Pouvez-vous décrire le projet de recherche participative que vous avez mené ?
En 2013, alors que nous étions en post-doctorat en neurosciences cognitives aux Pays-Bas, ma compagne, Mathilde Bonnefond, et moi-même, avons été approchés par un ami qui avait monté une association d’intermédiation. Il disposait d’un budget de la Fondation de France, dans le cadre du programme Nouveaux commanditaires sciences, pour travailler avec des citoyens sur une question qu’ils se posaient, et les aider à y répondre de manière scientifique.
Cet ami avait repéré un groupe de collégiens à Barcelone, qui avait participé à un concours de vidéos scientifiques où ils s’interrogeaient sur le rôle des couleurs dans l’apprentissage : « Notre collège est tout gris. Un environnement plus coloré pourrait-il nous aider à mieux apprendre ? » Ils ont recruté des participants dans leur école. Nous les avons initiés à la démarche de recherche et à la bibliographie. Nous les avons aidés à resserrer leur question, à mettre en place le protocole, à recueillir et à analyser les données. Nous leur avons aussi transmis des connaissances de base en statistiques.
Cette école était dans un quartier populaire. Tous les gamins étaient volontaires, plein d’énergie et leur professeur de technologie a été moteur dans le projet. Certains se sont ensuite dirigés vers des filières scientifiques. Ils nous ont dit que ça leur avait apporté un esprit critique, que ça les avait guidés dans le choix de leurs études… Pour nous, ça a été une grande satisfaction.
Puis, nous avons fait un deuxième projet au lycée du Parc à Lyon, où nous avons refait l’étude en conditions réelles, en recrutant des étudiants avec l’aide d’un professeur classe de préparatoire.
On va écrire une lettre au journal Science. Et ça a marché : Science a trouvé notre démarche intéressante, et a publié notre lettre à l’éditeur !
Centre de recherche en neurosciences de Lyon
Quel impact le projet a‑t-il eu sur votre carrière ?
Au départ nous avons hésité. Nous étions post-doctorants, loin de Barcelone, nous devions « remplir notre CV » . La personne qui nous avait sollicités pensait néanmoins à une publication. Elle a proposé d’écrire une lettre à Science. Et ça a marché : Science a trouvé notre démarche intéressante, et a publié notre lettre !
Dans la revue Frontiers for young minds, dirigée par Bob Knight, une sommité en neurosciences de Berkeley, nous avons publié un article rédigé avec les jeunes et présentant notre démarche. Ça a pris du temps, et nécessité beaucoup d’allers-retours, mais ce travail a été rigoureux et enrichissant. Au total, trois articles sont sortis de ce projet.
Avec ce projet, j’ai l’impression d’avoir vraiment été utile à la société. Parfois, je me dis que mon impact en tant que scientifique a été plus fort en une journée avec ces jeunes qu’avec mon dernier article. J’ai éprouvé une grande satisfaction à faire autre chose que le job « classique » de chercheur. Ça m’a fait réfléchir à mon rôle au sein de la société. Désormais, j’essaie de saisir un maximum d’occasions de travailler avec des étudiants, des journalistes, des citoyens, et j’essaye d’inculquer ça à mes étudiants.