Dans quelles conditions avez-vous rencontré les associations avec lesquelles vous avez travaillé ?
Psychiatre de formation, j’ai toujours été soucieuse de la personne derrière la recherche, mais comme chercheuse travaillant sur la mémoire des patients schizophrènes, j’interagissais peu avec les familles. La question de l’impact de ma recherche sur leur vie quotidienne n’était pas au premier plan.
Puis, je me suis retrouvée personnellement concernée par la dyspraxie, et j’ai dû reconsidérer ce qui était important pour moi. Maintenant, j’ai vraiment besoin que mon travail ait un impact direct (comme par exemple sur l’accessibilité des manuels scolaires), ou indirect (en matière d’épidémiologie, de cognition numérique) pour les enfants dyspraxiques ou leur famille. Par exemple, je veux étudier la qualité de vie des parents, et en particulier des mères (susceptibles de faire un burn-out, ou de cesser de travailler). Ces recherches correspondent mieux à ce que je suis.
Comment s’est déroulée cette réorientation ?
Je me suis d’abord rapprochée d’associations de familles d’enfants dyspraxiques, et j’ai coordonné une liste de discussion de parents. Puis, j’ai quitté le sujet de la schizophrénie, pour travailler sur la dyspraxie, en partant des problématiques des enfants et de leurs parents. Il y avait un manque énorme sur la question de la dyspraxie.
À côté des associations de parents, j’ai aussi créé Le cartable fantastique, une association destinée à croiser les regards de chercheurs et d’enseignants, pour concevoir des ressources pédagogiques adaptées aux enfants dyspraxiques. Peu à peu, c’est devenu ma nouvelle thématique de recherche.
Identifier les problèmes, les conceptualiser, créer des solutions pour les résoudre…, tout cela peut être de la « recherche-action ». Expliquer les difficultés rencontrées par les enfants et leur famille via des livres, ou des conférences est essentiel pour que ceux qui accompagnent ces enfants, comme les professionnels de l’éducation et du soin, les comprennent mieux.
Travailler sur les stéréotypes, et sur les décisions qu’ils induisent, est devenu une question de recherche fondamentale, née de la difficulté à faire bouger le terrain.
J’effectue des allers-retours constants entre le terrain et la recherche fondamentale. Sur ce dernier plan, j’ai travaillé sur la cognition numérique chez les enfants dyspraxiques parce qu’ils ont souvent des difficultés en mathématiques. Actuellement, je conduis une « recherche-action » sur l’adaptation des manuels scolaires sous format numérique pour que les enfants puissent les utiliser en classe.
Quels ont été les freins et les leviers à cette recherche ?
Les enfants et leurs parents ont toujours été des interlocuteurs essentiels. Sans eux, je ne conduirais pas mes recherches de la même façon. Ce type de recherche requiert une implication totale, un engagement personnel, et des interactions permanentes avec les personnes concernées.
Pour autant, bien que collaborant avec les associations de familles, j’ai trouvé plus pertinent de créer une autre association pour pouvoir travailler plus spécifiquement sur la question de la scolarité des enfants dyspraxiques. En effet, les familles sont confrontées à de multiples problèmes (accès aux soins, parcours administratif, manque de prise en charge efficace, interactions difficiles avec l’école…) que les associations doivent régler en même temps. Ce n’est pas compatible avec une approche uniquement ciblée sur la scolarité. L’autre frein est la colère ressentie, à juste titre, par les familles, associée à l’urgence de répondre aux besoins de leurs enfants. Ce n’est pas conciliable avec une approche de recherche dont le rythme est lent et qui s’intéresse à des questions très circonscrites.
Par ailleurs, ces recherches fondamentales et de terrain sont des projets parallèles, qui nécessitent de nombreuses expertises différentes, en constante évolution, pour lesquels les financements sont longs à obtenir.