Comment avez-vous été identifiée ?
Pauline Martinot : En parallèle de ma formation de médecin de santé publique, je réalise actuellement un doctorat à NeuroSpin, dans le laboratoire Neuroimagerie cognitive dirigé par Stanislas Dehaene (unité 992 Inserm/CEA) à Gif-sur-Yvette. Ma thèse est dédiée à l’identification précoce des enfants à risque de développer un trouble spécifique de l’apprentissage parmi les élèves de CP et de CE1 : principalement la dyslexie, la dyscalculie ou encore la dysorthographie. Mes travaux utilisent d’une part les modélisations de 2,1 millions de données cognitives des enfants en France, et s’appuient en parallèle sur des analyses par IRM fonctionnelle effectuées chez des enfants du même âge pour mieux comprendre les mécanismes du cerveau impliqués lors de l’apprentissage de la lecture, et plus largement, du langage. Passionnée depuis toujours par la santé et par l’éducation, je m’investis depuis plusieurs années dans plusieurs projets qui visent à promouvoir la santé et le bien-être auprès du grand public. En 2018, j’ai fondé Imhotep, une association pour développer la promotion de la santé sur les réseaux sociaux auprès des jeunes.
Lors de l’émergence de la crise Covid, j’ai mis mes travaux de thèse en suspens pour m’impliquer auprès du ministère de la Santé d’alors dans la rédaction de « flashs info » sur l’état des lieux de la recherche contre la pandémie. Cette mission bénévole a attiré l’attention du ministère qui souhaitait lancer une grande réflexion sur la santé nationale des jeunes, avec un regard neuf sur le sujet. C’est ainsi que j’ai été sollicitée en juin 2021, ainsi qu’Aude Nyadanu, consultante et fondatrice d’une entreprise dédiée à l’accompagnement dans le secteur hospitalier et celui de l’industrie pharmaceutique. Le mot d’ordre était : « aucun tabou ni interdit » !
Quelle méthodologie avez-vous employée pour cette mission ?
P. M. : Pour le grand public, le terme de « santé » renvoie systématiquement à la maladie, aux soins, à l’hôpital. Ces messages, parfois alarmistes, ne touchent pas vraiment les jeunes, qui sont très souvent en bonne santé physique ! Or, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit la santé comme un état complet de bien-être physique, mais aussi mental et social, et ce sont des aspects bien trop souvent oubliés. L’estime de soi et le besoin d’appartenir à un collectif sont pourtant deux composantes essentielles du bien-être chez les adolescents. Il est rapidement apparu comme primordial de faire évoluer la culture de la santé, en mettant davantage l’accent sur la prévention et en favorisant les interactions entre acteurs de la santé, de l’éducation et du sport. Pour établir un premier constat, sur une durée de trois mois, nous avons interviewé 70 jeunes et leurs parents ainsi que 200 professionnels qui travaillent au quotidien à leurs côtés : éducateurs, enseignants, médecins et infirmiers scolaires, psychologue, en France comme à l’étranger. Ce panel, très diversifié représentait déjà une belle base de travail pour formuler nos recommandations. Ce programme étant vraiment pensé pour être au plus proche des besoins des jeunes, il était nécessaire de se placer à leur niveau afin de mieux comprendre leurs besoins, leurs freins, et d’identifier des pistes d’amélioration pour qu’ils développent pleinement leur bien-être et leur santé.
Quelles sont vos principales propositions ?
P. M. : L’analyse des entretiens nous a permis d’élaborer dix principales recommandations et 50 propositions. Parmi celles-ci, on retrouve par exemple :
- l’instauration de temps dédiés à la pratique d’activités et à l’éducation dédiées à la santé dans l’emploi du temps des jeunes, à l’école comme en dehors, ainsi que l’organisation d’événements à visée informative sur différentes thématiques sanitaires. Idéalement, cette mesure doit être accompagnée par un renforcement de la présence et du champ d’action en prévention des professionnels de santé (psychologues, dentistes, orthophonistes…) tout au long de la vie des jeunes, notamment en milieu scolaire ;
- la démultiplication des sources d’information fiables et attractives en santé et un encadrement plus poussé des médias dans leur communication relative aux sujets de santé. L’Inserm, par exemple, à travers ses différents outils tels que son site web, son magazine ou plus récemment sa chaîne YouTube Canal Détox, remplit parfaitement ce rôle ;
- la création d’un « pass bien-être » : derrière ce nom qui n’est pas définitif, nous souhaitons donner aux jeunes une porte d’entrée vers une meilleure connaissance de soi, de son alimentation, de son sommeil ou encore de son activité sportive. Cette subvention leur donnerait ainsi la possibilité d’accéder à des produits ou services en lien avec la santé : équipements sportifs, accès à une application de suivi du sommeil ou contre le tabac, une sélection de livres ou de bandes dessinées éducatives à la santé…
Comment ont été accueillies vos recommandations ?
P. M. : L’équipe du ministre d’alors a été agréablement surprise par notre travail et notre méthodologie, et a salué la « fraîcheur » de nos propositions. Nous avons reçu beaucoup de compliments et de retours valorisants sur ce travail, à tous les niveaux ! Je pense que c’est lié au choix de ne pas avoir adopté une posture de « sachant », et d’avoir privilégié la parole directe des jeunes que nous avons interviewés. Cela a payé : les propositions et idées que nous avons collectées étaient vraiment pertinentes, pragmatiques, fidèles à leurs préoccupations. À l’inverse, notre jeune âge a pu être associé à une forme d’inexpérience par certains… mais cela ne représente qu’une infime partie des retours reçus !
Quelle est la prochaine étape pour vous ?
P. M. : Je vais d’abord me consacrer à la clôture de mon doctorat de neurosciences à l’Inserm fin 2022, ainsi qu’à celle de mon internat de médecine. Pour la suite, je sais que je souhaite continuer à contribuer à la création de ponts entre le monde de la recherche et le grand public, et à l’amélioration du quotidien des citoyens grâce aux travaux scientifiques français et internationaux. Il y a également un projet passionnant porté par l’Inserm, le CNRS et l’AP-HP auquel j’aimerais beaucoup prendre part : la création d’un Institut du développement de l’enfant qui se monte à l’hôpital Robert Debré à Paris, présidé par Richard Delorme et Ghislaine Dehaene-Lambertz. C’est une grande première de rassembler les mondes de l’éducation, de la santé et des sciences dans un même lieu, pour un objectif commun : le mieux-être des enfants en France.