Juan Iovanna, Directeur de recherche Inserm au Centre de recherche en cancérologie de Marseille (CRCM – AMU/CNRS/Inserm/IPC) dont il est le directeur adjoint, s’exprime sur sa vision de la parité dans la recherche à l’Inserm. Défavorable à une parité chiffrée absolue, notamment dans les comités d’expertise, il prône une répartition naturelle des postes entre femmes et hommes, basée sur l’attrait et la compétence pour la discipline.
Pouvez-vous vous présenter brièvement ainsi que les projets qui vous occupent actuellement ?
Je suis directeur de recherche de classe exceptionnelle à l’Inserm et je suis le directeur adjoint du Centre de recherche en cancérologie de Marseille (CRCM – AMU/CNRS/Inserm/IPC). Je dirige une équipe, au sein du CRCM, qui s’intéresse à l’étude de nombreux aspects du cancer du pancréas.
La première question allie à la fois la vie personnelle et la vie professionnelle. Avez-vous pris un congé paternité à la naissance de vos enfants ? Comment s’est passée l’organisation de votre foyer et de votre carrière à ces moments charnières ?
J’ai deux enfants qui sont nés en 1987 et 1988. A cette époque, je n’ai pas arrêté de travailler. Nous avons convenu avec mon épouse qu’elle ne travaillerait pas pour que je puisse développer ma carrière. J’ai beaucoup travaillé et je n’ai pu accorder que peu de temps à mes enfants. Quand ils sont devenus plus grands, mon épouse a repris le travail et nous avons pu davantage partager les tâches de la vie familiale. Les choses évoluent depuis une quinzaine d’années et elles vont continuer à évoluer. Personnellement, j’ai une culture et une formation qui font que je ne pense pas que je ferais les choses différemment si la situation se présentait à moi aujourd’hui. En revanche, il est intéressant de voir que les jeunes hommes qui arrivent sur le marché du travail soient prêts à s’occuper de leur enfant, s’il a de la fièvre par exemple, au même titre que leur femme. Petit à petit, il n’y aura plus d’avantages au sein de l’organisation familiale pour la carrière des hommes vis-à-vis de celle des femmes. Cette évolution globale de la société va permettre de réduire la disparité femmes/hommes en termes de vitesse de carrière, notamment.
Dans le cadre de l’exercice de votre profession, avez-vous été le témoin ou l’objet de clichés sexistes ?
Peut-être que cela s’est produit, mais je n’y ai pas assisté. Actuellement, on parle beaucoup de la parité. Lorsque j’ai commencé ma carrière, ce n’était pas du tout un sujet qui était traité. Personnellement, je ne crois pas avoir été témoin de formes de discrimination sexiste. Avec le temps, depuis une dizaine d’années, les choses ont évolué et le sujet de la parité est devenu très présent. Il me semble important d’aborder un point à ce sujet. Il se trouve que dans certains comités, la parité est exigée par l’Institution, parfois au détriment de la qualité scientifique . Dans certains comités d’expertise, il est demandé que 50% des personnes soient des femmes et 50% des hommes. Cela ne tient pas compte du fait qu’il puisse y avoir plus de femmes meilleures que les hommes dans des disciplines et qu’ainsi, une répartition à 70% de femmes et 30% d’hommes soit plus optimale. C’est un réel problème. Je suis totalement d’accord avec le fait qu’il faut un équilibre entre les femmes et les hommes ; il faut l’égalité. Mais, il ne faut pas tomber dans un travers où la parité prime sur la qualité scientifique. Je suis témoin de certains comités dans lesquels, pour respecter la parité, l’expertise n’est pas optimale. En sciences, il est primordial de garantir une expertise et une qualité solides.
En tant que directeur d’unité, trouvez-vous que l’accès aux postes de chercheurs est le même pour les femmes que pour les hommes ?
Je ne connais pas les chiffres au niveau national. Mais, dans notre laboratoire, il y a 13 statutaires, dont 8 sont des femmes, la majorité a été recrutée pendant mon mandat. Il y a aussi plus de chef d’équipe femmes que d’hommes. Il me semble que dans mon laboratoire il y a toujours eu, globalement, plus de femmes que d’hommes. Pas parce qu’il y a eu une quelconque sélection en faveur des femmes mais parce que nous avons eu plus de propositions de femmes qui étaient intéressées et qui présentaient une qualité scientifique optimale. J’ai, je crois, toujours priorisé la qualité scientifique des candidats, à tout autre critère.
Avez-vous noté des différences ou des points communs au sujet de la place de la femme dans les institutions de recherche en France et à l’étranger ?
Je connais un peu le fonctionnement aux Etats-Unis, du moins celui des universités avec lesquelles je collabore. Je connais aussi assez bien le système de recherche italien et un peu ceux en Allemagne et en Espagne. Je ne crois pas que, dans ces institutions, la parité soit une discussion quotidienne. En Allemagne, par exemple, où je me suis rendu récemment, il y a une parité naturelle visible mais il ne m’a pas semblé entendre parler de parité exigée ou quantifiée par les autorités. J’ai l’impression qu’en France, cette question de parité est devenue nationale, elle prend plus de force et il y a un certain conditionnement.
Pour finir, avez-vous un ou des modèles féminins qui vous inspirent dans le cadre de vos recherches ?
Pas particulièrement une chercheuse, je suis les travaux de toutes les personnes qui travaillent sur le cancer du pancréas. De façon générale, je ne fais pas vraiment attention à ce que font plus les femmes ou plus les hommes dans mon domaine de recherche. Mais, la dernière fois, je regardais ce que faisait la chercheuse hongroise, Katalin Kariko, qui a développé les ARN pour faire le vaccin contre la COVID-19. Son histoire est très intéressante. Si cela avait été réalisé par un homme et non hongrois, mon intérêt aurait été le même. Ce que je voudrais transmettre c’est qu’il ne faut pas se laisser conditionner par cette parité chiffrée. Dans notre métier, ce qui est important, c’est de prioriser la qualité des chercheurs, plus que regarder s’ils ont les cheveux longs, courts, les yeux bleus, s’il s’agit d’un homme ou d’une femme. Je crois que c’est fondamental et c’est ce qui garantit la réussite de la recherche.