Dans quelles conditions avez-vous rencontré les associations avec lesquelles vous avez travaillé ?
Je travaille sur le handicap depuis le début de ma carrière. J’ai fait ma thèse avec l’Association française pour la myopathie (AFM-Téléthon). Ce n’était pas, à proprement parler, de la recherche participative, mais j’étais proche de ces acteurs. Depuis, je suis toujours restée en contact avec les associations. Je m’intéresse aussi à la « recherche émancipatoire », un courant sociologique d’outre-Manche qui considère que les personnes en situation de handicap doivent contrôler la recherche qui, en retour, doit transformer leurs conditions de vie.
Projet Handéo sur le polyhandicap
Mes travaux actuels portent sur le polyhandicap, en collaboration avec des associations que je connais depuis longtemps. J’ai ainsi répondu à un appel d’offre de l’Institut de recherche en santé publique et de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, afin d’établir des monographies de familles. Pour cela, j’ai contacté Handéo, une fédération d’associations au service des personnes en situation de handicap ou en perte d’autonomie du fait de leur âge. J’ai aussi sollicité un prestataire, l’Atelier des jours à venir, pour faire le lien entre chercheurs et participants. C’est ainsi qu’est né un projet tripartite entre chercheurs, participants et médiateurs.
Une première réunion avec les familles a donné lieu à beaucoup de débats et de critiques. Les participants s’interrogeaient sur le bien-fondé de cette recherche, les méthodes et sur la définition de la population concernée (en lien avec des débats sur la définition du polyhandicap). Certains chercheurs ont mal vécu ces débats, alors que d’autres ont trouvé normal d’être déstabilisés.
Lors de la deuxième réunion, les discussions étaient plus apaisées, mais l’appel à récits destiné à recruter des familles pour l’enquête restait mal perçu par ces dernières. Nous avons donc engagé une phase exploratoire, pour affiner la méthodologie proposée « par récit ».
Puis, la troisième réunion a permis de présenter les récits produits avec certains parents et quelques résultats obtenus via cette méthode, qui ont calmé les inquiétudes : les résultats de la recherche étaient vus comme utiles. Avec ces parents impliqués dans la phase exploratoire, nous avons rédigé une nouvelle « proposition de participation à la recherche », destinée à recruter des familles, qui a été beaucoup mieux perçue et qui convenait à tous. L’implication des parents dans le travail de rédaction de cet appel a été essentielle pour aboutir à un document compréhensible et attractif pour les autres.
Quels enseignements avez-vous retirés de cette expérience ?
Cette expérience n’est pas forcément généralisable. Une phase exploratoire ne marche pas à chaque fois, mais dans la recherche participative, il faut s’adapter et innover davantage que dans la recherche classique.
au Centre de recherche médecine, science, santé et société (Cermes)
Pour certains participants, la recherche reste quelque chose de très abstrait. Ils s’attendent à ce que les chercheurs apportent toutes les réponses et un cadre fixé à l’avance. Ils ne se sentent pas légitimes, et n’imaginent pas être capables de produire eux-mêmes des réponses aux questions que pose la recherche à ses différentes étapes. Pour d’autres, la recherche reste forcément médicale et doit, par exemple, permettre de trouver un traitement…
Côté chercheurs, nous exigeons parfois des prérequis de la part des participants : qu’ils participent en tant qu’enquêteurs, qu’ils rédigent à partir des expériences récoltées… Il faut d’abord se mettre d’accord sur ce qu’est la recherche avant de commencer et, ensuite, rendre possible une démarche d’adaptation des positionnements des uns et des autres, ainsi qu’une appropriation des attentes respectives.
Enfin, il faut être attentif à ce que provoque la recherche chez les participants, à ses différentes étapes : ainsi, pour des parents, raconter son expérience remue des émotions ; réfléchir ensuite, dans le cadre des réunions collectives, sur sa propre expérience, en contraste avec celle des autres, peut aussi déstabiliser… Il faut tenir compte de ces effets, que l’on ne peut pas toujours anticiper, être délicat, et se tenir prêt à réorienter la recherche en fonction de ces éléments.
* Béatrice Bonniau (sociologue, Inserm), Cyril Desjeux (sociologue, Handéo), Claire Ribrault (médiatrice chercheuse, Atelier des Jours à Venir), Livia Velpry (sociologue, université Paris 8), Pierre Vidal Naquet (sociologue, Cerpe), Myriam Winance (sociologue, Inserm et coordinatrice du projet)
Illustrations : © Marion Detuncq/Handeo