Quel est votre parcours professionnel ? Qu’est-ce qui a suscité votre curiosité pour les sciences ?
Farida Djouad : Depuis toujours, je suis fascinée par le développement et le fonctionnement des tissus et organes du corps humain. J’ai en parallèle toujours aimé résoudre des énigmes et relever des défis. Ces prédispositions auraient dû me mener assez tôt sur le chemin de mon futur métier, et pourtant ! Ce n’est que lors de mon premier stage de master réalisé à l’Institut de Génétique Moléculaire de Montpellier sous la direction de Marylène Mougel, dans l’équipe de Marc Sitbon, que mon souhait de devenir chercheuse s’est matérialisé.
La liberté offerte par ce métier m’a délestée de l’angoisse de devoir choisir un emploi pour la vie. C’est un métier propice à la créativité, n’imposant aucune limite à l’imagination. En choisissant de devenir chercheuse j’ai eu le sentiment que je ne me trahissais pas.
Et puis il y a eu la rencontre avec Christian Jorgensen…
F. D. : En février 2002, Naomi Taylor, Directrice de recherche Inserm qui a joué un rôle clé dans ma carrière, m’a présenté Christian Jorgensen. Ce dernier a accepté d’être mon directeur de thèse. J’ai donc rejoint son équipe dynamique et talentueuse au sein du laboratoire « Immunopathologie des maladies tumorales et autoimmunes ». J’ai été séduite par son mode de fonctionnement à la fois efficace et bienveillant. Avec Christian et Danièle Noël, ma co-directrice de thèse, nous avons été parmi les premiers au monde à découvrir les propriétés immuno-régulatrices des cellules souches mésenchymateuses (MSC) aujourd’hui utilisées dans près de mille essais cliniques.
Vous partez ensuite aux Etats-Unis…
F. D. : Entre 2006 et 2008, j’ai en effet réalisé mon post-doctorat au NIH à Bethesda. J’ai intégré le laboratoire de Rocky Tuan, expert dans les domaines de l’ingénierie tissulaire et de la médecine régénératrice. Ce séjour américain est à l’origine du nouvel axe de recherche sur lequel je travaille depuis avec mon équipe, et qui a pour but d’identifier les bases moléculaires et cellulaires de la régénération tissulaire chez les vertébrés.
En 2009, j’ai été reçue au concours de Chargée de Recherche à l’Inserm et comme une évidence, j’ai intégré l’unité de recherche de Christian Jorgensen. Je viens récemment d’être promue Directrice de recherche.
En quelques mots simples, en quoi consiste votre activité professionnelle ?
F. D. : Je suis avant tout une chercheuse. Mes travaux portent globalement sur le développement de thérapies innovantes pour le traitement de l’arthrose. Cette maladie articulaire, la plus fréquente en France, se caractérise en partie, par la dégénérescence du cartilage. J’étudie des modèles animaux capables de régénération tissulaire dans le but d’élucider les mécanismes qui permettent cette « reconstruction » pour l’adapter un jour à l’homme.
Avec un certain pincement, et depuis que j’encadre, je suis très peu à la paillasse, lieu de toutes mes inspirations. Heureusement, j’ai la chance de travailler avec des personnes extraordinaires fortement engagées sur les projets qui me tiennent à cœur, et je les en remercie.
Je dirige donc une équipe de dix personnes. Au quotidien, je détermine les axes de recherche et les priorités d’ensemble, j’assure la formation des étudiants et l’encadrement des travaux des ingénieurs et post-doctorants.
Je recherche également les financements nécessaires à la réalisation de nos projets. Je communique et valorise nos résultats sous forme d’articles scientifiques, d’interventions à l’occasion de congrès de spécialité, de dépôts de brevets et de partenariats industriels.
Enfin, je suis partenaire ou coordinatrice de projets de recherche collaboratifs à l’échelle nationale et internationale.
Quel est l’enjeu de votre travail ?
F. D. : Les enjeux de mon travail sont multiples, mais si je devais n’en retenir qu’un ce serait peut-être celui d’offrir à mon équipe le meilleur environnement de travail possible. Je m’engage pleinement dans l’accompagnement de mes étudiants par exemple. La diversité des axes de recherche que je développe me permet de créer un cercle vertueux en leur offrant la possibilité de choisir leur thème de prédilection. Aimer son projet de recherche permet son appropriation pleine et entière et un investissement fort dans les actions à mener pour le développer.
Je suis par ailleurs soucieuse de leur avenir professionnel et je garde des contacts privilégiés avec chacun d’eux. La plupart sont aujourd’hui des collaborateurs.
Parlez-nous de votre recherche…
F. D. : Je cherche à développer un nouveau traitement pour les maladies dégénératives comme l’arthrose.
Pour répondre à cet objectif, j’étudie entre autres le poisson-zèbre, capable de reconstituer à l’identique un ensemble de tissus perdus après une amputation.
Mon objectif est de répondre aux questions suivantes : quelle est la cellule chef d’orchestre du processus de régénération ? quel est son rôle, et surtout quel est celui des facteurs qu’elle sécrète sur la régénération du cartilage détruit chez les patients atteints d’arthrose.
Quels sont les principaux défis que vous cherchez à relever dans votre métier ?
F. D. : Sur un plan ressources humaines, le défi le plus difficile à relever pour moi est la pérennisation des postes et plus largement des compétences. Je travaille beaucoup sur la transmission des savoirs et savoir-faire des chercheurs, ingénieurs et étudiants vers les nouveaux entrants.
Je cherche aussi à cultiver l’esprit d’équipe, et à faire en sorte que tout le monde se sente bien au travail.
Un autre défi de taille est de trouver un juste équilibre entre vie personnelle et professionnelle. Lorsque l’on exerce un métier passion et multi-casquettes, il est indispensable de définir des limites claires entre les deux, et de s’y tenir. Et puis, une vie de famille préservée est une ressource inimaginable pour faire face aux moments difficiles d’un métier comme le nôtre. Les échecs sont parfois cuisants.
Sur un versant plus scientifique à présent, je cherche constamment à améliorer nos connaissances sur les mécanismes précurseurs du processus de régénération conservés parmi les espèces. Pour cela, avec mon équipe nous devons faire preuve d’imagination, mettre au point des innovations technologiques et théoriques. Travaillant sur plusieurs modèles animaux, nous devons bien les connaître et utiliser des techniques de pointes de traçage cellulaire et de microscopie.
Qu’appréciez-vous le plus dans votre métier ?
F. D. : Le métier de chercheur n’est pas UN métier, mais DES métiers. Il n’y a pas de place pour l’ennui tant les missions sont multiples et diverses. Il convient parfaitement aux curieux qui aiment relever des défis et sont avides de savoir et de connaissances.
J’aime travailler en équipe avec des personnes venues des quatre coins du monde. La diversité des parcours professionnels, des cultures est une vraie richesse. Nous partageons des bouts de vie à un instant T, lors d’un stage, d’une formation, d’une collaboration. Nous conjuguons nos talents pour repousser les limites de la connaissance dans notre domaine de recherche.
Les femmes sont sous-représentées dans les domaines de la science, la technologie, l’ingénierie, les mathématiques (Source ONU Femmes). Y’a‑t-il des obstacles à lever dans votre métier lorsque l’on est une femme ?
F. D. : En effet, il y a toujours en 2021 une sous-représentation des femmes dans ces domaines. Mais ce qui me saisit le plus, c’est que dans les disciplines où les femmes sont nombreuses, plus on monte dans la hiérarchie, moins elles sont présentes.
On note depuis plusieurs années, de nombreuses actions en faveur de l’égalité femme-homme. Ces actions bousculent les esprits et conduisent à des changements positifs quantifiables.
Je pense par exemple à la revue de Christiane Schreiweis et ses collaborateurs publiée dans Nature Human Behavior en 2019. Ce papier décrit comment, en un an et demi, les actions d’équité femme-homme ont fait passer de 25 à 44 % le nombre d’oratrices invitées dans les séminaires de leur institut, et de 25 à 31% le nombre de femmes cheffes d’équipe.
L’origine de cette sous-représentation des femmes à des postes à responsabilité est culturelle et structurelle. Le phénomène d’autocensure des jeunes femmes dans leur choix d’orientation est, encore en 2021, le terreau de l’inégalité femme-homme.
Pour lever ce verrou, nos tutelles et des associations comme Femmes & Sciences travaillent à promouvoir et valoriser les femmes dans les carrières scientifiques et techniques.
A côté de ces actions positives, certains signes montrent que le changement ce n’est pas tout à fait pour maintenant.
Je viens de lire un article qui indique que la crise sanitaire que nous traversons pourrait raviver les vieux schémas femme-homme, et avoir des retombées durablement négatives sur l’évolution des carrières des chercheuses. Il y a donc du mieux…mais tout cela reste fragile
Quels conseils donneriez-vous à une jeune femme souhaitant devenir chercheuse ?
1 – Croyez en vous : si vous êtes passionnée et que vous souhaitez devenir chercheuse, foncez !
2 – Soyez jusqu’au-boutiste : le chemin est long et semé d’embûches. Il faut donc avoir une motivation inébranlable.
3 – Ne laissez jamais rien ni personne vous faire douter : J’ai personnellement rencontré de nombreux obstacles qui à tout moment auraient pu me détourner du métier de chercheuse. Mais j’ai eu la chance de rencontrer et d’avoir le soutien des bonnes personnes au bon moment. J’en profite pour les remercier.
4 – Faites-vous plaisir : le désir de bien faire peut nous faire oublier parfois cette donnée importante. Oubliez la pression et l’enjeu pour pouvoir apprécier chacun des moments que vous vivez. Je suis intimement convaincue que cela nous rend plus créatif.
Si vous n’aviez pas embrassé cette carrière, qu’auriez-vous aimé faire ?
F. D. : Toute jeune, ma passion pour les polars, mon sens de l’observation et mon goût pour la résolution de problèmes mathématiques auraient pu me conduire à une carrière de détective. Mais ma passion pour la biologie l’a emporté. Je pensais devenir médecin, mais en découvrant le métier de chercheur j’ai su que c’était la voie à suivre pour mon épanouissement personnel.
Un mot de la fin ?
F. D. : Je finirai par une phrase qu’un collègue et ami m’a dite juste avant mon oral de concours DR2, et qui m’a littéralement libérée de mon stress et donné confiance en moi :
Ces trois mots m’ont fait réaliser que toute la pression que nous nous mettons, souvent pour nous justifier d’être là, nous fait oublier que nous méritons notre place et enlève la magie et le plaisir du métier. Alors, oui, faites-vous plaisir et vivez vos passions loin du carcan mental/social qui peut nuire à votre épanouissement professionnel et à votre accomplissement. Réalisez-vous !
Claudia Pereira
Responsable Communication
Délégation Régionale Inserm Occitanie Méditerranée