Une unité bâtie autour d’une thématique commune
Créé en 2020, c’est à Gustave Roussy que se situe le laboratoire « Dynamique des cellules tumorales », issu de la fusion de 3 équipes ATIP-Avenir et placé sous la tutelle de l’Inserm, de l’Université Paris-Saclay et de Gustave Roussy. Ce programme, conjoint entre l’Inserm et le CNRS, donne la possibilité à de jeunes scientifiques de constituer leur propre équipe de recherche autour d’un projet de recherche jugé innovant et prometteur.
Respectivement lauréats en 2011, 2012 et 2013, Fanny Jaulin, Mehdi Khaled et Guillaume Montagnac dirigeaient chacun leur propre groupe, tout en partageant des thématiques de travail communes.
Au fil des années, et fort de leurs multiples collaborations, la volonté de pérenniser et de réunir ces trois équipes au sein d’un même collectif s’est intensifiée. Sous l’impulsion d’Eric Solary, ancien directeur de la recherche de Gustave Roussy, l’unité s’est officiellement constituée autour de deux grands axes de recherche :
- Identifier les causes de la migration des cellules cancéreuses vers des tumeurs secondaires et les cibles pouvant inhiber ce processus ;
- Étudier et comprendre la réorganisation interne d’une cellule tumorale qui lui permet de renforcer son caractère invasif.
Aujourd’hui, quatre équipes constituent cette unité – l’une d’elles s’est ajoutée en cours de route – chacune contribuant à ces deux axes via des sujets qui leur sont propres.
L’endocytose, un mécanisme clé de la migration des cellules tumorales
Dans le laboratoire, Guillaume Montagnac assure une double casquette : directeur de l’unité, d’abord, mais également chef d’équipe. Avec ses collaborateurs, une dizaine de personnes, il étudie les mécanismes qui régissent la migration des cellules tumorales, comme l’endocytose, et les conséquences de leurs éventuels dysfonctionnements chez les cellules cancéreuses.
« L’endocytose est un processus au cours duquel une cellule internalise des éléments grâce à l’invagination d’une partie de sa membrane, s’assimilant à une bouche. Cela permet à la cellule de se nourrir. » explique-t-il. Ces parties de la membrane forment des vésicules destinées à être internalisées qui sont recouvertes de clathrine, une protéine structurelle.
Parfois, l’élément à internaliser est trop gros, et cela résulte en un échec : on parle d’endocytose « frustrée ». Cela peut ainsi avoir un impact sur ces fameuses structures recouvertes de clathrine (SRC). En effet, l’environnement tumoral est chargé en collagène, de longues fibres rigides, et lorsque les SRC tentent de les internaliser, elles en sont incapables et finissent par rester accrochées à ces longues fibres qui restent donc à l’extérieur de la cellule. Ce phénomène permet à la cellule cancéreuse de s’agripper aux fibres de collagène afin de migrer.
L’équipe étudie donc comment l’endocytose « frustrée » module les fonctions des SRC et, dans le cas des cellules tumorales, comment ces structures jouent un rôle dans la migration cellulaire en dehors de la tumeur primaire. Plus simplement, ils cherchent à comprendre comment l’échec d’une endocytose peut offrir de meilleures conditions de migration aux cellules cancéreuses et, par extension, de formation de métastases.
Les organoïdes, un modèle prédictif de la réponse aux traitements
Cette seconde équipe, dirigée par Fanny Jaulin, travaille sur le cancer colorectal et les cancers digestifs de manière plus générale. Une des spécificités de cette équipe est l’utilisation d’organoïdes. La chercheuse les définit en ces termes : « Ce sont des modèles dérivés des cellules tumorales du patient. Ils récapitulent les propriétés fonctionnelles et structurelles des tumeurs dans un environnement ex vivo simplifié. Ces explants de patients permettent d’enrichir la connaissance fondamentale concernant les cellules tumorales mais également de prédire la réponse d’un patient à un potentiel traitement. »
Habituellement, les laboratoires de biologie cellulaire travaillent sur des modèles expérimentaux, des lignées ou des modèles murins par exemple. Travailler sur du matériel primaire de patient est un véritable avantage pour mieux comprendre la dynamique tumorale chez l’Homme : « Nous avons par exemple détecté un mode de déplacement en groupe des cellules tumorales, qui n’avait jamais été suspecté avant » poursuit-elle.
Les organoïdes sont également l’élément principal d’un essai clinique, « Organotreat », lancé par Fanny Jaulin en collaboration avec le comité de pathologies digestives de Gustave Roussy. À partir d’un prélèvement des cellules tumorales du patient, un total de 25 médicaments anticancéreux sont testés afin de tirer des conclusions personnalisées sur le traitement le plus judicieux à administrer au patient. Il s’agit du premier essai clinique de cette nature en France et également d’un des premiers au monde.
Heureuse nouvelle : l’équipe a récemment obtenu un financement RHU (Recherche Hospitalo-Universitaire en santé) pour le projet « Organomic » dont les travaux s’appuient notamment sur l’essai clinique Organotreat. Grâce à ce financement, l’équipe pourra prochainement renforcer ses ressources humaines et financières afin de poursuivre cette recherche sur les organoïdes.
Le mélanome, un modèle d’intérêt pour l’identification de nouvelles mutations
La troisième équipe du laboratoire s’intéresse au mélanome, une tumeur maligne de la peau.
« Le mélanome est un des cancers les plus métastatiques. Cela signifie qu’il se propage dans un ou plusieurs autres endroits du corps. » précise Mehdi Khaled, qui dirige ce groupe. Ses travaux portent ainsi sur les mutations génétiques qui facilitent à ce type de cancer l’adaptation à autant de micro-environnements que d’organes qu’il colonise.
Pour comprendre ces mécanismes, l’équipe utilise la méthode du crible génétique pour identifier les gènes qui ont un rôle dans la dissémination métastatique dans un organe précis. Le principe : en invalidant certains récepteurs, on regarde si le mélanome peut tout de même se développer dans un organe précis. Lorsque l’absence d’un récepteur empêche cette colonisation, cela signifie que le gène codant pour ce récepteur est impliqué dans le développement métastatique au sein de ce même organe.
Mehdi Khaled travaille aussi sur les événements précoces de l’oncogenèse des mélanomes, en utilisant comme modèle le mélanome de l’enfant en collaboration avec le docteur Brigitte Bressac, généticienne à Gustave Roussy. Selon lui, il s’agit d’un bon modèle pour identifier de nouvelles mutations ayant un rôle dans le développement du mélanome, celui-ci étant induit par les rayons ultraviolets (UV). Or, tout au long de notre vie, lors de nos expositions au soleil, les cellules de notre peau subissent des dommages à l’ADN, autrement dit des mutations. Il explique : « Toutes ces mutations ne sont pas responsables du développement d’un mélanome. Il est plus simple d’identifier les mutations cancérigènes chez l’enfant puisqu’il a subi moins de dommages à l’ADN au cours de sa vie. »
Afin d’identifier celles qui sont apparues uniquement chez l’enfant et qui pourraient être à l’origine du développement du mélanome, il est nécessaire de comparer le génome du père et de la mère avec celui de l’enfant. De cette manière, toutes les variations génétiques héritées du génome des parents sont écartées. Les mutations restantes deviennent des candidats potentiels. Ces mutations candidates sont ensuite testées dans des modèles de mélanocytes, cellules de la peau, qui ne sont pas encore devenus des mélanomes. Pour chaque gène candidat, une version sauvage, c’est-à-dire non mutée, et une version mutée de la protéine, dont la production est normalement codée par ce même gène, sont insérées dans les mélanocytes. Des tests d’oncogénécité sont ensuite réalisés afin de voir si la mutation testée permet d’induire l’oncogenèse.
Le lysosome, un rôle méconnu dans l’action de la cellule tumorale
Cette quatrième équipe, la plus récente, s’est ajoutée peu de temps après la création de l’unité afin d’enrichir ses sujets d’études.
Encadrée par Kristine Schauer, elle étudie les organites, des compartiments qui se trouvent à l’intérieur de nos cellules, et plus particulièrement le lysosome. Son objectif est de mieux comprendre le rôle qu’un compartiment intracellulaire peut avoir dans le renfort du caractère invasif d’une cellule tumorale. Sur le long terme, elle souhaite développer les connaissances fondamentales concernant la structure et le fonctionnement de la cellule.
Pour le moment, l’équipe porte un intérêt particulier au lysosome du fait de son rôle dans le métabolisme cellulaire ainsi que dans la sécrétion de protéines qui peuvent modifier l’environnement extracellulaire.
« On sait que le métabolisme, ainsi que l’environnement extracellulaire, peuvent avoir un rôle important lors de la cancérogénèse. Nos récents travaux nous permettent de soupçonner que les lysosomes changent de position dans les cellules tumorales de la vessie et modifient ainsi leur fonction. » explique Kristine Schauer.
Aujourd’hui, les travaux de l’équipe concernent aussi bien des cellules saines que des cellules tumorales issues du cancer de la vessie. La connaissance du fonctionnement de la cellule saine dans sa totalité est en effet nécessaire à la meilleure compréhension des dysfonctionnements et des mécanismes de résistance présents dans les cellules tumorales. L’avancée de ces connaissances permettrait également de mieux prendre en charge les patients et les cancers spécifiques.
Une recherche fondamentale dans un environnement clinique
Si la recherche fondamentale a une place très importante dans les travaux menés par le laboratoire, il est important de souligner le lien étroit que ces équipes entretiennent avec le domaine clinique. En effet, la proximité immédiate avec les cliniciens et les patients du site de Gustave Roussy favorise les collaborations et permettent aux chercheurs de l’Inserm de s’emparer des problématiques actuelles qui viennent enrichir leurs questionnements fondamentaux, et vice-versa. Ce lien est précieux : les équipes ont accès à du matériel d’étude différent et conçoivent des projets directement en lien avec des cliniciens. Cette unité illustre parfaitement le fait que la recherche clinique et la recherche fondamentale s’alimentent, leurs différents aspects sont complémentaires et tous nécessaires à l’avancée de la connaissance scientifique globale en santé ainsi qu’à la meilleure prise en charge des patients.