussi été observée dans d’autres études sur la dépression et l’anxiété. 
Nous avons enfin trouvé dans les narrations des liens entre les symptômes et les émotions négatives. Ceci suggère que ce n’est pas tant l’isolement lui-même qui agit, mais vraiment les émotions négatives et l’angoisse associées à la pandémie et la situation générale. 
 
En quoi cette étude était importante pour vous ? 

Elle est importante pour confirmer que les symptômes atténués de psychoses sont partagés par une partie de la population. C’était important de voir que les sujets acceptaient de partager leurs ressentis. On peut se dire que finalement, ils n’en parlent pas parce que nous n’osons pas leur poser la question en général. Ça ne devrait donc pas être tabou. L’étude permet également d’illustrer le lien entre psychose et émotion. 

Quelles vont être à présent les prochaines étapes ?  

Nous avons toujours ces 5 000 narrations. C’est un matériel riche. Une étape supplémentaire serait d’analyser pleinement et finement ces narrations. Et puis par ailleurs, nous participons également à une étude en cours appelée Time Social Distancing (coordonnée par Virginie van Wassenhove, DR au CEA). Cette étude est internationale, basée sur l’existence d’un réseau qui travaille sur le temps (le Timing Research Forum). L’étude inclue les questionnaires que nous avons déjà utilisés, mais aussi plusieurs mesures temporelles pour étudier les différents aspects du temps. Cette étude nous intéresse précisément parce qu’elle explore en parallèle les symptômes atténués de psychose et le temps. Des recherches, et nos travaux, suggèrent un lien entre anomalies de l’expérience temporelle et différentes pathologies psychiatriques. Ces anomalies sont rapportées par des patients qui disent se sentir déconnectés de leur environnement, avec l’impression que celui-ci passe plus vite ou plus lentement, qu’il est fragmenté, ou même disparaît. Ce sont des questions qu’habituellement, nous ne nous posons pas. Nous avons l’impression que le temps passe tout simplement. Il serait intéressant de voir s’il existe un lien entre ces symptômes atténués de psychose et les anomalies de l’expérience temporelle. 

Interview réalisée par Ammra Tan