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« Les malades peuvent rapporter aux chercheurs des choses qu’ils n’osent pas dire aux médecins »

En travaillant en collaboration avec des personnes atteintes de cancer ou infectées par le VIH, Marie Préau, chercheuse en psychologie sociale, est confrontée aux conditions particulières d'une recherche de terrain guidée par les besoins d’une communauté.

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Comment en êtes-vous venue à la recherche participative ?

Au début des années 2000, lorsque je travaillais à ma thèse sur l’évaluation psychosociale de la qualité de vie des patients infectés par le VIH, j’ai été amenée à rencontrer des associations de patients. Puis, la Coalition internationale sida regroupant des associations du monde entier (créée en 2007 – 2008) m’a sollicitée pour monter un projet sur le partage du diagnostic par les personnes séropositives et ses conséquences. À cette époque, il y avait peu de choses sur le sujet dans la littérature scientifique, qui s’arrêtait à la problématique : « l’avoir dit ou pas ».

La coalition avait en son sein une personne dédiée à la recherche, avec laquelle nous avons souhaité faire une recherche communautaire, menée en partenariat avec des associations, dans chaque pays concerné : Mali, Maroc, République démocratique du Congo, Roumanie, Équateur, France et Québec. Toutes les décisions ont été prises à 14 ! C’était, certes, plus compliqué, plus lent, mais aussi plus pertinent par rapport au terrain.

Nous avons donc travaillé sur le processus de partage : est-ce qu’on l’a vraiment dit ? À qui ? Comment ? Avec quelles conséquences ? Pour poser toutes ces questions, nous avons conçu un guide méthodologique publié par l’ANRS, autour de la mise en place des recherches communautaires. Il comportait des témoignages, présentait les étapes, le savoir-faire, le savoir-être, les postures et proposait des garde-fous.


La plateforme Seintinelles

J’ai ensuite déployé cette approche à la cancérologie avec Seintinelles, une plateforme de recherche collaborative qui met en relation les chercheurs et les citoyens (30 000 personnes), pour accélérer la recherche sur le cancer.

La formation de « patientes-chercheuses » que nous avons proposée à des femmes rencontrées grâce à Seintinelles a permis d’amener les malades à penser ce qui est possible en recherche. Cette démarche a favorisé l’identification d’une thématique mal abordée dans la littérature scientifique : le vécu des troubles cognitifs pendant et après le traitement, qui peut être une cause de non-observance. Comment les troubles cognitifs affectent-ils la qualité de vie ? Sont-ils suffisamment pris en compte par les médecins ? Quels sont les enjeux du vieillissement, de la fatigue ?

Il peut arriver aussi que le médecin se focalise plus sur la maladie que sur le patient. Les malades peuvent alors rapporter aux chercheurs des choses qu’ils n’osent pas dire aux médecins.

Marie Préau et quatre membres de Seintinelles.
Rencontre avec l’association Seintinelles à l’institut Paoli-Calmettes à Marseille le 25 juin 2015


Avez-vous rencontré des difficultés ?

Il faut reconnaître qu’on ne sait pas tout. Ce type de pluridisciplinarité spécifique suppose de mettre l’expérience vécue au même niveau que le savoir académique. Ça peut être déstabilisant personnellement et humainement. 
Marie Préau
Professeure de psychologie sociale à l’université Lumière Lyon 2
Directrice adjointe de l’unité Inserm Radiation : défense, santé, environnement
Portrait de Marie Préau

J’ai travaillé avec des femmes maliennes porteuses du VIH. Au début du projet, elles m’ont fait comprendre qu’il fallait que je parle de moi. Elles voulaient savoir si j’avais des enfants. Il a fallu que je leur montre des photos, c’était le gage majeur de crédibilité. Je ne pouvais pas être une bonne chercheuse si je n’avais pas cette dimension-là.

C’est aussi un mode de recherche différent, plus long : on discute, rediscute, réexplique, ça prend plus d’énergie, mais c’est plus riche humainement, et plus utile. Les relations personnelles qui se nouent font que les chercheurs ne sont pas interchangeables. Le départ d’une personne de l’équipe peut perturber la recherche, et retrouver des relations de confiance peut prendre des mois.


Quels éléments vous ont, au contraire, paru facilitateurs ?

Le temps est réparti différemment au cours de la recherche. C’est plus long au début, mais une fois que la confiance est là, on identifie sur le terrain de nouvelles problématiques de recherches, et on peut travailler ensemble sur des projets au plus près de l’apparition des problèmes de terrain, nous sommes donc plus réactifs.



Photos : © Joseph Melin