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Essais cliniques : quand la méthode change tout

Comment s’assurer qu’un traitement est vraiment efficace ? C’est tout l’enjeu de la méthodologie en recherche clinique. Karolin Krause, post-doctorante dans l’équipe METHODS au Centre de recherche en épidémiologie et statistiques (CRESS), revient sur les outils développés pour fiabiliser les études, harmoniser les critères d’évaluation et mieux adapter les soins aux patients.

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Pourquoi la méthodologie est-elle essentielle en recherche clinique ?

Karolin Krause : Le rôle principal de la méthodologie en recherche clinique est de garantir que les études soient conçues et menées avec rigueur, afin que leurs résultats soient valides et fiables. Cette rigueur permet de tirer des conclusions solides sur l’efficacité réelle d’un traitement. Une méthodologie transparente et reproductible permet aussi à d’autres équipes de prolonger les recherches ou de comparer les résultats entre études, réduisant ainsi le gaspillage scientifique.

Les méthodologistes combinent généralement un ensemble varié de compétences. Par exemple, au sein de l’équipe METHODS du CRESS, nous réunissons des experts en épidémiologie, biostatistique, conception d’études cliniques, méta-analyse, intelligence artificielle et sciences sociales.

Pourriez-vous nous présenter brièvement votre parcours, et nous dire ce qui vous a attiré vers la spécialité de méthodologiste ?

K. K. : J’ai commencé mon parcours par la sociologie, avec une spécialisation en méthodes quantitatives. Je me suis progressivement intéressée aux défis méthodologiques que pose la mesure de l’impact des interventions cliniques. Cet intérêt m’a conduit à entreprendre une thèse de sciences en psychologie sur les critères de jugement. Les critères de jugement sont les indicateurs choisis par les chercheurs pour évaluer si un traitement ou une intervention a produit l’effet souhaité. Ils permettent de déterminer l’efficacité d’une intervention dans une étude clinique. Cette thèse était centrée sur la mesure des critères de jugement dans des évaluations de traitements thérapeutiques pour la dépression chez les adolescents. 

À l’époque, j’avais été frappée par la grande hétérogénéité dans la façon dont ces critères étaient mesurés. Par exemple, rien que pour la sévérité des symptômes dépressifs, plus de 200 instruments de mesure différents ont été développés. Cette situation pose un véritable problème méthodologique : elle complique fortement l’intégration et la comparaison des résultats entre études, en particulier dans le cadre de synthèses de connaissances. Pour y répondre, les méthodologistes ont développé un outil appelé Core Outcome Set

Le Core Outcome Set occupe une place croissante dans la conception des essais cliniques. Quelle est sa finalité et comment est-il construit ?

K. K. : Un Core Outcome Set est un ensemble de critères de jugement, défini par des experts, chercheurs ou patients, qui devraient être mesurés dans tous les essais thérapeutiques portant sur une maladie donnée. Cet ensemble peut également préciser quels instruments de mesure doivent être utilisés pour évaluer ces critères. 

Typiquement, la définition d’un set passe par une revue systématique des pratiques existantes en matière de mesure. C’est un recensement et une analyse des critères de jugement utilisés dans les études cliniques publiées, l’identification d’un grand nombre de critères potentiels (« candidate outcomes »), puis la hiérarchisation et la sélection d’un ensemble resserré de critères jugés particulièrement importants. Ces deux dernières étapes doivent prendre en compte les perspectives de toutes les parties prenantes, à savoir les chercheurs, les cliniciens et les patients. Cela implique un important travail d’animation de réseau, souvent international.

Concrètement, quel type de recommandation peut contenir un Core Outcome Set ?

K. K. :  Par exemple, pour un Core Outcome Set destiné à évaluer l’impact des traitements de la dépression et de l’anxiété chez les jeunes en contexte clinique, nous avons mis en lumière plusieurs éléments clés. Il est notamment important de mesurer systématiquement la sévérité des symptômes dépressifs, le risque suicidaire, ainsi que le fonctionnement dans la vie quotidienne. Le fonctionnement dans la vie quotidienne représente la capacité pour l’adolescent à accomplir des activités typiques de son âge, comme aller à l’école, passer du temps avec ses amis ou participer à des loisirs.

Grâce à ces mesures, nous améliorons la pertinence des résultats pour les patients, et nous facilitons le travail de synthèse. Cela permet également de limiter les biais liés à la présentation sélective des résultats, qui donne une impression faussée de l’efficacité réelle des interventions. Cet enjeu s’inscrit d’ailleurs dans un autre axe de travail méthodologique mené au sein de l’équipe METHODS, où nos directeurs Isabelle Boutron et Philippe Ravaux dirigent des recherches consacrées à l’intégrité scientifique.

En matière de collecte des données, que peut-on améliorer pour mieux adapter les traitements aux patients ?

K. K. : D’abord, il faut identifier quelles caractéristiques doivent être capturées dans les essais cliniques. Ce travail d’identification permettra de comprendre pourquoi certains patients tirent davantage bénéfice d’un traitement que d’autres. De là, nous pourrons progresser vers une médecine plus personnalisée, et cibler quels patients doivent bénéficier ou non d’un traitement particulier. 

Le but est de parvenir à un recueil de données plus fin, sans saturer les patients de questions. Actuellement il existe encore une forte hétérogénéité dans les caractéristiques capturées par les essais, ainsi que dans la façon dont elles sont mesurées. De plus, certaines caractéristiques essentielles sont rarement recueillies de façon systématique, même si l’on sait qu’elles influencent la capacité du patient à s’engager pleinement dans son traitement — par exemple, son niveau de revenu ou son réseau de soutien social.

Enfin, de telles données constituent également une base indispensable au développement de méthodes statistiques innovantes. Je pense ici aux recherches de mes collègues Raphaël Porcher et François Petit, dont le travail porte sur le développement de règles de traitement individualisées. Ces règles pourraient permettre de développer des algorithmes capables de prédire les résultats thérapeutiques, d’estimer directement l’effet d’un traitement, voire d’optimiser celui-ci en fonction des caractéristiques spécifiques des patients.