Didier Letourneur revient sur cinq années à la présidence de la CSS6 dédiée à la santé publique et aux technologies pour la santé. Instances d’évaluation, les commissions scientifiques spécialisées (CSS) couvrent chacune un secteur de la recherche menée à l’Inserm. Elles participent au recrutement et à la promotion des chercheurs, ainsi qu’à l’évaluation des unités.
Pourquoi rejoindre une CSS ?
Didier Letourneur : En 2016, je me suis présenté à la présidence de la CSS6. Le sens du travail utile pour la collectivité et l’enrichissement scientifique ont été au cœur de mes motivations. J’avais auparavant réalisé un mandat de 2008 à 2012 comme membre de CSS, cette première expérience m’a été utile pour maîtriser le fonctionnement d’une commission. Je trouvais important de m’impliquer à nouveau pour la collectivité scientifique. En tant que chercheur, faire partie d’une commission m’a rendu plus attentif à d’autres disciplines et m’a permis d’acquérir une vision globale des enjeux de la recherche.
Comment avez-vous été élu président ?
D. L. : Le président et le vice-président d’une CSS sont élus par les trente membres de la commission lors de la première réunion. À l’issue du vote, j’ai été désigné président et Marie-Christine Boutron-Ruault, médecin en santé publique, vice-présidente. Nos profils étaient complémentaires car la CSS6 regroupe deux thématiques. Nous avons trouvé utile d’associer les deux compétences pour fixer les critères d’évaluation. Par exemple, certains des critères technologiques et de valorisation économique ne sont pas ou rarement évoqués en santé publique, et d’autres comme des ouvrages ou rapports avec l’OMS sont rarement étudiés en technologies pour la santé. Cette interdisciplinarité a été un enrichissement scientifique pour moi mais également pour l’ensemble des membres de la CSS6. Lors de la première réunion, la CSS6 désigne également les membres titulaires et suppléants de la délégation permanente, en charge de désigner avant chaque session les rapporteurs pour les dossiers.
Comment s’articulent ces responsabilités et votre travail au quotidien ?
D. L. : Le rôle de président de CSS représente environ 20 à 25 % de mon temps de travail. Elle est une charge moindre pour un membre de la CSS. Je vais être attentif au nouveau système des binômes car la charge de travail devrait être plus allégée.
Qu’est-il prévu pour la prévention des conflits d’intérêts ?
D. L. : Le fonctionnement collégial d’une CSS est par essence gage d’objectivité et d’analyse sérieuse. Pour prévenir les conflits d’intérêts, le département de l’évaluation et du suivi des programmes (Desp) étudie en amont les candidatures et les éventuelles activités et publications communes avec les membres de la CSS. Les membres déclarent également leurs actions en cours en lien avec certaines des candidatures. S’il y a conflit d’intérêt, le membre de la CSS est exclu des discussions. De plus, notre CSS6 disposait même d’un membre expert spécialiste des conflits d’intérêts. Enfin, lors de l’analyse des dossiers et des classements, on s’assure que tous les membres sont d’accord, et le classement des chercheurs peut prendre des heures de discussion.
Avez-vous déjà connu un conflit d’intérêt ?
D. L. : Mon appartenance au CNRS a rendu la situation plus confortable car, au cours de mon mandat, aucun membre de la CSS n’a eu à m’évaluer. Cependant, une fois, lors d’une candidature dans mon unité, la vice-présidente a pris le relais. Au niveau de la CSS, avec 30 membres et plus de 130 candidats chargés de recherche de classe normale (CRCN) ou pour les promotions, il y a forcément des liens. Je pense que le système des binômes de différentes vagues peut être une bonne solution durant les évaluations des grosses structures. Si un membre est en évaluation de sa propre structure, le binôme prend le relais et on ne devra plus systématiquement faire appel à des experts extérieurs pour que la commission continue de fonctionner.
Faire partie d’une CSS aide-t-il à sa propre évolution de carrière ?
D. L. : Les membres d’une CSS peuvent se voir reprocher de s’auto distribuer des postes mais ce n’est pas le cas. Aucun membre n’est avantagé, et il se peut même qu’on soit encore plus exigeant lors de l’évaluation d’un membre de CSS. En revanche, être membre d’une CSS est très formateur car nous maîtrisons mieux les techniques de l’évaluation, comme par exemple, bien présenter le dossier et son oral. On se jette moins dans l’inconnu lors de sa propre évaluation.
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué pendant ce mandat ?
D. L. : Tous les concours sont éprouvants. Pour les concours de chargés de recherche de classe normale, s’arrêter par exemple à 12 postes sur 138 candidatures en 2020 est humainement très dur. Certains candidats refusés ou certains directeurs de laboratoires peuvent m’appeler. Je dois être pédagogue, factuel et donner les éléments du classement sans froisser quiconque. Le rôle du président est donc aussi d’expliquer le choix de la commission. Pour convaincre l’ensemble de la communauté, l’ancienneté et les publications ne suffisent pas. La vision « ressources-humaines » compte aussi. Par exemple, lors d’un concours pour devenir directeur de recherche, tous les candidats font de la recherche à très haut-niveau. On va donc s’attacher à regarder également de quelle manière ils managent, comment ils gèrent les budgets…
L’évaluation en CSS est l’occasion d’être conseillé, pouvez-vous nous en dire plus ?
D. L. : Tout à fait. L’accompagnement des chercheurs est une autre grande mission pour les membres d’une CSS. Nous évaluons les unités et les chercheurs à mi-parcours et à 5 ans. Pour le chercheur, nous pouvons l’aider à analyser la situation et à l’améliorer. Parfois, après cet accompagnement pouvant aller jusqu’à un changement de laboratoire, nous avons eu le plaisir de voir que le chercheur était revenu sur une trajectoire où il s’épanouissait pleinement. Ce type d’expérience est très gratifiant.